Jeudi 11 novembre 2021
Fermeture du GME : c’est un leurre de croire qu’il n’y a qu’un seul perdant
La presse espagnole s’est donné à fond cette semaine pour préparer l’opinion publique espagnole que la décision de la fermeture de Gazoduc Maghreb-Europe (GME) est défavorable pour leur pays qui sera en difficulté pour affronter l’hiver.
La même presse assure l’opinion espagnole que les responsables algériens garantissent l’approvisionnement par un complément en Gaz Naturel Liquéfié (GNL) mais aucun d’entre eux ne dit à quel prix ?
Ainsi nous lisons dans la revue économique Cordoba l’interrogation de Rodrigo Yagüe, professeur à l’OBS Business School : « Le risque de pénurie pour les familles est vraiment faible mais le fait de devoir transporter du gaz naturel par voie maritime entraînera un surcoût qui déclenchera inévitablement une escalade du prix que nous allons finir par payer les consommateurs un prix qui est actuellement à des niveaux très élevés ». (01)
D’autres ont profité de cette fermeture pour raviver le vieux débat des années 90 sur la sécurité énergétique et le risque des pays fournisseurs frappés par le terrorisme comme l’Algérie.
Nous lisons aussi dans Libremercado dans sa livraison du 29 octobre dernier, une vieille querelle espano-espagnole : « L’une des recommandations il y a quelques années des géostratégistes de La Moncloa et du ministère de la Défense était de réduire significativement la dépendance au gaz algérien compte tenu de la forte implantation de groupes djihadistes dans le nord du Mali et de la situation d’un État défaillant en Libye. La frontière que partagent ces pays est désertique et totalement perméable et pourrait attaquer les installations gazières du centre-sud de l’Algérie, provoquant des problèmes d’approvisionnement.
La recommandation est tombée dans l’oreille d’un sourd, car elle n’a été respectée qu’en 2019 et 2020, et avec des chiffres d’achat encore relativement élevés. La chance dans ce cas est que le gouvernement algérien, pour le moment, a agi avec force dans les deux attaques contre des installations de gaz qui ont eu lieu en 2013 à In Amenas – où pour en finir avec les djihadistes, un véritable massacre a été provoqué en attaquant avec des combattants de combat – et en 2016 à Krechba. »
1- Pourquoi les officiels espagnols laissent s’instaurer ce débat
Une semaine très chaude qui a occupé les manchettes de la presse espagnole n’a pas fait bouger d’un iota les responsables qui ont eu à visiter l’Algérie et reçu des garanties fermes que l’approvisionnement sera réalisé sans faille par le Medgaz et un complément en shipping de GNL.
Il n’y a pas une explication plausible que celle de voir l’Espagne mettre de la pression sur Alger qui consiste à dire que leur population s’inquiète sur les capacités d’approvisionnement de l’Algérie, notamment à l’approche d’un hiver froid. Ces responsables auraient pu intervenir pour rassurer l’opinion publique suite à leurs différentes visites en Algérie et leurs rencontres au plus haut niveau de ce pays.
Doit-on détecter par là une certaine pression dont le but d’insinuer aux responsables Algériens de ne pas évoquer le prix du GNL dont le million de BTU atteint des records historiques en Asie notamment au Japon. Il faut préciser par ailleurs que le complément promis voire garanti par Sonatrach pour compenser le Medgaz va couter cher au lieu de le vendre au prix 3 à 4fois plus que le prix contractuel avec l’Espagne. Ces questions ont-elles été exposées au président avant de mettre en œuvre la décision connue de tout le monde déjà prise il y a quelque mois?
2- Quels sont exactement les faits ?
Le Maroc qui, selon toute vraisemblance, s’attendait à la décision algérienne de ne plus faire transiter son gaz destiné aux centrales espagnoles et portugaises à travers le gazoduc GME, envisage de poursuivre l’utilisation de ce gazoduc dans le sens inverse. En effet, des démarches selon ce que confirme une source marocaine, le royaume étudie la possibilité technique et juridique d’obtenir du gaz pas nécessairement algérien en utilisant ce gazoduc (GME) dans sa partie espano-marocaine dans le sens inverse, probablement en réponse au « niet » algérien en s’appuyant sur la clause destination du contrat qui le lie à son client espagnol.
L’intervention du chef de l’Etat à la veille du 1er novembre signifie que le royaume devra faire une croix sur les revenus engendrés par le passage du gaz algérien sur son territoire estimes à plus de 200 millions de dollars.
En effet, l’Agence Presse Service (APS) avait obtenu du groupe Sonatrach que le contrat qui lie l’Algérie à l’Espagne « empêche » ce client d’écouler le « gaz algérien importé hors de leur frontière. » Il est clair que Sonatrach s’implante et confirme sa position de principal fournisseur de gaz pour l’Espagne car son poids dans la production de l’électricité est passé de 33,1% en 2019 pour descendre exceptionnellement à 29,1 en 2020 pour s’établir selon les rapports des sociétés utilisatrices à 47,2% en 2021.
Rappelons par ailleurs qu’il était 48,2% en 2017. Il est à souligner aussi que le gaz algérien qui transitait par ce gazoduc alimentaient deux centrales à cycle combiné ; une dans la région de Tanger Tahaddart et l’autre près de la frontière ouest de l’Algérie dans la ville d’Oujda Ain Béni Mathar.
Ces deux unités sont gérées par la société espagnole Endesa qui détient plus de 20% sur deux centrales Tahaddart et Abengoa respectivement. On comprend la gêne et la confusion des Espagnols vis-à-vis du Maroc. Désormais, le problème du gazoduc GME n’est pas seulement politique mais économique et financier pour les raisons ci-après :
Cette œuvre en service depuis1996 ne se limite pas au ‘piping’ mais s’accompagne d’une infrastructure de pompage dont la commande est en Algérie qui envoie le gaz. Pour revenir dans le sens inverse il va falloir un investissement considérable dans ce sillage pour faire revenir au Maroc le gaz algérien en supposant quelle ferme les yeux sur la clause « destination ».
S’agissant de l’éventuel approvisionnement du Maroc par le gaz de schiste américain ou le GNL qataris, il faudrait en plus des stations de regazéification. Ceci nécessite du temps et des capitaux qui feront grimper le prix du gaz pour le rendre non rentable ;
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Pour que l’Espagne puisse vendre au Maroc du gaz algérien, elle aurait donc besoin de quantité et de volume supplémentaire d’Algérie. Ce qui n’est pas possible étant donné les capacités du Medgaz et les pertes de l’Algérie concernant le complément à livrer en GNL : le GNL à des frais supplémentaires qui consiste à liquéfier et à transporter ;
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L’exportation du GNL à l’Espagne comme complément de volume fera perdre à l’Algérie suivant les prix établis entre 12 à 13 dollars ou plus cet hiver qui est le prix du marché, car cela suppose que le prix de vente sera aligné avec le contrat gazier Algérie Espagne ;
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L’Espagne insiste sur sa crainte du manque d’approvisionnement notamment dans la perspective d’un froid d’un hiver très rude ;
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l’Espagne acceptera difficilement la révision à la hausse des volumes de GNL complémentaire car ils ont reçu toutes les assurances de Sonatrach. En revanche Sonatrach restera le grand perdant concernant les prix de ces quantités de GNL manquant l’opportunité de les exporter à des prix très haut notamment actuellement.
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Les risques à considérer en toute éventualité les arrêts d’expédition de GNL en cas de mauvais temps ;
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Sonatrach a s’est-elle encore conformée à « la nouvelle norme ISO pour la sécurité des opérations de soutage des navires fonctionnant au GNL »» Concernant la flotte « navires » de Sonatrach, elle devra être convertie selon les nouvelles exigences IMMO 2020 ratifié signé par l’Algérie en 2018 dont la date limite de mise en œuvre a été juillet 2021. Si Sonatrach ni se conforme pas à cette exigence, ses navires seront donc considérés polluants, devant payer les convoyeurs au niveau des ports. Elle lui causera en conséquence des des coûts supplémentaires.
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Dans tous les cas de figure, dans une éventuelle négociation sur le prix avec l’Espagne, elle évoquera les engagements de l’Algérie et les garantis de Sonatrach.
Dans cette affaire, l’Espagne crie la bouche pleine pour baisser les prix au détriment de la recette algérienne sachant qu’elle l’obtiendra étant donné les circonstances car l’Algérie a montré qu’elle assume ses décisions et respecte ses engagements avec ses clients notamment européens situés dans son marché de proximité.
Les deux pays restent les grands perdants doublement : financièrement sur le court terme et historiquement pour avoir entravé la constitution et la coopération du grand Maghreb. La sagesse devra-t-elle prendre le dessus sur la passion quelque soit l’enjeu politique ?
Rabah Reghis
Renvois
(01)-https://www.diariocordoba.com/economia/2021/10/27/ribera-viaja-argelia-cierre-gasoducto-58854349.html (02)-https://elpais.com/economia/2021-10-31/argelia-cierra-el-gasoducto-que-transportaba-gas-a-espana-a-traves-de-marruecos.htmlhttps://www.sandiegouniontribune.com/en-espanol/noticias/story/2021-10-27/espana-busca-garantias-de-argelia-sobre-gas-naturalhttps://www.20minutos.es/noticia/4869572/0/gasoductos-marinos-barcos-metaneros-regasificadoras-por-que-es-tan-importante-para-espana-el-gas-argelino/?autoref=truehttps://www.diariocordoba.com/economia/2021/10/27/ribera-viaja-argelia-cierre-gasoducto-58854349.htmlhttps://english.elpais.com/economy-and-business/2021-10-28/why-the-closure-of-an-algerian-gas-pipeline-is-bad-news-for-spain.html