Mercredi 15 août 2018
« De sang et d’espoir » de Ghamina Ammour : Des mots contre l’amnésie
Ghamina Ammour est un amour de femme. Le jeu de mots est facile mais il vaut son pesant de vérité. Enarque en Algérie, ancienne administrative et banquière, elle a fait un jour la nique à sa carrière pour mettre les voiles vers le pays des mots et de la mélodie. Elle est habitée par la révolte et la rime. Par le sens. Toute colère étouffée, elle narre sans complaisance les drames vécus par le pays qui l’a vu naître, l’Algérie, dans un recueil paru, il y a quelques semaines, aux éditions Wallada.
Comme une évidence, elle l’intitule « De sang et d’espoir. » C’est un peu cela le lot de cette patrie tant tourmentée.
» J’ai besoin de croire
encore une fois
en cette terre ancestrale
et me dire que jamais
elle ne devra plier.
J’ai besoin de me dire
encore une fois :
ses enfants affranchis
feront briller de mille feux
les joies de la liberté. »
Ses mots sont simples mais toujours porteurs d’une charge émotionnelle ravageuse. Parce que trop vraie. Trop vécue. Trop sincère.
Fille de sa mère et mère de ses enfants, Ghamina a su, malgré une itinérance douloureuse, et tenu à téter le verbe de l’ancêtre pour le transmettre à la descendance.
Ce n’est sûrement pas un hasard si elle a choisi de publier ce deuxième recueil de dense et ardente poésie chez Wallada, des éditeurs libertaires engagés dans les combats pour la dignité humaine, la promotion des cultures plurielles et les libertés démocratiques. Cette édition qu’a pris le nom d’une princesse arabo-berbéro-andalouse du 11ème siècle, fille du dernier khalife de Cordoue, poétesse célèbre et libre aimée d’Ibn Zeydoun, lui a frayé un chemin au cœur d’un territoire gangréné par les ronces de l’injustice et de la violence meurtrière.
Elle l’a pris sans hésiter, douleurs et espérances en bandoulière pour aller en quête de certitudes nouvelles. De raisons de croire encore en l’être.
Dans le baluchon qui l’accompagne sur les sentes torturées de l’exil, elle emmêle un fatras de souvenirs sanguinolents et d’horizons brumeux.
« Je suis une transplantée,
j’ai poussé et mûri
sur la terre d’autrui.
Mes racines sont intactes
mais mes fleurs ont changé.
Elles ont pris la couleur
d’un nouvel arc-en-ciel.
J’ai faim de tous les maux
de l’humain écrasé.
Je suis la sentinelle
seule, qui garde la paix,
et dans ma solitude
je suis une rescapée. »
Ghamina va trop vite depuis qu’elle a pansé ses multiples blessures. Elle viole le temps pour y caser les anciennes déchirures et y puiser la force d’inventer le nacre du futur. La tête restée bien ancrée sur les épaules malgré les violentes tornades traversées par sa terre, elle a abandonné ses fonctions de scribe pour aller vers la torrentielle vie d’artiste. Dramaturgie, peinture, poésie et colère? mesurée dans ses pas, elle avance.
Désormais ressuscitée, elle s’est délestée de ses peurs et des atermoiements. Elle ne jure plus que par la couleur des mots.
Des mots qui dans ce nouveau recueil, « De sang et d’espoir », déferlent pour célébrer le souvenir.
Combattre l’amnésie et ériger une stèle à l’espérance.