Mercredi 26 mai 2021
Mes combats pour la survie à l’étranger (III) : quand le hasard s’y met !
Les jours qui ont précédé la fin de mon dernier CDD, le hasard quasi-déterministe ou, si vous préférez, ma bonne étoile, me fait rencontrer Michel Binion, un ingénieur, chef de projet CNRS, autour d’un pot de fin d’année organisé par la direction de l’EIST, pour je ne sais quel événement.
Très vite, la discussion s’enchaîne et s’anime autour du projet SOPHY. Un sujet dont il a la responsabilité, et qui s’articule autour de la réalisation d’un système multi-capteurs, sous forme de bracelet montre (comme ces montres connectées qu’on trouve, de nos jours, sur le marché), pour l’analyse des phases du sommeil. Analyse qui s’appuie sur les relevés des rythmes cardiaque et respiratoire détectés via la pression artérielle qui s’opère au niveau du pouls. Un sujet sur lequel nous avions, à l’époque, une longueur d’avance sur tous les autres laboratoires. Grâce notamment à une étude comparative avec les résultats obtenus par analyse EEG (électroencéphalogramme) effectuée en milieu hospitalier et dont nous étions devenus les rares experts, en France et à l’étranger.
Si le projet m’intéresse c’est qu’il rejoint un de mes sujets de prédilection : l’analyse du signal par transformée de Fourier. Convaincu que j’étais l’homme qu’il faut, jusqu’à en faire son crédo, Michel s’entête et fait un forcing extraordinaire auprès de la direction pour faire accepter l’idée de mon recrutement et faire équipe avec lui. Il a réussi, et je tiens à lui rendre un hommage tout particulier. Si je ne suis pas (encore) au chômage c’est grâce à lui. Inutile de revenir sur toute la gymnastique administrative que Michel a dû affronter avec brio. Pour contourner la limite imposée par l’université en termes de nombre de CDD, Michel a dû passer par une entreprise de la région qui avait accepté mon recrutement officiel. Je faisais donc partie du personnel de cette entreprise tout en travaillant à l’École.
Me revoilà donc, encore et toujours, à l’EIST.
Comme d’habitude, le projet est pris avec un sérieux sans faille. En moins d’un an, nous avons initié un ensemble de collaborations avec quatre centres hospitaliers d’expérimentations ainsi qu’avec le centre de recherche INRIA (institut national de recherche informatique et automatique) de Rocquencourt. Nous avons deux communications ORALES acceptées dans des congrès de médecine (Eh oui ! de médecine !) et un poster au congrès interdisciplinaire de l’ENS Cachan. Poster retravaillé pour se transformer en publication dans une revue spécialisée. Inutile de vous dire qui est le maître d’œuvre de l’intégralité de ces productions !
Petite parenthèse : à la suite du départ de F. Saniez à l’Université de Rouen, il fallait trouver un remplaçant pour assurer les TP de 2ème année (équivalent de la 4ème année universitaire). Devinez à qui on s’adresse ? À K. Madani, bien sûr.
Tout cela, la direction de l’École l’ignore, je suppose !?
Après avoir tout dévoilé, en toute transparence, j’aimerais poser une petite question à la direction : estimez-vous que l’École ne doit rien à K. Madani pour ainsi lui barrer la route d’une titularisation à l’EIST ? J’imagine que la réponse est non. Comment peut-on espérer une autre répartie que celle-ci quand la direction affirme ne rien devoir à F. Saniez. Bravo ! Bravissimo même ! Bientôt, on pourra avancer l’idée que l’École ne doit rien à G. Stallion. Et, pourquoi pas J. Wasse, le fondateur de l’EIST, pendant qu’on y est ?
Avril 1998. Publication des postes de l’enseignement supérieur. Enfin un poste de professeur pour remplacer G. Stallion dont le départ à la retraite était prévu pour le mois de septembre 1998. Les jours passent, les bruits de couloirs s’intensifient, les pronostics vont bon train. L’intox aussi.
– C’est pour P. Brillant, disent les uns !
– Non, c’est pour Mouthon, rétorquent les autres.
– Arrêtez ces commérages, je reviens à Lamberneau ! lance F. Saniez de Rouen, le poste me revient de droit !
Et j’en passe…
Dans tout ce méli-mélo de suspense digne d’un Agatha Christie -tout au moins sous mon angle de vue- personne, absolument personne, n’évoque l’éventualité de la candidature de K. Madani. Pourquoi ? Est-ce le fait de m’être fait tout petit que, sans le savoir, je suis devenu microscopique et invisible ?
À ce propos, je me permets encore une petite digression anecdotique :
Le jour de ma soutenance d’habilitation, en janvier 1996, un des membres du jury voulait savoir quelle était ma contribution à la formation doctorale. Je nomme T. Chardon, M. Ikézouzène, en tant que codirecteur (non-officiel, évidemment) de thèse, et d’ajouter : -mais je ne prétends pas avoir formé « Meuhsieur » Brillant (Clin d’œil aux étudiants qui lui ont collé ce sobriquet, pour des raisons pas trop difficiles à deviner). Pour moi c’était un signe d’amitié envers Pierre et aussi pour qu’il arrête de ressasser sans cesse que sans moi sa thèse aurait été nulle.
Petit bond en avant. Décembre 1997. Lors de la soutenance d’habilitation de P. Brillant, G. Stallion prend la parole et félicite Pierre « lequel a été le premier à avoir effectué un véritable travail de synthèse sur la contre-réaction optique dans les lasers à semi-conducteur et à l’avoir publié » (sic). À ce moment, j’attendais que Pierre me rende la monnaie de mon amitié et dise : -oui, mais la collaboration de K. Madani m’a été d’un grand apport ! Pensez-vous !? Il n’en fut rien. C’est fou ce que les gens se prennent à leur jeu de vouloir cacher le soleil avec un tamis (dicton de chez nous).
Je reviens au poste de professeur. Les jours passent, l’éventualité de ma candidature ne se profile toujours pas. Un matin, je rencontre un collègue de l’option Électronique (il se reconnaîtra sûrement). Dans les couloirs il me tient les propos suivants : -dis-moi Madani, c’est toi qui leur a demandé de ne pas parler de toi, n’est-ce pas ? Tout le monde connaît ta contribution au labo d’Optronique, mais apparemment, on parle de la candidature de Mouthon, de celle de Brillant, de X, de Y, mais pas de toi. Ça m’a turlupiné un peu et je me suis dit que tu devais certainement avoir dit que le poste ne t’intéressait pas pour qu’on t’ignore à ce point.
Je réponds par une boutade : – Tu sais mon ami, les postes c’est comme les femmes, il y a celles qu’on épouse et celles qu’on n’épouse pas (c’est ce qu’on dit. Pour ma part, je considère que toutes les femmes ont droit au bonheur) ; donc, il y a ceux qui méritent des postes et ceux qui ne les méritent pas. Apparemment, je fais partie de la 2ème catégorie. Merci cher collègue, mais comme je te l’avais dit de vive voix : -je n’ai rien demandé à personne. C’est peut-être bien là que réside le problème ! K. Madani n’est pas du genre à se mettre à genoux ou à plat ventre pour implorer ou supplier les hommes !
Les jours passent, l’échéance de dépôt de candidature arrive, Je dépose la mienne, j’attends que le labo se réunisse pour définir une position claire, rien, toujours rien. À quelques jours de la composition de la commission mixte, Marie me fait comprendre qu’il fallait éviter à tout prix de faire appel aux copains de G. Stallion, notamment ceux de Besançon. Je crois comprendre que ceux-ci ne me seraient pas favorables (! ?). Tout ça me turlupine. C’est trop flou pour moi.
Samedi 16 mai, je prends mon courage à deux mains et décide de parler en toute franchise avec G. Stallion, en présence de Pierre Brillant, car je suis pour une transparence totale. Je ne suis pas souvent très bavard mais, ce jour-là, comme si une force supérieure me dictait ce que je devais dire, en 10 mn, j’avais cru convaincre Stallion et Brillant que ma candidature était peut-être la plus propice pour la suite des sujets développés au laboratoire, ayant participé pratiquement à tous les projets novateurs et signé des publications sur la plupart des sujets développés par l’équipe du département d’Optronique.
Laisser le poste ouvert équivaudrait à demander à quelqu’un de débroussailler, de défricher, de labourer, de semer, ce que j’ai fait pendant huit ans, et quand arrive le temps de la récolte de faire appel à quelqu’un d’autre. Ce ne serait pas juste !
Par ailleurs, me concernant, il était hors de question d’accepter le poste si un consensus majoritaire du laboratoire ne se dégageait pas. Il fallait donc en discuter avec les autres membres du labo. Chose faite, je crois, le lundi 18 mai, jour où Brillant, Lander et Stallion (bien que, pour moi, le labo inclut aussi Patrice Faisand, Michel Binion, Serge Le-Flohic et d’autres permanents) se réunissent pour soutenir ma candidature. Pendant quelques jours j’y crois vraiment. Comment ne pas y croire quand juste après ladite réunion, G. Stallion passe à mon bureau pour me remettre une publication envoyée par une revue de renom afin de l’expertiser à sa place ?
Commence alors une période d’intox, habilement orchestrée par la direction (là, bien sûr, j’avance des choses dont je ne suis pas sûr. Mais comment peut-il en être autrement quand on voit la composition de la commission mixte, bien choisie pour faire le bon choix ?) et transmise de façon, on ne peut plus fidèle, par Marie Lander, présidente de jury de la commission mixte, avec laquelle j’ai eu les échanges suivants, à quelques jours des auditions :
Madani : qui sont les candidats ?
Marie : vous trois (entendu, Madani, Aït-Mesbah et Brillant), Mouthon et Simenon !
Madani : je croyais que Mouthon n’était pas vraiment intéressé par le poste, c’est ce qui circulait, il y a quelques jours !?
Marie : il peut toujours candidater. De toute façon, ce n’est pas à nous, pas à l’université de régler les problèmes du CNET (des rumeurs annonçant la réorganisation de l’antenne de Lamberneau allaient bon train). Et, d’ailleurs, Mouthon n’a pas tenu ses engagements envers l’École, il n’a rien à faire ici !
Madani : c’est rassurant tout ça ! et Simenon ?
Marie : bof ! Non seulement il n’a jamais professé, mais en plus il a clairement dit que l’enseignement ne l’intéressait pas ! Tu penses bien qu’une école d’ingénieurs a besoin avant tout d’un bon enseignant !
Madani, dans sa tête de naïf : donc moi (selon quelques indiscrétions recueillies auprès des étudiants par Henry, notre technicien de laboratoire, côté enseignement, il y aurait Madani d’abord, et tout le reste ensuite) ! Ça se goupille bien en ma faveur tout ça !
Madani de vive voix : qu’en est-il d’Aït-Mesbah ? (Le deuxième Algérien de l’équipe. Contractuel comme moi. Les deux esclaves du laboratoire d’Optronique, susurrait-on à l’époque, dans les couloirs des labos avoisinants. Dieu, quelle mesquinerie ! Nous avions, tout simplement compris, Aït Mesbah et moi, que la seule façon, en tant qu’Algériens, de nous tirer d’affaire, à long terme, était de travailler trois fois plus, quitte à passer pour des esclaves et gagner moins, au départ).
Marie : alors là lui, les étudiants se sont toujours plaints de sa façon d’enseigner. Il passe son temps à les traiter de nuls, il n’a aucune chance !
Madani, dans sa petite tête de novice en-politique : donc, il ne reste plus que moi, puisque, à ce qu’il m’en a confié, Pierre retire sa candidature pour me laisser gambader seul sur le boulevard de la titularisation !
Le 4 juin au soir, on crochète quelques bonnes bouteilles. La bière et le champagne couleront à flots !
Pendant les quelques jours qui ont précédé les auditions, j’y ai vraiment cru ! Mais, c’était sans compter sur l’implacabilité et la cruauté des imprédictibles complices, Marie Lander et « Léma Gouilles ». (À suivre).