Lundi 9 novembre 2020
Ces Youtubers algériens qui nous changent !!!
Ils sont légion ces animateurs politiques sur la toile qui rapportent, décryptent analysent les évènements et qui influencent incontestablement l’opinion du citoyen. Adulés par les uns, décriés par les autres, ils sont totalement ignorés par les médias nationaux. Que pèsent-ils ? Que valent-ils ?
Résidants à l’étranger, à l’abri de la répression subie par les locaux, ils n’en demeurent pas moins les animateurs principaux du paysage politico-médiatique, compte tenu de la faiblesse de l’information officielle, de la suspicion du citoyen vis-à-vis d’elle et du musellement de tout débat politique, dans les institutions de la république et la majorité des médias nationaux.
En imposant la loi du fer et de la censure sur les médias et les rares voix de l’opposition, le régime a ouvert à contre-emploi un boulevard à la vulgate de ces faiseurs de bonnes aventures.
Les informations qu’ils distillent sur leurs chaines YouTube et leurs pages Facebook sont pourtant reprises à travers le pays, alimentent les discussions dans les milieux journalistiques et politiques, les cafés, au sein des familles, sur les lieux de travail etc..
Bien que nombreux, certains d’entre eux occupent le haut du podium en terme de vues et d’abonnés. Les chiffres sont imparables.
Basé précédemment en Allemagne puis actuellement en France , Amir Boukhors alias Amir DZ,, figure parmi les plus jeunes d’entre eux et les plus populaires. Les jeunes de Bab El Oued lui ont écrit et dédié une célèbre chanson du hirak. Il parle leur langage et usite leurs idiomes. Il paraît tantôt avec un masque, tantôt avec une lampe d’Aladin ou en tenue de magistrat.
Les procureurs, les juges, les magistrats, hommes politiques et publiques sont ses cibles privilégiés. Disposant de « sources d’informations officieuses » via ses réseaux et ses contacts, soutient-il, Amir Dz devient le plus terrible de leur cauchemar à chaque fois qu’ils sont cités. Ses ennemis le traitent de « fils de sa mère » ou de « troisième année primaire » pour signifier qu’il n’a ni origines ni niveau. il réplique en accrochant la photo de celui qui semble être son père sur le mur et obtient un diplôme parisien de journaliste : il caracole sur les six cent à sept cent milles vues sur certaines de ses publications en 24 heures.
Le sympathique Said Bensedira, son plus farouche détracteur est journaliste de profession. Il émet à partir de Londres. Tantôt souriant, parfois néanmoins méprisant et « bagué » de chevalières magiques ou ensorcelées à chacun de ses annulaires, il ne cesse de menacer nommément les uns et les autres, de « leur enlever le pantalon » comme il dit. Il s’adresse directement aux magistrats, hommes politiques publiques ou aux autorités en les sermonnant quelquefois ou en leur distribuant des bons points d’autrefois. Traitant une partie des Algériens de populace il s’est même dit disposé à supprimer une bonne partie d’entre eux s’il le fallait et s’il en avait le pouvoir.
Après avoir défendu plusieurs personnes et dossiers durant le Hirak, il adopte aujourd’hui, insidieusement, l’attitude de porte voix d’une partie de ce qu’on appelle l’Etat profond. Son audimat a grimpé durant le Hirak, pendant lequel il gagna en crédibilité. Néanmoins le nombre de ses admirateurs commence subrepticement à décroître ces dernières semaines. De confrère respectable, Larbi Zitout est passé, en l’espace de quelques semaines, en ennemi juré après que le frère de ce dernier s’en soit pris à son honneur en s’attaquant à sa femme et sa fille. Il l’affuble tendrement du sobriquet de » Zit Zit ». C’est dire que ça vole très haut entre diseurs de « scoops ».
Larbi Zitout, quant à lui, ancien diplomate en poste à Tripoli dans les années 1990 est passé dans l’opposition après l’annulation du scrutin parlementaire en 1992. Il est l’un des fondateurs du mouvement Rachad. Il émet à partir de la capitale anglaise et se présente comme un ennemi indomptable du “régime des généraux”. A l’allure d’un professeur d’arabe des années 1970 dont le pragmatisme anglo-saxon a façonné le discours et la méthode, il a gagné en popularité durant le Hirak.
Besogneux, minutieux il a émis pratiquement tous les jours durant toute cette période pendant plus d’une heure chaque fois. Ses feuilles à la main, il fait la revue de presse à ses disciples. Il reprend déclarations, discours communiqués officiels, les commente et les analyse. De même, il reprend les principaux évènements dans le monde, les déroule, les explicite à ses internautes, les met à la portée du citoyen Lambda. Il fait de la pédagogie de masse et travaille à gagner la confiance des Algériens. Il s’adresse aux décideurs militaires et leur préconise de remettre les clefs aux civils.
Se défendant de n’être ni laïc ni islamiste et détestant le « iste » que les Occidentaux rajoutent à islam pour qualifier les musulmans il ne perd aucune occasion de défendre les citoyens de la « musulmanie », cette nouvelle contrée virtuelle inventée par un internaute.
Hichem Aboud, commandant retraité de l’armée, a débuté sa carrière de journaliste à la revue El Djeich (revue de l’armée). Il est le fondateur de « Mon journal », auteur de « La mafia des généraux » et créateur de l’éphémère chaine de télévision satellitaire Amel Tv. A la cessation de l’émission de la chaine il se rabat sur YouTube et figure également parmi le top ten des animateurs du paysage médiatique. Il émet à partir de la France.
Connaissant les tenants et les aboutissants de la « mécanique » de la décision en Algérie, ayant vécu les différents régimes et côtoyé bon nombre de décideurs, il livre au téléspectateur son expérience et lui apporte cette dimension postindépendance dont il a été témoin et qui reste méconnu des plus jeunes.
Tantôt en arabe dialectal façon Bab El Oued, tantôt en français ou en langue arabe, il s’applique et prend le temps pédagogique nécessaire afin d’expliquer et de reconstituer les puzzles. Ebranlé par les relations passionnelles qu’il n’a cessé d’entretenir avec le pouvoir et certains de ses hommes, victime de son impétuosité et de quelques-unes de ses prises de positions, il perd de son efficience et de son efficacité quand il se fourvoie dans des sentiers qu’il aurait eu intérêt à éviter, dans un souci de préserver une certaine forme d’impartialité et de déontologie journalistiques.
Son colistier à Amel Tv et fondateur d’Algérie Part, Abdou Semmar, se remet dans la course avec les « Soirées d’Algérie Part » à partir de la France, après avoir subi un sacré retour de manivelle de ses liaisons dangereuses. Se revendiquant journaliste d’investigation et spécialisé dans l’information économique, il est à l’origine de l’éclatement de plusieurs scandales. Méthodique, il tente autant que faire se peut, de fournir à l’internaute des chiffres et des informations « fiables croisées et vérifiées », selon ses propos. Il dispose d’une foule de données qu’il livre néanmoins plus ou moins brutes au téléspectateur. Il gagnerait à mieux les exploiter en s’aidant d’économistes ou d’experts versés dans le monde des affaires afin de les rendre plus parlantes pour le profane.
Enfin, Ghani Mahdi, journaliste, homme de théâtre, polyglotte et ancien candidat à la présidentielle de 2019 figure également dans la cohorte des Youtubeurs les plus en vue en ce moment.
A partir de Londres, maitrisant et accoutumé aux one man show, il s’adresse aux jeunes directement, leur explique le monde, leur conte l’Histoire telle qu’il la perçoit, leur décrit son parcours, les sermonne quelque fois, les oriente souvent, et les somme d’agir et de réagir. Son sourire figé en coin, son air aussi condescendant qu’attristé, ses yeux qui tournoient, la hargne qu’il a l’air d’éprouver envers ce qu’il appelle « le système et ses hommes », l’énergie qu’il déploie afin de ruiner l’image déjà fracassée de ce « système », renseigne sur l’ampleur du traumatisme qu’il a du subir avant son départ pour des horizons plus cléments.
Les animateurs et opposants politiques qui font parvenir leur voix à travers le web sont légion, nous avons cité plus haut ce que l’on a pensé être les plus vues et écoutés en cette dure période de pandémie, de crise économique et politique, de désespoir quasi généralisé.
Accusés souvent d’œuvrer pour des forces extranationales et d’être des saltimbanques par une certaine frange de la population, suivi de près par une autre et en catimini par les tenants de la décision du monde économique, politique, judiciaire, médiatique et sécuritaire à divers niveaux, ils demeurent une source d’information à ne pas négliger, même si elle manque quelquefois de fiabilité et d’exactitude, un espace de débat à visiter dans ce lugubre désert du dialogue et de l’idée .
Dans un pays, à majorité composée de jeunes issus d’une école sinistrée, ne maitrisant généralement aucune langue, où la tradition orale supplante l’écrit et dans lequel l’information, tout médias confondus, est de bois, le rôle joué et l’influence exercée par ces animateurs du web dans la vie politique et médiatique , ne pourront sans conteste, que croitre. Du moins tant que le régime s’ingénie à fermer les espaces de la libre expression.