Mardi 28 novembre 2017
Merci chers députés !
Et voilà, toute peine mérite salaire et toute allégeance se paie très cher. Des élections municipales et départementales viennent d’avoir lieu en Algérie, élections qui ont vu comme à l’accoutumé, les assemblées locales raflées par les frères siamois du régime algérien : le plus vieux et plus corrompu parti politique (le FLN), et son alter ego, le parti de la junte bureaucratique et affairiste (le RND). Des strapontins et des communes périphériques ont été attribués à toutes les autres formations politiques qui ont bien voulu, pour maintenir une source de revenu et une pseudo existence, participer à cette énième mascarade électoraliste, opportunistes, islamistes et fantaisistes compris. Rien de nouveau à l’horizon ! « Anexsar meqqar, a yak nugh tannumi »* disait Lounis. Trois jours plus tard, le parlement algérien, une autre assemblée votée également dans des conditions frauduleuses habituelles, se prononce sur le budget algérien pour l’année prochaine 2018. Inutile de revenir sur l’illégitimité de ces représentations ni sur leurs prérogatives réelles. La décision politique, secret de polichinelle, n’est jamais sortie des urnes en Algérie depuis 1962, elle se situe dans les coulisses du pouvoir, entre la caste militaire et la mafia rentière qui s’est accaparée le territoire.
Deux décisions ressortent de cette dernière farce, la première est l’objection des députés algériens à l’instauration d’une taxe sur la fortune, ce qui est logique étant donné que la fortune et les richesses justement sont partagées par la caste dirigeante et les indus députés qui ne sont élus que sur la base de la rapine et de l’allégeance. Cela renseigne aussi du rapport entre prétendus électeurs et prétendus élus : aucun. Les députés algériens ne rendent pas des comptes aux Algériens mais aux décideurs qui les ont désignés, aux parrains qui les ont plébiscités, en gros au régime qui les a adoptés, loin s’en faut du petit peuple qui croupit sous la misère, tremble devant le policier ou gendarme et qui clame Qassaman*. Et ça, c’est une autre histoire. La deuxième décision est le refus de la généralisation de la langue amazighe, première et véritable langue nationale depuis des millénaires, et la boucle est bouclée. La question qui se pose, pourquoi cette même assemblée qui a voté à l’unanimité, il y a un an, l’officialisation de Tamazight, s’oppose à sa généralisation ? La réponse est évidente : Tamazight n’est pas désirée en Algérie et les députés algériens disent tout haut ce que « le peuple » algérien pense tout bas. Et ce n’est pas avec la participation, ou l’abstention, de la Kabylie, bastion de cette revendication, que les choses vont changer. Merci, messieurs les députés !
À l’aube de l’indépendance déjà, la chose était évidente. Ben Bella, premier président putschiste, a clairement clamé en trois fois l’arabité de nouvel État algérien, les Kabyles, nationalistes qu’ils sont, n’ont pas voulu entendre. une guerre sera déclarée contre la région, soulevée par le FFS, et 400 valeureux anciens maquisards épargnés par la guerre contre le colonialisme français seront abattus par l’Algérie indépendante, à un an d’âge. En 2001 et dans le feu du Printemps noir, Bouteflika, fidèle à son parrain et à leur idéologie bassiste commune, a « juré » que tamazight ne sera jamais officielle, et « si elle devrait l’être, cela ne pourrait se passer que par un référendum populaire » comme si les peuples du monde votent pour affirmer ou pas leur identité. 128 jeunes manifestants seront abattus par des armes de guerre et des milliers de personnes seront blessées à vie pendant cet épisode.
Tamazight est reconnue tout de même langue nationale en 2002, et sans référendum ! Il a fallu 15 ans après le Printemps noir, 22 ans après le boycott scolaire, 36 ans après le Printemps berbère et surtout l’émergence d’un fort courant sécessionniste kabyle, pour qu’une assemblée populaire nationale algérienne croupion,vote à l’unanimité des oligarques islamo-rentiers y siégeant pour que la langue d’une dizaine de millions d’algériens ait, de second degré tout de même, le caractère officiel. Naïfs sont ceux qui y ont cru.
Au moment de la mise en place d’instruments nécessaires pour la généralisation d’une vieille langue, voilà que « les représentants » du peuple s’y opposent.Chasser le naturel, il revient au galop et les députés algériens retrouvent leur véritable nature : les représentants d’un régime colonial prédateur. Le mot est fort, oui, mais qui est cet État, à travers la planète, qui refuse la généralisation, le développement et la promotion d’une langue revendiquée, utilisée et sacralisée par des millions de locuteurs si ce n’est une force colonisatrice et étrangère ? Même l’État d’Israël que tous les Arabes du monde vouent aux gémonies en l’accusant de colonisation de la Palestine reconnaît la langue arabe à ses citoyens arabes et les quelques milliers d’Arabes qui y résident ont libre usage de leur langue. Pour conclure, il ne s’agit nullement de se rebeller encore, de revendiquer encore ou de se lamenter encore face à un régime clairement ennemi, il faut le combattre, il faut le chasser et songer sérieusement à le dépasser par la mise en place d’un nouvel État, loin du premier, un État qui reconnaît au citoyen son premier droit, celui de parler, de promouvoir sa langue et de rêver avec.
Merci aux députés algériens qui nous l’ont bien signifié.
A. M.
* Tant mieux si nous perdons, nous en avons l’habitude. Paroles de Lounis Ait Menguellet.