Mercredi 10 avril 2019
La vision de la transition démocratique de Saïd Sadi est erronée
L’Algérie traverse une période particulièrement difficile de son histoire. Après deux décennies environ d’indépendance, la société algérienne doit accomplir sa mue, rompre avec un système politique obsolète et contre-productif, s’inscrire de façon vertueuse dans une mondialisation dont les règles sont fixées par d’autres et travailler à son unité, parce qu’elle ne constitue pas encore complètement une nation.
Ali Mebroukine
Toutes les forces vives du pays sont parties prenantes à la transition
L’ensemble des spécialistes de la transitologie, c’est-à-dire de l’étude des processus de changement d’un régime politique à un autre, notamment d’un régime autoritaire vers un régime démocratique, considèrent que l’ensemble des forces politiques, sociales, économiques et culturelles doivent mutualiser leurs efforts et leur sens de l’intérêt supérieur du pays qu’ils veulent servir, de sorte que la rupture avec l’ordre ancien ne génère ni turbulences ni traumatismes.
C’est sans doute le chercheur américain contemporain Thomas Carothers qui a le mieux analysé ces mutations complexes, notamment dans les pays d’Amérique latine et dans les anciens pays satellites de l’ex-URSS. L’Algérie, quant à elle, a suffisamment souffert d’un colonialisme qui a fait voler en éclats tous les cadres de la société algérienne traditionnelle, d’une guerre de libération nationale pendant laquelle elle a perdu ses meilleurs enfants et d’une indépendance qui n’a pas été à la hauteur des sacrifices consentis et a été l’occasion pour une foule d’aventuriers et d’apprentis-sorciers, de confisquer tous les éléments du patrimoine de la nation.
L’Armée s’est acquittée de son rôle
Parmi les forces qui sont appelées à jouer un rôle décisif dans les semaines et les mois qui viennent, il y a le Haut Commandement militaire (HCM). Il ne s’agit ni de voler à son secours, encore moins de l‘idéaliser ni de lui faire, non plus, un procès d’intention consistant à lui prêter le dessein de sauvegarder le statu quo, en usant d’artifices destinés à faire croire qu’il est devenu un adepte d’un changement radical.
On ne peut pas, cher Saïd Sadi prétendre que l’armée algérienne est nourrie à la culture du pronunciamiento ou du cuartellazo et lui faire grief ensuite de ne pas avoir actionné l’article 102 de la Constitution, lequel, faut-il le rappeler, ne mentionne pas une seule fois l’institution militaire. Le HCM a fini par faire pression sur le Président de la République et sur le Président du Conseil constitutionnel. En vain. Il a fallu alors passer à la vitesse supérieure et quasiment destituer le Président de la République.
On ne peut que louer le sang-froid exceptionnel avec lequel le chef d’état-major, quelque opinion qu’on en ait, a su gérer la crise aiguë des institutions qui va du 22 mars au 2 avril. L’état-major de l’Armée a fait lui-même l’objet d’un complot fomenté par l’ancien patron du défunt DRS, allié en la circonstance d’officiers généraux du DSS qui ont été mis hors d’état de nuire.
Soit dit au passage, la diabolisation de l’institution militaire par l’ancien président du RCD choque d’autant plus que ce dernier a toujours entretenu des relations cordiales voire amicales aussi bien avec le Général Mediène qu’avec son mentor, le défunt Général Larbi Belkheir. Personne ne lui reproche au demeurant cette proximité, mais les positions doivent autant que faire se peut, être cohérentes, chez les hommes politiques qui se veulent, de surcroît, des directeurs de conscience.
L’Armée algérienne a déjà accompli son aggiornamento
Comme vient de le déclarer le responsable de Talaï el Houriyet, Ali Benflis, l’armée algérienne de 2019 n’a strictement rien à voir avec celle qui a assumé l’état de siège en 1988 et 1991 et celle qui a interrompu le processus électoral, le 11 janvier 1992, coup d’Etat suprême, s’il en est, puisqu’il est venu confisquer une victoire électorale irrécusable du FIS, donc flétrir le suffrage universel.
L’Armée s’est considérablement modernisée et rajeunie. Elle est devenue autonome au plan opérationnel et stratégique ; elle est aujourd’hui la première Armée du monde arabe et de l’Afrique, avec pour seule ambition de protéger les frontières nationales et de garantir paix et sécurité aux populations, n’en déplaise à la SG du PT, Louiza Hanoune qui cherche à jeter le discrédit sur une institution dont la composante essentielle émane du peuple algérien. Du reste ce peuple a compris, dès le 22 février que l’Armée était son alliée. Entre 1962 et 2019, l’armée a été la colonne vertébrale du régime.
Des raisons historiques dirimantes le justifiaient au début de l’indépendance, car la seule institution homogène et soudée était l’institution militaire. C’est le lieu de rappeler que le Président Houari Boumediène n’entendait, en aucune manière, faire de l’Armée un outil prétorien, à l’opposé de l’objectif que poursuivait le fondateur du MALG, le sinistre Boussouf, mais un contributeur efficace à l’œuvre de redressement national.
L’armée s’inclinera devant le choix du peuple souverain
L’armée, dans les semaines et les mois qui viennent, n’imposera rien, ne cooptera aucun responsable ou groupe de responsables civils ou politiques, elle ne manipulera aucune association, ne cherchera pas à peser dans telle ou telle option. C’est une promesse qui a été faite par l’ensemble de l’état-major et elle engage tous ses membres, au-delà de la personne du vice-ministre de la Défense, chef de l’EM.
La durée de la transition devra être raisonnable
S’agissant de la durée de la transition et sans vouloir désobliger personne en particulier, il est commode lorsque l’on vit de ses rentes, que l’on dispose d’une épargne abondante et d’un patrimoine immobilier important de plaider pour un long cheminement de la transition.
Ce n’est pas l’intérêt de celles et ceux qui galèrent chaque jour pour subvenir aux besoins de leur famille et que ne laisse pas d’inquiéter la dégradation de la situation économique et financière du pays. Ceux et celles-là appellent de leurs voeux une vigoureuse reprise en main de l’économie algérienne, afin qu’un maximum de richesses et d’emplois productifs soit créés en Algérie même.
L’état des lieux dans l’ensemble des secteurs a été établi depuis 1994, les thérapies nécessaires à la remise en état du malade ont été proposées souvent fois par des experts attitrés qui n’ont jamais été écoutés, lorsqu’ils n’ont pas été tournés en dérision. Prosaïquement parlant, on sait ce qu’il faut faire pour que l’Algérie aille mieux et ce qu’il faut éviter de faire pour qu’elle ne connaisse pas une énième régression.
Ceci dit, Saïd Sadi a mille fois raison de rappeler qu’il faut assainir le fichier électoral (qui est inutilisable en l’état), faire appel à l’expertise étrangère, demander des comptes à ceux qui ont commis des crimes et des délits économiques (dans le cadre du respect de la présomption d’innocence) et écarter rapidement tous ceux qui étaient dans la proximité du défunt clan présidentiel. Mais en aucun cas, l’indispensable refondation de l’Etat algérien ne doit servir d’alibi à différer la réforme économique et sociale qui va surdéterminer tous les changements institutionnels.
Mais de grâce, cessons de brocarder l’armée qui est la garante du succès de la transition.
Ali Mebroukine