Vendredi 26 janvier 2018
Abu Hafs, le mufti d’Al Qaida livre ses révélations
« L’histoire secrète du djihad, d’Al Qaïda à l’Etat islamique » de Lemine Ould M. Salem
Ce livre est le fruit d’une rencontre improbable entre un journaliste mauritanien et un compatriote qui a fait ses armes aux côtés de Ben Laden. Lemine Ould M. Salem qui a déjà publié entre autres « Le Ben Laden du Sahara : sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar » (2014, La Martinière) a interrogé pendant plusieurs mois Mahfoudh Ould el Waled, communément connu sous le nom d’Abu Hafs El Mourithani. Ces rencontres ont donné un récit bien mené dans lequel le lecteur est embarqué dans l’histoire aux accents invraisemblables de ce Mauritanien qui se retrouve au côté du terroriste le plus recherché sur la planète.
A partir d’entretien avec le désormais vénérable Abu Hafs, Lemine Ould M. Salem a tiré un livre qui dresse à grands traits certains épisodes de l’histoire d’Al Qaïda. C’est que son interlocuteur était dans l’état-major de l’organisation terroriste.
Hasard de l’histoire : tout commence pour Abu Hafs par la découverte des prêches incendiaires d’Abdelhamid Kechk. Puis vint la période de l’institut saoudien d’études islamiques à Nouakchott, financé comme son nom l’indique par la monarchie des Saoud pour propager le wahhabisme. Celui qui deviendra Abu Hafs rejoint l’Afghanistan comme des milliers de disciples de Kechk et de l’intégrisme islamiste pour faire le djihad contre les soldats de l’URSS. Après avoir financé la venue d’un nombre inconnu de jeunes musulmans pour combattre les Soviétiques, Oussama Ben Laden fonde en août 1988 Al Qaïda. Six mois plus tard, défaits, les soldats de la défunte URSS se retirent du bourbier afghan.
C’est en 1991 qu’à Abu Hafs se rend en Afghanistan. « J’ai bénéficié d’un tarif réduit de la compagnie Saudia Airways valable sur tout compagnie internationale », concède-t-il à peine à reconnaître l’implication de l’Arabie saoudite dans la guerre en Afghanistan. Un an plus tard, l’état-major d’Al Qaida quitte l’Afghanistan pour s’installer au Soudan où l’imam intégriste des Frères musulmans, Hassan Al Tourabi, règne en maître aux côtés de Omar Al Bachir. Outre Al Qaida, il y avait aussi Carlos, qui sera finalement « donné » par les Soudanais pour les Services français. « Been Laden au Soudan, n’était pas un réfugié comme les autres : il avait réussi, je ne souhaite pas dévoiler de quelle manière, à amener une partie de sa fortune avec lui », souligne le mufti. Abu Hafs y prodigue des cours sur la charia et les sciences islamiques au chef d’Al Qaida. De ces premières années, Abu Hafs témoigne que concernant :
La guerre civile en Algérie, Ben Laden était très inquiet des dérives sanguinaires des djihadistes algériens. A ses yeux, les exactions contre les civils étaient inadmissibles d’un point de vue islamiques et contre-productives du point de vue politique.
Difficile à croire cette version puisque le même Ben Laden va adouber Abou Moussab Al Zarkaoui qui va mettre à feu et à sang l’Irak, tuant sans distinction femmes, enfants et hommes…
Pressé, le Soudan lâche le chef d’Al Qaida. Ben Laden retourne en Afghanistan où les talibans font régner la terreur et la loi du moyen âge sur le peuple afghan. Concernant le 11 septembre, Abu a livré un témoignage intéressant. Il soutient que si ce n’était le manque de financement, les attaques prévues étaient plus dévastatrices.
Puis l’auteur rappelle au mufti les déclarations de Zakarias Moussaoui qui était en isolement dans le Colorado (Etats-Unis) « Il a aussi affirmé sous serment que des princes saoudiens ont financé Al Qaida et participé à la préparation du 11 septembre. « Sans l’argent des Saoudiens on n’aurait rien eu », a déclaré Zakarias Moussaoui dans ses déclarations. Mais Abu Hafs concède à peine à dire que « j’ai entendu dire que les auteurs des attentats avaient reçu de l’argent de pays comme l’Arabie saoudite ».
Après les attentats du 11 Septembre, les Américains demandent aux talibans de leur livrer Ben Laden. C’est un officier des services secrets pakistanais qui a fait l’intermédiaire. Même s’il désapprouve, les agissements du chef d’Al Qaida, le mollah Omar refuse.
Les Américains envahissent l’Afghanistan comme le voulait Ben Laden. De nombreux cadres d’Al Qaida sont tués, d’autres prennent la fuite. Abu Hafs rejoint l’Iran qui a émis le souhait de les accueillir. De nombreux membres d’Al Qaida recherchés dans plusieurs pays sont entrés en Iran. Abu Hafs y restera 11 ans, il y sera bien accueilli d’abord puis il sera mis en prison et libéré. Il finira par regagner en avril 2012 la Mauritanie sans encombre. Il est installé dans un quartier résidentiel qui verra l’arrivée aussi du tout-puissant Senoussi, patron des services de renseignement libyen qui avait fui son pays après la révolution en 2012. Abu Hafs raconte «à propos de la chute du régime libyen, Senoussi m’a affirmé ceci : « Kadhafi a été victime d’un complot du président français Nicolas Sarkozy ».
Même s’il est difficile de croire sur parole, abu Hafs a livré de nombreuses informations sur Al Qaida. Ce livre révèle cette mécanique qui a conduit à la création d’Al Qaida. Cependant, la défaite des talibans a réduit les capacités de cette organisation mais a permis aussi l’émergence de nouvelles entités terroristes autrement aussi meurtrières si ce n’est plus.
Mais plus étrange dans cette histoire ? Si Ben Laden et bon nombre de son précarré sont éliminés et certains toujours activement recherché, Abu Hafs, lui, vit toujours dans un quartier résidentiel de Nouakchott, sans doute sous l’œil des services secrets mauritanien. Comme s’il n’a jamais appartenu à Al Qaïda !!! Pour qui ? Pourquoi ? Le livre – ou du moins Abu Hafs – n’apporte pas vraiment une réponse convaincante.
Y. K.
« L’histoire secrète du djihad, d’Al Qaïda à l’Etat islamique » de Lemine Ould M. Salem publié chez Flammarion.