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Les associations ou la démocratie du quotidien en Algérie

Les cas du Sous-Marin et de l’Afpec

Les associations ou la démocratie du quotidien en Algérie

Les dernières incursions de l’administration algérienne contre des associations d’Alger et d’Oran trahissent délibérément les contours autoritaristes de ce qui nous tient lieu de pouvoir et confirment la volonté politique d’un Etat qui, en réalité, n’a jamais prévu d’accorder quelque espace que ce soit aux acteurs de la société civile.

La brutalité avec laquelle les représentants de l’Etat agissent à l’encontre des responsables associatifs est bien la preuve qu’idéologiquement le disque dur est toujours celui des années 70. Lors des débats parlementaires sur la nouvelle Loi de 1987, les députés de l’époque inventèrent une vision topographique de la démocratie.

« Les associations ne doivent pas rentrer dans nos dix-huit mètres », disaient-ils crânement, persuadés que les véritables décideurs approuveraient leur boutade de mauvais goût.

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Même si la nouvelle loi semblait vouloir rompre avec le régime de l’agrément préalable et du tout-administratif, les députés avaient largement inspiré la véritable stratégie législative et réglementaire consistant à empêcher à tout prix que la société civile puisse se doter d’outils institutionnels autonomes en inventant plusieurs types d’agréments et de procédures dilatoires.

Et si l’Etat algérien et ses agents sont à ce point opposés à un fonctionnement autonome ou libre des associations, c’est peut-être parce que ces dernières sont l’incarnation de la démocratie à l’échelle citoyenne, l’assemblée générale constituant le corps électoral, le Conseil d’Administration étant le parlement et le Bureau de l’association figurant l’exécutif.

Dans nombre de pays, les élites politiques, sociales ou économiques font leurs premières armes dans l’univers associatif ou syndical en y expérimentant, à l’échelle d’un quartier, ou d’une revendication catégorielle le fonctionnement de la démocratie et du débat public.

Il faudra rappeler aux walis d’Alger ou d’Oran autant de fois qu’il le faudra, qu’une association reste, en droit, une personne morale de droit privé et c’est à ce titre que ses animateurs, ses adhérents et ses fondateurs ont la liberté absolue de définir leurs projets et la façon de les défendre , à la seule condition que leurs actions soient conformes à l’objet social déclaré et qu’elles ne contrarient pas l’ordre public.

Malheureusement l’histoire de l’univers associatif algérien n’a jamais renvoyé à des administrations respectueuses de leurs attributions légales et tous les textes qui l’ont régi de 1971 à nos jours n’ont jamais accordé au juge le rôle qui aurait dû lui être accordé comme recours contre les abus et les interprétations discrétionnaires de l’Etat.

Et si l’espace judiciaire est si peu présent dans les textes régissant les associations en Algérie c’est bien parce qu’en haut lieu il n’a jamais été question de concevoir tout cela comme une Liberté Publique constitutionnelle mais bien comme une simple tolérance administrative soumise donc à un contrôle policier et politique sans limite.

Les attaques que subissent aujourd’hui l’AFEPEC ou FARD à Oran et les menaces qui pèsent sur d’autres associations à Alger , comme le Sous-Marin, me renvoient à la conclusion que j’avais tirée à la fin de mon travail de recherche en Juin 1982 intitulé « Les Associations en Algérie / Stratégies étatiques vis-à-vis du phénomène associatif »

Voilà donc ce que j’écrivais à propos des associations algériennes, il y a de cela trente-six ans :

« Est-ce l’effet du hasard si le discours que nous comptions tenir sur les associations s’est partiellement transformé en un discours sur l’Etat ? Assurément non. L’Etat est encore bien trop présent et pesant dans l’univers associatif algérien.

Une législation autoritaire encore en vigueur aujourd’hui, des stratégies nouvelles mais tout aussi insidieuses, tout concourt à pérenniser les traits d’un Etat suspicieux, dense, impertinent et scrutateur.

De façon démesurée l’Etat a déployé ses réflexes, ses rites, ses travers et ses agents dans certains espaces associatifs, ceux-ci devenant progressivement des appendices, ou des composantes du domaine public (…). »

N’est-il pas terrible et inquiétant de constater que sur une période aussi longue, le discours et les pratiques de l’Etat algérien n’ont fait que confirmer son incapacité congénitale à comprendre et intégrer l’immense utilité d’une société civile vigilante, combative, innovante, à saisir l’absolue nécessité de disposer de relais sociaux réels pouvant à tout moment et sur toute question mobiliser des compétences ou organiser un débat d’intérêt national ou local ?

Lorsque Mme Saida Benhabyles fut nommée Ministre chargée de la Solidarité nationale en 1992, un ami poète me demanda de devenir son conseiller puisqu’elle était, de fait, la première interlocutrice du mouvement associatif.

Bien qu’elle fût présidente d’une association féminine dans le sud du pays, mes premiers entretiens avec elles révélèrent chez elle une suspicion maladive à l’endroit des associations, les soupçonnant d’être ipso-facto des cellules agissantes de puissances étrangères, le soupçon s’aggravant d’autant plus si les mêmes associations avaient réussi à se connecter à une ONG de premier rang.

A Constantine, pour plaire au wali, elle refusa la présence d’une association de défense des droits des malades à la rencontre organisée avec les associations de la ville. A Jijel, où se battait courageusement le président d’une association de résidents lâchement abandonnés par le wali, un certain Bachir Frik, elle prit fait et cause pour ce dernier.

Curieusement, les soupçons des autorités algériennes n’étaient jamais dirigés vers des associations à très forte connotation islamiste qui disposaient pourtant de moyens logistiques ou financiers démesurés justifiant amplement le soupçon, voire l’inquiétude de l’Etat.

A contrario, en fouillant dans les archives de la wilaya d’Alger en 1981, je découvris que l’association culturelle Groupe d’Action Théâtrale avait fait l’objet d’un nombre considérable de rapports de police sur lesquels étaient consignés les moindres détails sur les visiteurs extérieurs ou les débats avec les jeunes de la rue Harriched.

Ces nouvelles agressions contre des associations à vocation sociale ou culturelle sont bien la preuve que l’administration algérienne et ses parrains ne comprennent toujours pas qu’une nation repose certes sur un Etat et des institutions solides, mais qu’elle dépend essentiellement de la liberté dont peut bénéficier sa société civile , de la confiance accordée à ses associations , ces espèces de mini-parlement où les citoyens se familiarisent peu à peu à la vie démocratique et où se renouvelle le terreau des leaders , des innovateurs, des porteurs d’alerte, des prospecteurs et plus prosaïquement des patriotes.

Dans des pays plus soucieux de l’avenir de ses citoyens , on se bat pour que les associations  atteignent le grade de la maturité professionnelle, deviennent des lieux d’expertise et d’exemplarité éthique , capables de discuter d’égal à égal avec un Wali ou un Maire  à propos des conséquences positives ou néfastes de tel ou tel projet environnemental ou sanitaire.

Pour paraphraser l’immense Tahar Djaout, il y a des pays qui avancent et il y a des pays qui reculent et ce que subissent l’AFEPEC aujourd’hui, et toutes les autres associations, nous incite à rappeler encore une fois que les associations algériennes sont un espace indispensable de mobilisation sociale et d’engagement citoyen tout aussi légitimes et tout aussi utiles que les projets publics à condition, évidemment, que l’intelligence prime sur la perversion et que les acteurs associatifs soient reconnus comme des partenaires et non comme des adversaires.

Au lieu de surdéterminer la place du politique dans la vie et l’organisation des associations, l’Algérie a tout intérêt à rompre réellement avec les comportements autocratiques de certains responsables locaux dont le seul intérêt est d’assurer leur promotion politique par la corruption, l’instrumentalisation  ou l’étouffement des élites associatives .

Le wali d’Oran peut, certes, s’abriter derrière le rideau des clauses liberticides de la Loi et de ses textes d’application, il n’en demeure pas moins que sa voie de fait caractérisée trahit indéniablement la faillite d’un système politique qui hypothèque l’avenir du pays en croyant le dessiner essentiellement avec Haddad, Tliba , Mme Salhi, Bouchouareb, Khelil et les autres saltimbanques d’un cirque qui n’amuse vraiment plus personne.

La résistance des responsables de l’AFEPEC ou du Sous-Marin et la mobilisation de l’opinion publique sont encore un rappel aux faiseurs d’oukases qu’un Etat, même tyrannique et inquisiteur, n’est jamais en mesure d’accoucher de sa propre société civile.

 

Auteur
Bachir Dahak, docteur en Droit

 




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