Vendredi 29 mars 2019
Qui a intérêt à dénigrer l’élite kabyle ?
Tout mouvement social recèle en lui son épicentre et sa périphérie. L’actuelle sortie du peuple dans les rues à travers toutes les villes algériennes n’échappe pas à cette règle. L’œil de ce cyclone se résume dans un générique vague : le départ du système. Cela en fait, en même temps, une adresse et une embarcation. Vu d’en haut tel est l’aspect que donne de lui-même ce soulèvement populaire extraordinaire.
Pourtant, pour tout observateur averti, la démarche de cette sédition populaire envers le pouvoir est loin d’être linéaire. Sous le voile de l’homogénéité (départ du système) se cache moult divergences, sommes toutes logiques et qui traduisent admirablement la diversité de ce peuple, la multitude de ses orientations et de ses convictions. Est-ce un hasard si, au cours de toutes ses manifestations, la classe politique (l’opposition) s’est gardée d’afficher ses choix politiques pour n’épouser qu’un point de cette dynamique : la chute du système ? Assurément non ! Chaque entité politique de gauche comme de droite, islamique comme démocrate se garde de soulever les sujets qui fâchent (sources de divergences, d’effritements, de divisions). D’aucuns diront c’est de bonne guerre !
L’autre caractéristique de ce mouvement populaire, c’est l’émergence de personnalités politiques qui ont su trancher avec la langue de bois savamment utilisée par les ténors et les leaders des partis politiques mais aussi le retour sur scène de certains acteurs politiques qui ont longtemps gardé silence. En effet les discours de Mustapha Bouchachi, Karim Tabou, Mokrane Ait Larbi, Zoubida Assoul, Djamel Zentai, Samir Bouakouir, Said Sadi, Djilali Sofiane rompent carrément avec les discours mielleux et trompeurs des Mokri, Aboudjera Soltani, Louiza Hanoun et se trouvent aux antipodes des diatribes des Mourad Bouchareb, Ahmed Ouyahia, Amar Ghoul et à un degré moindre d’Amara Benyounes subitement devenu aphone.
On assiste là à un vrai renversement de la situation. La rue a su reconnaître les siens, elle les-nomme, les porte en avant pour qu’ils soient les portes étendards de cette nouvelle Algérie en gestation. L’unanimité que semble se dégager autour d’eux les Mustapha Bouchachi, Mokrane Ait Larbi, pour ne citer que ces deux personnes, n’est pas le fait d’un hasard, bien au contraire. On peut le dire sans avoir peur d’être contredit : la rue s’identifie à leur discours mais plus encore elle leur prodigue ce dit discours. Autrement dit une symbiose totale s’opère devant nous entre ces personnalités et le peuple.
Voilà pour ce qui du centre (épicentre) du mouvement. Reste la périphérie et qui mieux que la Kabylie pour stigmatiser ces contradictions d’un mouvement par essence populaire mais par esprit élitiste ? D’emblée on note que les porte-voix les plus tenaces de ce mouvement et dont les positions se marient avec les revendications du peuple ce sont des kabyles. De Mokrane Ait Larbi en passant par Said Sadi, Karim Tabou, Mustapha Bouchachi, Samir Bouakouir, Djamel Zenati jusqu’à Ferhat Mhenni, l’engagement de l’élite est de mise. Le nombre de sorties, de déclarations, d’articles de presse, de contributions et de passages sur les plateaux télés de cette élite est édifiant quant à l’engagement de ces purs produits du mouvement du printemps berbère de 1980 pour la plus part. Est-ce étonnant ce surplus d’énergie de la part des élites kabyles ? Pas du tout diront ceux qui suivent de prés leur parcours et qui connaissent la fibre rebelle des fils de la montagne (imesdurar). Pourtant, à bien observer, rien n’est facile depuis les événements de 2001 en Kabylie ( ce divorce remonte peut-être bien avant cette date et peut être situé à la mort du feu MCB). L’élite kabyle phagocytée par des luttes idéologiques mais aussi de positionnements par rapport au pouvoir, a perdu des plumes au fils des temps au point où des personnalités de premier plan ne faisaient plus unanimité auprès de la société kabyle et ce ne sont pas les militants des partis locaux qui vont nous contredire sur ce point. Les deux partis forts (FFS et RCD) de la région ont régressé tandis qu’en face un mouvement porté par Ferhat Mhenni voyait son ascendant au sien de la Kabylie : c’est le MAK. Djamel Zenati en retrait depuis 1999 et hors des rangs du FFS se faisait oublier. Il en est de même de Said Khelil, également ancien cadre du FFS, tandis que Mokrane Ait Larbi se contentait de rares sorties, percutantes certes mais loin de soulever la fibre des protestations au sein des couches populaires de la Kabylie. Même la chanson engagée, qui a fait les beaux jours des revendications culturelles de la Kabylie, a marqué le pas depuis le fameux printemps kabyle de 1980, le cas de Zedek Mouloud, un des rares avec Ait Menguellet à continuer à chanter des textes revendicatifs, le démontre si bien. Rien ne peut stigmatiser mieux les contradictions sociales et politiques dans lesquelles se débattait la Kabylie que cette situation dilatoire dans laquelle elle fut plongée depuis 20 ans.
La venue de ce soulèvement populaire à travers tout le pays va, comme une occasion salutaire, faire renouer les gens avec les revendications de la rue mais aussi permettre la réémergence de l’élite politique kabyle sur la scène avec force, témoignant par-là que la vitalité et le sens aigüe de la chose politique n’est jamais mort au sien de ce territoire connu pour être à l’avant-garde de tous les combats démocratiques.
Une Kabylie connue par une forte densité d’intellectuels et d’acteurs politiques et associatifs de diverses tendances, et ce depuis un siècle. Soit depuis la naissance du mouvement nationale au début des années 20 avec l’Étoile Nord-Africaine (ENA) créée par les précurseurs Imache Amar, Radjef Belkacem, Si Djilani Mohand et tant d’autres.
Depuis il n’y a pas un seul mouvement ou parti politique important, une seule organisation syndicale ou des droits de l’homme ou les kabyles ne se sont pas impliqués et dans la plus part des cas, ils sont les initiateurs ou les fondateurs. Du PPA-MTLD (Ali Laimeche, Benai Ouali, Amar Ould Hammouda, …) jusqu’au RCD (Said Sadi, Mohcine Belabbes), MAK (Ferhat Mehenni), RPK (Hammou Boumedine) et URK (Bouaziz Ait Chebib) en passant par FLN (Abane Ramdane, Didouche Mourad, Dehiles, Ouamrane, Krim Belkacem et tant d’autres), UGTA (Aissat Idir/Abdenour Ali Yahia), FFS (Hocine Ahmed, Yaha Abdelhafid, …), MDRA (Krim Belkacm, Slimane Amirat, …), PCA (Bachir Hadj Ali, Sadek Hadjres, …) devenu PAGS (Hachemi Cherif) et ensuite MDS (Hamid Ferhi), FUAA (Rachid Ali Yahia), MDC (Said Khelil), UDS (Karim Tabbou), LADDH (Maitre Ali Yahia, Hocine Zehouane, …).
Pourtant cette Kabylie, vit ses propres contradictions. Plus particulièrement depuis les malheureux évènements du printemps noir de 2001, elle est tenaillée par le désir de s’émanciper du reste du pays, une idée prônée et défendue par plusieurs courants dont le RPK (Rassemblement Pour la République) et notamment le MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie) et l’URK (Union pour la République Kabyle), et celui de rester dans le giron algérien, une option soutenue par le FFS, le RCD et plusieurs personnalités kabyles comme Djamel Zenati , Mokrane Ait Larbi, Karim Tabbou ….
La Kabylie se cherche et trouve des difficultés à s’arrimer à un choix particulier. Cela se voit au cours même des marches des vendredis aussi bien à Tizi-Ouzou, Bejaia, Bouira où des drapeaux algériens se mêlent à ceux berbères et kabyles (que certains appellent étendards du MAK). Sur les réseaux sociaux , la guerre intestine bat son plein. Chacun des tenants des deux courants antagonistes va de ses critiques, parfois acerbes, envers l’autre. De fait, et à leur corps défendant l‘élite kabyle se trouve sur le chemin de ces tirs groupés que s’adresse l’un et l’autre des deux camps. Aucune des personnalités citées plus haut n’est épargnée par leurs critiques. En vérité le mal est profond! Sevré de débats sains par le régime en place, chacun des deux courants en opposition en Kabylie prend des raccourcis et se réfugie (faute de mieux) dans des étiquettes taillées de toutes pièces pour abattre ceux qu’ils considèrent comme étant son ennemi!
Ceci pour dire que l’élite kabyle est à blâmer aussi. A titre d’exemple le malheureux incident qu’a causé récemment M. Karim Tabbou à l’université de Tizi Ouzou en arborant démesurément le drapeau algérien en le chérissant en langue arabe, n’a pas eu lieu d’être. C’était pour répondre à M. Ferhat Mehenni suite à son dérapage verbal par rapport au drapeau en question, confectionné en 1934 par Émilie Busquet, l’épouse de Messali El Hadj. Malgré les excuses du président du MAK-Anavad, le chef de l’UDS aurait dû nous épargner un débat inutile sur ce que les uns appellent la guerre des drapeaux, et qui a enflammé la toile virtuelle (les réseaux sociaux). Cette guerre est la preuve du mal à l’aise identitaire que vivent les algériens depuis au moins 1949 et encore plus depuis 1962.
Telle est la triste réalité en Kabylie, hélas! Et aucun discours pédagogique n’est venu (de la part des leaders de chaque courant) pour atténuer ce ton amer adopté par des militants zélés, qui n’ont pour argumentation que l’insulte gratuite pour défendre leurs fausses bases. On a l’impression que la Kabylie est devenue une sorte d’hydre qui mange ses propres têtes. Pourtant ce vent de changement qui souffle sur le pays, en libérant des voix, ouvre des voies pour un avenir plus serein à cette Kabylie qui a payé le prix fort au cours de la guerre de libération mais aussi et surtout depuis 1962 à ce jour pour la consécration d’une vraie démocratie dans l’ensemble du pays.
La question qui s’impose à nous est la suivante : est-il juste ou bon de salir et de détruire cette élite? Qui a intérêt à dénigrer Maître Mokrane Ait Larbi, Hacène Hirèche, Ferhat Mehenni, Djamel Zenati, Said Sadi, Karim Tabou, Hammou Boumedine, … pour des positions prises à chaud alors que les événements s’accélèrent à la vitesse grand V Dans le pays.
Parler des élites kabyles et le rôle de la kabylie dans toutes les luttes qu’a connues l’Algérie depuis 1920, sans parler de l’appel de Londres de Ferhat Mhenni est la conséquence d’un flagrant parti pris. On ne peur pas se prétendre historien quand le but de son écrit est de faire de la propagande plutôt que de rétablir les faits. N’est pas historien qui veut.