Dimanche 23 septembre 2018
De l’intolérance linguistique
C’est toujours difficile d’entendre quelqu’un affirmer : « Je ne veux pas de votre langue » ou plus grave « votre langue ne sert à rien ».
Une langue n’a pas seulement une fonction de communication ou d’échanges des codes linguistiques, une langue est aussi un vecteur d’une identité et le moyen d’expression de la culture d’une communauté ou d’un peuple. Donc, quand on récuse l’apprentissage de la langue amazigh, comme c’est le cas de ces parents d’élèves d’une école primaire de Jijel, c’est faire acte de méprise violente envers ce qui a de plus profond dans l’être humain : le besoin fondamental de reconnaissance.
Le racisme linguistique, comme toutes les autres formes de racismes, prend sa source d’abord dans la hiérarchisation des langues sur une base utilitaire pour finir par la disqualification de toutes celles qui ne remplissent pas les critères qualifiés d’universels, mais qui sont en réalité des critères fixés par les pouvoirs dominants. La langue arabe est utile parce qu’elle est la langue du Coran, la langue anglaise est nécessaire parce que c’est la langue de la technologie, la langue française permet de s’offrir une porte de sortie vers l’exil…etc.
Les parents d’élèves de Jijel, comme tous les autres algériens, ont le droit, dans l’absolu, de refuser l’apprentissage de la langue amazigh s’ils considèrent que cette langue ne leur est pas utile et qu’elle n’a pas à alourdir le programme, déjà chargé de leurs enfants. Mais ce faisant, il faut expliquer à cette catégorie qu’en agissant ainsi ils se placent dans une posture de colons car, refuser Tamazight, ce n’est pas seulement nier la langue des origines, mais c’est refuser la langue des autochtones. La vie est faite de choix, mais chaque choix a ses conséquences.
Bien sûr, cet événement de Jijel doit être relativisé et il faut se garder de mettre de côté l’hypothèse que ce sont les parrains de Mme Naima Salhi, actionnés pour faire diversion sur les remous qui secouent les sommets de l’institution militaire. Il est de nature du pouvoir algérien de transposer les luttes de clans vers des considérations idéologiques ou de focaliser l’opinion sur les menaces internes et externes. C’est, comme on le sait, les abc de tous les systèmes autoritaires.
L’absence de réaction des autorités face à cet événement permet d’accentuer le doute. Car normalement, ces dernières devaient simplement expliquer à ces parents d’élèves qu’étant donné que tamazight est langue nationale et officielle, tous les Algériens, sans exclusive, ont pour devoir de se soumettre aux programmes de l’Éducation nationale et que ceux qui veulent s’y extraire n’ont d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans des institutions scolaires privées. Ne dit-on pas de l’école qu’elle le lieu de rencontre des enfants avec le savoir et de la familiarisation aux valeurs de la nation ?
Sans remettre en cause la volonté affichée par la Ministre de l’Éducation, Mme Benghebrit, de reconsidérer la place de tamazight dans l’enseignement, on ne peut que relever la fragilité de sa position face aux islamo-conservateurs qui ont trouvé, en circonstance, en la personne de M Abderrzak Mokri, leader du MSP, un véritable dealer de la propagande que la latinisation de la langue amazighe est un cheval de Troie des francophiles.
Après toutes ces remarques, il me semble non judicieux et non légitime d’opposer la langue arabe à la langue amazighe. Certes, la tentation est forte d’en appeler à la réciprocité et de répliquer: « vous ne voulez pas de la langue amazighe et bien nous aussi nous ne voulons pas de la langue arabe » ou dit péjorativement « win i k-ibdellen s yibiw bedel-it s yeclem ». Mais cette attitude n’est que le reflet de ce que nous employons à présenter comme un acte de racisme.
Nous gagnerons à rester sur le terrain politique en se focalisant sur les droits linguistiques et la légitime reconnaissance de l’égalité des citoyens à accéder et à développer leurs propres langues.
Bien que je ne suis pas emballé par le concours organisé, sous le haut patronage du chef de l’Etat, pour sanctionner le meilleur poème qui sera fait à l’honneur de la grande Mosquée d’Alger, il est tout de même inacceptable que la condition première de participation est que le poème soit rédigé exclusivement en langue arabe. L’évacuation de Tamazight de ce concours n’est pas fortuite. Nous savons qu’à l’inauguration de « Djamaâ El Dzayyer », toute la cerce diplomatique sera invitée et tout sera fait pour donner à cet événement une dimension internationale. C’est de cette présence officielle dont sera privée Tamazight pour ne pas écorcher, comme ce fût le cas du temps les Uléma, les oreilles des « douctours » de la foi musulmane qui viendront nombreux, à ne pas en douter, admirer le gigantisme architectural réalisé grâce à la « bénédiction » des ouvriers de la patrie de Mao Zedong.
Donc, à bien y réfléchir, la réaction de cette femme de Jijel demandant de dispenser son enfant de l’enseignement de Tamazight et l’attitude du locataire d’El Mouradia ou de Zeralda (selon qu’on est dans l’officiel ou l’officieux), ne sont différentes que dans la forme mais dans le fond elles participent toutes les deux de la politique d’exclusion.
Comme réponse à cette intolérance linguistique, des militants de la cause amazighe, dans le continuum des mots d’ordre du mouvement culturel berbère, plaident sur la nécessité de faire valoir les acquis constitutionnels pour mettre, en quelque sorte, le pouvoir au pied du mur. Bien que respectable, cette démarche va conduire à une impasse si on n’intègre pas la nécessaire refondation de l’État et le redéfinition de la nation algérienne comme nation multiculturelle, comme j’ai essayé tenté de l’expliquer dans la contribution du 08 avril dernier sur El Watan ( https://www.elwatan.com/…/la-question-linguistique-kabyle-e…)
L’enjeu fondamental aujourd’hui est non pas de sauver Tamazight, mais de sauver les langues amazighes dans toutes ses variantes en permettant aux locuteurs de se réapproprier une forme de souveraineté linguistique.
En changeant de paradigme dans l’exposition de nos revendications, nous aurons à gagner en clarifications mais aussi en efficacité. En défendant la langue kabyle, il n’y a aucun paradoxe à dire que nous défendons par la même la langue chaoui ou mozabite, si nous comprenons que la portée de notre revendication est la consécration d’un droit collectif, lequel par la participation de tous fera sauter le verrou de la domination linguistique en Algérie.