Lundi 5 mars 2018
Tamazight et le nécessaire combat pour l’environnement
In Salah, les dégâts des premiers forages de gaz de schiste.
Beaucoup d’Algériens, plus que les autres cousins nord-africains, sont fâchés avec la terre et tout ce qui contribue au respect de l’environnement, le cadre de vie, le respect de la planète, dans une région où l’équilibre environnemental est des plus fragiles.
Suicide collectif ou réaction absurde d’insoumission et de révolte par rapport à la domination de l’État central ? « Nnif lexsara !», dit-on souvent.
En effet, dans quel pays on prend plaisir à jeter les poubelles juste devant sa porte, à verser le reste de ciment ou de peinture au pied du seul arbre qui pousse à côté de la maison, à mettre des grillages rouillés à la place des fleurs, à jeter ses poubelles depuis la fenêtre vers le jardin ou le ravin en-dessous (allez à Cirta/Constantine admirer le décor de rêve des décharges sous chacune des fenêtres donnant sur le Rhummel), à surélever des murs en parpaings hideux au-dessus des murs de pierres de taille ou de beaux murs de terre faits par nos anciens, à barrer la rue pour pouvoir agrandir sa maison lorsqu’on est au-moins commandant ou colonel, à massacrer des palmeraies en y édifiant des blockhaus de béton avec des murs de 4 mètres de haut (1), etc. ?
C’est en Algérie et ce n’est pas l’impérialisme qui est venu pourrir notre pays… pour y chasser ses habitants et s’y installer !
Ce suicide collectif progresse et s’étend à tout le pays, du Nord au Sud. Le gardien du parc naturel de Taghit regrette que « les Algériens qui viennent de plus en plus du Nord laissent leur détritus partout où ils passent, ils ne respectent même pas la propreté des sites rupestres ; nous passons des mois à nettoyer les dunes après leur passage !». Malheureusement, ce sont les mêmes qui laissent leurs couches de bébé et leurs épluchures de pastèques sur la plage à Zéralda, qui laissent leurs détritus sur les dunes de Taghit !
Et pourtant, « l’Algérie est un beau pays… vu du ciel !», pour reprendre l’expression de Merzak Allouache, dite avec tristesse, dans une récente interview à BRTV, à propos du film « l’Algérie vue du ciel » (2).
Le problème de non-respect et de destruction de l’environnement est profond et les solutions ne résident certainement pas dans les mises en scène de nettoyages et de maquillages auxquelles procèdent parfois les ‘’autorités’’ contre les citoyens (3).
Afin de nous réconcilier avec notre pays, il est nécessaire de savoir d’où provient ce divorce entre les citoyens et l’environnement dans lequel ils vivent. Selon nos sociologues, il y aurait des causes historiques, sociologiques et politiques. Quelques unes, les plus évidentes, peuvent être rappelées ici :
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Les différentes colonisations dans l’antiquité et le moyen âge ont perturbé les évolutions naturelles des populations nomades et semi-nomades (Zénètes, ..) sur les hauts plateaux ;
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L’arrivée des tribus bédouines (hilaliennes) à partir du 11e siècle a aggravé et accéléré ces mutations et destructurations, et enclenché le processus de bédouinisation (cf. l’œuvre d’Ibn Khaldoun) ;
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La dernière colonisation française a chamboulé l’occupation de l’espace avec les déplacements forcés des populations et la construction de « cités coloniales », sans lien avec le pays réel. C’était le signal déclencheur de l’exode rural et de rupture avec la terre ;
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L’indépendance politiques des différents d’Afrique du Nord a favorisé la poursuite de cet exode rural et la bidonvillisation des grandes cités (Casablanca, Oran, Alger, Constantine, Tunis, …).
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Les politiques d’industrialisation et autres politiques de collectivisation des terres (« réforme agraire autoritaire ») ont achevé ce qui restait du monde paysan lié à la terre. Certains sont allés jusqu’à qualifier cette situation de « clochardisation des paysans et des exclus », entassés dans les banlieues des cités dites coloniales.
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Les politiques d’arabisation et d’acculturation, par le rattachement à la mythique civilisation arabo-islamique, nébuleuse fondée sur « l’âge d’or de l’islam» et l’approximative « nation arabe », la négation de l’histoire réelle de notre pays, ont produit des citoyens hybrides étrangers dans leur propre pays (4).
Cette acculturation nous semble être la cause principale du divorce entre l’Algérien (ie. le nord-africain plus généralement) et son pays réel, sa terre, son environnement, son histoire et sa projection dans cet espace-temps pour imaginer un possible futur.
Les réponses sont d’abord culturelles : mettre fin à la blessure ancestrale de dépossession de notre sous-continent par les différentes colonisations successives, mais plus grave, par la poursuite de notre auto-négation et mutilation pendant les décennies post-coloniales.
Le processus actuel de réappropriation de notre identité collective par la reconnaissance et officialisation de la langue et de la culture tamazightes constitue le ciment indispensable pour mettre fin à l’amnésie subie pendant des siècles et au divorce actuel entre l’Homme nord-africain et son pays.
Le combat actuel pour l’épanouissement légitime de l’amazighité en Afrique du Nord est indissociable de celui de la protection de l’environnement et du combat écologique.
C’est une nécessité et c’est une urgence face à l’accélération des dégradations actuelles, aux processus de désertification aggravant et pour contrer les politiques aventuristes de ceux qui ont réduit notre sous-continent en butin de guerre des « chevauchées de Okba ».
A titre d’exemple, ceux qui persistent à vouloir exploiter le gaz de schiste dans le Sud devraient aller voir les dégâts des remontées des polluants de la fracturation hydraulique et ses conséquences du côté de Laghouat-Hassi Rmel.
La prise de conscience de la société est engagée et des initiatives salutaires produisent des résultats. Le village écologique Tafilelt, dans la vallée du Mzab, ainsi que les réhabilitations de villages en Kabylie, dans les Aurès dans d’autres régions d’Algérie et du Maroc permettent d’espérer une accélération de la prise en main par les citoyens de notre destin commun, par des luttes locales, pacifiques et ciblées.
La généralisation de l’enseignement de tamazight dans toutes les écoles d’Algérie et d’autres pays, au-delà de l’intérêt d’apprendre à dire et écrire « awi-d aman, awi-d aγrum » (donne-moi de l’eau, donne-moi du pain), c’est d’abord la réconciliation avec le pays des ancêtres, la diffusion de la culture amazighe à Oran, Djelfa ou Annaba ; c’est la réappropriation, sans complexe, du pays authentique, ses valeurs, sa terre, sa flore, sa faune, ses rites… et ses réflexes culturels de défense pour mieux le protéger et le faire épanouir.
Ce combat de réhabilitation historique en Afrique du Nord est similaire à ce qui se passe en Amérique Centrale et du Sud pour les peuples autochtones, dans d’autres pays d’Afrique, et sur d’autres continents. Le combat écologique et culturel constitue la pierre angulaire pour un développement maîtrisé, au bénéfice des citoyens, rempart contre les aspects pervers de la mondialisation des sociétés boursières et des prédateurs.
C’est la seule alternative pour nous et pour nos enfants, pour pouvoir regarder demain «l’Algérie vue de près », sans gêne et sans sentiment de honte d’être nous-mêmes…
A. U. L.
Notes :
(1) A Timimoun, des ‘’riches commerçants du Nord’’ achètent des parcelles dans la palmeraie, abattent des palmiers, bétonnent les sols et construisent dessus des maisons-bunkers de béton, avec des murs de 4 mètres de haut, mettent des gardes armés et… probablement demain des systèmes de tir automatique, comme en Afrique du Sud.
(2) Film documentaire «L’Algérie vue du ciel » de Yann Arthus-Bertrand et Yazid Tizi, 2015.
(3) Mises en scène et maquillage par des campagnes de nettoyage et de peinture : lors de la visite de la reine Elizabeth II en Algérie en octobre 1980, sous Chadli Bendjedid, la Mairie d’Alger avait repeint la moitié de la toiture de la gare maritime d’Alger. Seulement le côté visible depuis la mer, car la reine Elizabeth arrivait par mer, sur son yacht !
Aussi, les arrachages et destructions par la police algérienne du linge qui sèche sur les balcons des villes sont à mettre sur le compte des mises en scènes d’autoritarisme, révoltantes et improductives.
(4) Dans l’étude « Droit des terres et intégration rurale », le sociologue Jacques Berque retrouve une certaine objectivité et un esprit critique qui contrastent avec son alignement arabo-islamique. Sa théorie de « la bédouinité définitive » est alors battue en brèche par les faits. Il s’étonne par conséquent de retrouver le Maghreb Berbère permanent, sans guillemets, égal à lui-même, sous le vernis de la cité islamique et du pseudo-bédouinisme arabe, indistinctement en zones berbérophones et en zones arabophones. Ainsi, à propos de l’organisation écologique de l’espace par les villages et tribus d’Afrique du Nord, et du concept de « région naturelle », il écrit : « Que dire si ce n’est là la survivance d’un droit originel, d’un droit lié au sol et qui a traversé imperturbablement toutes les invasions et toutes les réglementations qu’a connues ce pays depuis des millénaires […] c’est à des faits de ce genre qu’il faut sans doute ramener le concept de “région naturelle“ au Maghreb ». (« Maghreb Histoire et Société », J. Berque, éd. SNED, Alger 1974, p.99).