23 novembre 2024
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Des interprétations flottantes comblent l’ère du vide en Algérie

DEBAT

Des interprétations flottantes comblent l’ère du vide en Algérie

La Constitution n’ayant pas prévu le report des élections présidentielles durant le mandat provisoire d’un chef d’État, seule une traduction complaisante et fluctuante de certains de ses alinéas pouvait proroger l’intérimaire Bensalah, éviter de la sorte l’impasse juridique, une situation de blocage risquant d’entraîner le pays de l’Émir Abdelkader dans « L’Ère du vide » qu’explorait déjà en avril 1989 Gilles Lipovetsky.

Sept mois avant la chute du Mur de Berlin (novembre 1989), le sociologue interrogeait à partir de ce livre (publié chez Gallimard) des populations contemporaines orphelines des idéologies collectives ; se rattachant désormais au puéril et à l’insignifiant, l’Occidental n’écoutait alors que ses pulsions de goût ou lubies personnelles, des préoccupations contemptrices et aguicheuses ramenant chacun à lui-même.

C’est sans doute ce même égocentrisme réducteur qui motive le cheminement mental de leaders politiques algériens moins obnubilés par la démystification des valeurs traditionnelles, le crédo de la désinvolte frivolité, voire un nouvel hédonisme camusien, que par les attraits de la prochaine course présidentielle, celle à envisager dès lors que le vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, ait ouvert la porte du dialogue.

L’entrebâillement laissant apparaître de prometteuses perspectives, tous les alléchés aiguisent leurs appétits, s’apprêtent à thésauriser concomitamment un énième plan de sortie de crise et le dénuement qu’a généré l’absence de candidats crédibles au scrutin du 04 juillet, d’ailleurs reporté. Le désenchantement du Président de l’heure semble inversement proportionnel aux ambitions de prétendants prédisposés, selon la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, à se retrouver « (…) pour dégager des initiatives (…), essayer de trouver une solution pour ne pas aller droit dans le mur » (F. Benabbou, in Tsa, 31 mai. 2019).

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Plus confiant, Madjid Benchikh pense qu’échapper au processus prescrit ne propulsera pas la nation au cœur du chaos mais permettra au contraire à « (…) des institutions de transition démocratique (…) de redonner espoir au peuple » (M. Benchikh, in El Watan, 26 mai. 2019). De l’avis de l’ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, le néant se trouve davantage du côté de l’Article 102 et l’ignorer c’est résolument se passer d’une Constitution cousue main au gré des dérives impériales de Bouteflika, se délester d’un Sénat et d’une «Assemblée nationale depuis longtemps discréditée (…)», se dégager du poids encombrant des Chambres haute et basse, cheminer sur « (…) la voie de la construction d’une nouvelle République » (İbidem).

En attente de sa réalisation, l’auteur de Algérie, un système politique militarisé a récemment rencontré les membres du « Collectif de la société civile » de manière à affiner en leur compagnie un plan consensuel, à travailler à l’élargissement des initiatives, à clarifier les propositions, à élaborer une feuille de route cohérente.

La « Déclaration de principes » adoptée repose sur des règles en mesure de garantir la mutation démocratique que conduiront un gouvernement de compétences et un organisme indépendant chargé de contrôler les suffrages, de veiller aux conditions assurant «la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, le respect des droits humains …», soit la réussite concrète du « Hirak 2019 ». Bien que partageant avec l’universitaire l’idée qu’il s’agit là d’un « Soulèvement populaire qui peut demain devenir une véritable révolution», nous ne croyons pas que des associations et syndicats autonomes infléchiront nettement les positions des donneurs d’ordres.

Ces groupuscules manquent en effet de coffres ou d’accoutumance et peuvent surtout être infiltrés par la police politique. Reconnaissant lui-même que partout influente la Direction du Renseignement et de la Sécurité (DRS) demeure l’œil de la surveillance généralisée, l’ex-directeur de l’École doctorale de droit et sciences humaines de l’Université de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) n’ignore pas ses facultés coercitives, sa façon de retourner tel ou tel quidam censé insoupçonnable.

Des individus sans lien de dépendance seraient sans doute plus à même d’orchestrer l’alternative, d’intervenir au carrefour d’une conciliation à l’approche de laquelle le pouvoir aimerait désigner les personnes qu’il juge crédibles, sélectionner entre autres celles des partis « coquilles vides ». Nous préconisons toujours à ceux-ci de se saborder (façon d’évacuer le FLN), de faire « Place à l’esprit affûté des pourfendeurs de statu quo » (intitulé d’un précédent texte), à notre sens dignes de figurer au tableau d’honneur car parfaitement habilités à affronter les décideurs du premier cercle.

Face à des gradés affiliés aux soldats des frontières, Djamila Bouhired incarnera la Révolution intérieure des maquisards, ceux en faveur desquels le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) projetait les citoyennetés d’une İndépendance que confisquera le clan d’Oujda et leurs héritiers directs. Les professeurs Louisa Dris-Aït Hamadouche, Nacer Djabi, Rachid Tlemçani et Madjid Benchikh entoureront l’égérie pour rappeler que la pseudo-légitimité historique doit dorénavant s’effacer devant la légitimité démocratique que défendent les avocats Mustapha Bouchachi, Mokrane Aït Larbi ou les militants Amira Bouraoui et Hakim Addad (aujourd’hui animateur du Comité de soutien vigilance au mouvement du 22 Février), quatuor pareillement présent à la table des négociations.

Nous convions en conséquence les neuf missionnés ou figures du « noyau dur » à apostropher les divers politologues, érudits ou frondeurs qu’ils estiment aptes à tester l’état-major, notamment sa volonté de quitter définitivement le champ politique, capables de lui arracher les concessions du protocole d’accord. İndubitablement à l’origine de la conscientisation générale, les cautions morales ou interlocuteurs de notre choix s’acquittent d’emblée des blancs-seings constamment exigés. Gages d’une éthique et intégrité intellectuelle, leurs dénonciations ou luttes, mises au point ou contributions épistolaires, perspicacités introspectives ou pertinences analytiques éveilleront un mouvement populaire vis-à-vis duquel ils n’ont pas à quémander une représentation publique pour convaincre le Commandement militaire de renoncer à l’autoritarisme arbitraire, de tourner la page, d’écrire les actes de la Renaissance.

Susceptible de participer aux phases émancipatrices du « Hirak », Mouloud Hamrouche possède une expérience non négligeable de médiateur, dispose, d’après le journaliste Ammar Belhimer, « (…) d’une boîte à outils et du mode d’emploi pour amorcer la transition espérée, aller vers un État de droit assis sur une économie sociale de marché. » (A. Belhimer, L’Expression, 02 juin. 2019).

Rétive au modèle planifié du parti unique, sa vision libérale autorisait en 1989 «le transfert du pouvoir aux industriels et entrepreneurs, ingénieurs, cadres et autres sociétés ou sphères savantes » (İbidem) mais manquera du soutien de militaires préférant à l’époque dessiner la carte du « Pluralisme factice » ou des cooptations clientélistes et régionalistes.

Avertissant que contester l’Armée à outrance signifierait vouloir franchir une ligne rouge, Ammar Belhimer la compare à celle qui lors de la Révolution des Œillets d’avril 1974 facilitera au Portugal le départ du dictateur António de Oliveira Salazar. Flatteur, le lien instaure pourtant un écran de fumée aveuglant la réalité du terrain et d’un contexte global (montée des nationalismes, de leurs corollaires, les relents fascistes et protectionnismes culturel, identitaire ou économique) non propice aux décantations positives, ce que démontrent les tentatives d’avortement de la protestation soudanaise, ensanglantée à l’image de l’élan mobilisateur des étudiants chinois.

Les événements de la Place Tiananmen (15 avril-04 juin 1989) incitent à garder à l’esprit une part de pessimisme tant en Algérie l’instance dirigeante n’a sûrement pas l’intention de se départir de ses privilèges et monopoles, de lâcher l’emprise sur les médias ou d’abandonner l’instrumentalisation de la justice.

Se postant à l’arrière-plan d’une scène où se pavanent des ministres préalablement désignés, elle dépêchera probablement des observateurs au sein des futures conférences nationales, concoctera en catimini des manœuvres dilatoires et schémas inhibiteurs. Les opérations d’assainissement anti-corruption sont de la poudre aux yeux, masquent la réelle nature de généralissimes et gardiens du temple profitant abondamment de la logique rentière, des camouflages de l’évasion fiscale ou fuites de capitaux, ne lésinant sur aucun des procédés malveillants pour imprimer les marques stérilisantes du compromis de façade.

Lorsque le trop plein de « plates-formes » remplace L’ère du vide, le rapport de force tourne souvent au désavantage des porte-paroles du démantèlement de l’ordre établi, donc au profit des entremetteurs de la cohésion arbitrale, ces chevaux de Troie de l’état d’exception. Dite chronotope, l’année 1989 temporise le dégel du bloc de l’Est, de contrées maintenant incorporées à la communauté européenne : souhaitons que 2019 soit, trois décennies après, également la marque charnière d’un revirement historique arrimant enfin l’Algérie au monde des modernités.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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