Dimanche 13 mai 2018
« 3 visages », le maître Jafar Panahi est arrivé au Festival de Cannes
Son absence au Festival de Cannes fait beaucoup parler. Le cinéaste iranien Jafar Panahi est toujours frappé par une interdiction de quitter son pays, mais son nouveau film « 3 Faces » (3 visages), en lice pour la Palme d’or, a bien été projeté et a gagné la faveur du public. Un chef-d’œuvre tourné avec un minimum de moyens et une fable exquise sur la réalité, la vérité et la rage de faire des films, malgré tout.
Tout commence avec une vidéo amateur en format SnapChat, à la verticale, envoyée à une des actrices les plus connues en Iran, Behnaz Jafari. Une jeune fille d’un village reculé y met en scène son propre suicide pour alerter sur son cas, de ne plus supporter d’être accusée de déshonorer sa famille en voulant devenir comédienne. Jafari est bouleversée, mais une coupe à la fin de la vidéo sème le doute. Donc, peut-elle encore être sauvée ? Jafari annule un tournage important pour enquêter sur place sur la fille, en compagnie de son ami, le réalisateur Jafar Panahi… Voilà les trois visages du film.
Les trois visages de Jafar Panahi
Au début de 3 Visages, la mère de Panahi appelle pour lui demander s’il part pour faire un film. Quand il répond non, est-ce la réalité ou un pieux mensonge ? Tout dépend, comme chez chaque personnage du film, quel visage on regarde : le personnage joué par Panahi, l’acteur Panahi ou le réalisateur Panahi ?
Dans le scénario, tout est jeu et métaphore. Jafari et Panahi apparaissent sans maquillage et avec leur vrai nom dans cette fiction qui nous mène dans une région montagneuse, donc difficile d’accès et potentiellement dangereuse – pour ne pas dire : comme le cinéma pour le réalisateur iranien, interdit de sortir de son pays et pas bienvenu par les autorités de tourner dans des lieux trop visibles. Lors de la conférence de presse, Amin Jafari, son directeur de la photographie, expliquait : « Jafar Panahi prépare toujours deux scénarios : le scénario du film et le scénario qu’il doit suivre pour éviter les problèmes sur le tournage… »
Le code de klaxons
Dans 3 Visages, Panahi transforme tout en allusion et allégorie. La voiture qui monte une petite route sinueuse dans les montagnes remplace la caméra. L’image regarde par le pare-brise et les fenêtres, fait demi-tour, accélère, s’arrête, se repose quand Panahi s’allonge sur le siège du conducteur pour dormir… Pour enquêter et se faire comprendre, il ne suffit plus de parler le farsi. Il faut savoir communiquer en azéri-turc iranien et connaître le code de klaxons pour éviter à se retrouver coincé sur la route montagneuse si étroite.
Qui est donc cette jeune fille qui s’est filmée dans une grotte, le foulard sur la tête, la peur dans les yeux et la corde autour du cou ? Est-elle réellement morte ? A-t-elle déshonorée sa famille en aspirant de devenir actrice ou en se suicidant ? Apparemment, c’était la plus intelligente du village, avec un problème : « elle n’arrivait pas à se taire ». Comment déjouer les pièges de l’apparence ? Dans le village, l’actrice Jafari est connue par tous et le réalisateur Panahi par personne. Ensemble, ils y rencontreront la poésie, l’humour et les problèmes d’un Iran éternel et actuel. Une vieille femme a déjà creusé sa tombe. Une danseuse subit l’image d’une pestiférée. Le frère de la jeune fille est en rage contre son désir de devenir actrice. Un taureau blessé bloque la seule route d’accès et risque de ne plus pouvoir honorer les vaches…
« Le silence torture l’innocence »
Le tout est raconté brillamment avec une économie de moyens, une sensibilité et une intuition hors pair, propre à l’œuvre de Jafar Panahi, ancien assistant d’Abbas Kiarostami. Il arrive à fusionner le jeu des acteurs avec leur environnement et le sujet du film. Tout semble simple et naturel, et seule la poésie est capable de dire les quatre vérités : « le silence torture l’innocence ».
Suite à son absence forcée, Jafar Panahi semble omniprésent à Cannes. Quant à son film, il affiche certainement le plus petit générique de toute la compétition, mais pourrait se révéler comme la plus grande œuvre du Festival. Sans oublier que sortir de l’Iran ou d’obtenir la Palme d’or ne sont pas les vœux les plus chers pour Jafar Panahi. Mastaneh Mohajer, la monteuse du film, racontait qu’il était prêt à ne pas projeter le film au plus grand festival de cinéma du monde, si les autorités iraniennes acceptaient de le montrer en Iran aux Iraniens.