Jeudi 5 avril 2018
Tourisme culturel : il y a loin de la coupe aux lèvres !
Les autorités n’accordent aucun intérêt au tourisme, encore moins au patrimoine millénaire laissé à l’abandon
Moins de trente-six heures après s’être penché sur un thème majeur lié à son département ministériel, à savoir le tourisme culturel, à l’occasion de la première conférence qui lui est consacrée, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Hacène Mermouri, vient d’être « dégommé » et remplacé par le wali de Tissemsilt. En matière de stabilité institutionnelle, on ne peut guère avancer que le secteur du tourisme en ait jouit au cours de ces dernières années, d’autant plus que son dernier responsable en date, qui vient de céder la place à Abdelkader Benmessaoud, n’aura passé à la tête du ministère que huit mois et vingt jours.
Il est vrai, cependant, que le tourisme, en Algérie, ne souffre pas uniquement du « turnover » de ses hauts responsables, mais il pâtit surtout d’un manque flagrant de stratégie, le reléguant à un rang mineur. Signe des temps, les statistiques de fin de saison, effectuées en septembre de chaque année, s’occupent plutôt d’établir le nombre de touristes algériens qui se sont rendus en Tunisie- pays des destination « par défaut » de la majorité des touristes algériens-, que des chiffres, trop maigres, des visiteurs étrangers, particulièrement pour la haute saison estivale. Car, pour la saison hivernale, le Sud algérien continue à recevoir quelques touristes étrangers tenant à y passer les fêtes de fin d’année (Noël et la Saint-Sylvestre). Mais, ce n’est plus la grande fiesta, comme c’était le cas au cours des années 70 et 80 du siècle dernier. Ces paysages nus et sauvages ont, eux aussi, été touchés par la malédiction de l’insécurité, particulièrement après l’embrasement de la Libye et des pays du Sahel.
Mais, la donnée dominante et structurelle qui a porté un coup fatal à l’économie touristique, est que la rente pétrolière, sur laquelle est assise l’économie algérienne depuis plusieurs décennies, a décidé que « personne ou nulle autre activité n’est indispensable ». Cette forme d’arrogance a coûté au tourisme algérien des errements historiques et des retards difficilement rattrapables. Environnement, cadre de vie, aménagement des sites, transport, culture de l’accueil, infrastructures hôtelières, diplomatie économique, politique des visas, tout a concouru à faire du tourisme une activité morne, atone, dépréciée, et quasi insignifiante dans les agrégats de l’économie nationale.
Une richesse humaine réduite à la portion congrue
Aujourd’hui, les jeunes Algériens qui ont moins de trente ans d’âge, n’ont vu de visage d’étranger en Algérie que celui des travailleurs chinois ou turcs, lorsqu’ils sortent pour faire leurs emplettes, en fin de journée, dans les magasins et superettes des villes algériennes. Autrement dit, le contact humain et culturel que la jeunesse algérienne est censée développer et fructifier avec le reste du monde, se trouve réduit au monde virtuel des réseaux sociaux ou de la télévision satellitaire.
La conférence organisée à Alger cette semaine sur le « développement et la promotion du tourisme culturel » nous replace dans la perspective d’un bel idéal encore inatteignable dans la plupart de ses attributs. Le ministre que le président Bouteflika vient de « remercier » ce mercredi, soutient que « l’action permanente et conjointe entre les deux secteurs [ceux du tourisme et de la culture] contribuera à la promotion de la destination Algérie et fera également office de passerelle entre le tourisme et le patrimoine civilisationnel ».
Par-delà de cette littérature de boniments, ressassée depuis des lustres, il est malaisé de dénicher des gisements d’espoir qui fasse de la promotion des œuvres et des sites culturels un domaine où le tourisme pourra prospérer et intégrer la grande problématique de la diversification économique. Les raison d’une telle situation sont visibles à tous les coins de rue, dans les sites les plus « portés aux nues » dans les bureaux feutrés de l’administration et dans l’état général du patrimoine culturel du pays, souvent livré au vandalisme, au pillage et à la mafia du foncier.
« Le développement du tourisme culturel pourra se réaliser à travers l’exploitation des atouts riches et diversifiés que recèle le pays ». C’est commode à dire, et c’est dit par le ministre qui vient de terminer son « mandat » à la tête du secteur du tourisme. Une chose est sûre: ce n’est pas en alignant les chiffres des capacités d’accueil du parc hôtelier, par ailleurs, fort modestes, et avec la qualité des prestations que l’on connaît, ou en débitant statistiques des agences de voyage, qu’une telle ambition pourra se réaliser.
Le désormais ex-ministre dit avoir donné des « orientations » à l’ensemble des opérateurs dans le domaine du tourisme, afin d' »inclure dans leurs activités touristiques les musées, sites archéologiques et historiques, les différentes fêtes et festivals populaires ». De son côté, son collègue du gouvernement en charge de la Culture, Azeddine Mihoubi, a parlé, au cours d’un déplacement l’année dernière à Annaba, de « la nécessité de faire des sites archéologiques une ressource économique et touristique en octroyant des concessions pour leur exploitation », en précision qu’une telle mission « incombe au ministère de Tourisme ».
Pillage, vandalisme et urbanisation négatrice de la culture
Dans tous les cas de figure, la mission ne relève pas de la sinécure, même si, au cours de ces dernières années, des actes positifs sont à mettre à l’actif de l’administration sur le plan de la récupération ou restauration de certains bien culturels pillés ou vandalisés. Le dernier geste dans ce domaine, est la restauration de la statue emblématique de Sétif, Aïn El Fouara, attaquée à coup de marteau par un nervi islamiste en décembre dernier, après avoir fait l’objet d’un dynamitage terroriste en 1997.
L’Algérie avait aussi récupéré en 2014 un des symboles de son histoire millénaire représentée par le masque de la Gorgone, volé sur le site d’Hippone, à Annaba, et transféré vers la Tunisie. Cela s’est produit six ans après la récupération à partir des États-Unis, du buste en marbre de l’Empereur romain Marc Aurèle volé en 1996 du musée de Skikda. Un autre acte à saluer: la récupération, en 2014, de la toile du grand peintre Jean François Millet, intitulée La Béquée, exécutée entre 1848 et 1860, volée à partir du musée Zabana d’Oran et retrouvée en France.
Un autre segment des biens culturels algériens, plus complexes à protéger et à préserver, ce sont les sites archéologiques, les peintures rupestres du Sud et certains menus objets faciles à transporter. Un certain nombre de ces objets et sites, ont fait l’objet d’actes de vandalisme, de vol et de contrebande, particulièrement pendant la décennie noire, et même après. Il n’y a qu’à suivre certaines informations données par les services de sécurité- pour les actes que l’on arrive à réprimer et les objets que l’on arrive à récupérer-pour se rendre compte de l’étendue des dégâts. Des milliers de pièces archéologiques, à haute valeur historique et culturelle, se sont volatilisés des lieux où ils étaient initialement, y compris à l’intérieur des musées, pour se retrouver bradés et offerts à des collectionneurs d’outre-mer.
Une vue de l’esprit ?
L’action des services de sécurité, entrant dans le cadre de la lutte contre le trafic des biens archéologiques et la préservation du patrimoine culturel, s’appuie souvent sur la collaboration avec l’Organisation internationale de la police (Interpol); ce qui s’est parfois traduit par des résultats positifs. Mais, certaines disparitions sont devenues définitives.
En outre, des sites historiques continuent à faire l’objet de convoitises de la part d’une certaine mafia du foncier et à s’exposer au rouleau compresseur d’une urbanisation anarchique et forcenée. La ville de Tipasa en sait quelque chose, avec les extensions tentaculaires qu’elle a connues au cours de ces trois dernières décennies. Des défenseurs du patrimoine et de l’environnement commencent même à dénoncer le choix de l’assiette fait pour le projet du port d’El Hamdania, dans la région de Cherchell, confié aux Chinois, et prévu pour être le plus grand d’Algérie et même de l’Afrique du Nord. Une sorte de « hub maritime », avec une zone logistique de 2000 hectares.
Des lieux abritant une histoire multiséculaire, voire millénaire, dans des villes algériennes, pouvant drainer des flux de touristes nationaux et étrangers, ont été sacrifiés sur l’autel d’une modernisation douteuse, étant transformés en cubes de bâtiments inanimés, sales et sans repères. Mostaganem pleure les quartiers de Tidjdit et Edderb, Sour El Ghozlane est devenue orpheline de son ancienne garnison, Aïn El Hammam a vu son église rasée au début des années 1970, les murs de Fort-Polignac à Illizi menacent ruine, les ruines du site de Tobna, dans la daïra de Barika, ont failli être oblitérées par des projets de construction, et la liste est longue des graves agressions que ne cessent de subir les lieux de mémoire et d’histoire.
Pérorer sur le tourisme culturel n’engage visiblement en rien les responsables politiques et administratifs qui se prêtent à cet exercice. Hormis quelques efforts de classification ou de restauration, noyés dans la politique de saupoudrage – à l’image de la Kasbah d’Alger ou du nouveau site découvert sous la Place des Martyrs -, le terrain, en général, à lui seul, suffit à l’exposé des réalités dans leur crue nudité, faisant que le tourisme culturel est, à l’heure actuelle, presque une vue de l’esprit.