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Guerre d’Algérie et essentialisation

HISTOIRE

Guerre d’Algérie et essentialisation

« Cette terre est la mienne avec son amère liturgie,
Ses éclats orduriers, ses routes torves,
L’âme saccagée, le peuple las,
Mienne avec son soleil cassant comme un verglas,
Les dédales affamés où nos muscles se perdent,
Et tant de vanité qui pousse comme une herbe
Là où rêvaient des hommes-rois.
Avec son insolent lignage, ses cadavres climatisés,
Ses tanks et la pudeur du poème
A la merci du cran d’arrêt. »
Jean Sénac, Ordalie de Novembre

Un ami suisse m’a passé le numéro du 15 décembre 1957 du journal El Moudjahid, organe central du FLN pendant la guerre d’Algérie. Mon attention est attirée par l’article en Une intitulé «Les intellectuels et les démocrates français devant la Révolution algérienne », texte sévère et brûlant.

Quand les nationalistes algériens critiquaient les partis de la gauche française de travestir le colonialisme en un magma indescriptible, ils avaient raison. Imagine-t-on aujourd’hui ce que pouvait ressentir à l’époque un algérien, militant de gauche, devant la félonie du parti socialiste français, en qui il voyait un partisan, et qui a initié une guerre totale ? Il faut se souvenir du mot de Ferhat Abbas qui disait : « La SFIO aurait pu aider à la création d’une République algérienne adossée à la France, elle représentait notre espoir, puis sont venus Lacoste et ses parachutistes. »

En fait, dans cet article, le rédacteur reproche aux intellectuels français de ne pas apporter leur soutien à la lutte du peuple algérien quelle que soit la forme que prendrait le combat. Il parle même des actes violents commis par la résistance contre des civils. Or, tout le monde le sait aujourd’hui, l’excès de la violence ne sert ni la guerre ni la paix. L’usage inconditionnel de la terreur, s’il provoque une certaine sublimation, n’est que le simulacre de la force : il affirme que toute maîtrise est absente, que l’avenir est sacrifié au baroud du présent.

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Que dit en substance le papier d’El Moudjahid ? Qu’il n’y a pas à faire une différence entre les européens d’Algérie. Tous les européens sont intégralement colonialistes. Citation : « Toute la nation française s’est trouvée engagée dans le crime contre un peuple et se trouve aujourd’hui complice des assassinats et des tortures qui caractérisent la guerre d’Algérie ».

Cela veut dire qu’en Algérie même, il n’y avait pas à faire la distinction entre les exploiteurs et les autres. C’est tout le peuplement français qui se sentait solidaire d’une oppression inspirée par la conquête.

Hervé Bourges, le géopoliticien Gérard Chaliand, l’écrivain Ania Francos, l’avocat Tiennot Grumbach, le photographe Elie Kagan, les cinéastes Marceline Loridan et René Vautier, le parolier Pierre Grosz auraient apprécié d’être ainsi traités. Ne parlons pas de Maurice Audin, d’Anna Gréki, de Maurice Laban, d’Henri Maillot et de beaucoup d’autres européens qui ont lutté pour l’indépendance algérienne et, pour certains, y ont laissé leur vie.

L’écrivain Jules Roy, de son côté, a écrit : «Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s’est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur. »

Ailleurs, dans le même article d’El Moudjahid, il est écrit : «Etranger et conquérant, le Français d’Algérie ne peut être neutre ou innocent ». Et plus loin : « Tout Français en Algérie, actuellement, est un soldat ennemi ».

Dialectique despotique qui impose sa vision autoritaire. Une telle argumentation, c’est la perversion du raisonnement. Il est évident qu’une telle pensée, d’apparence essentialiste, est en réalité moralisante en renvoyant les êtres à leur origine et non à la façon dont ils conçoivent l’aventure humaine.

On mélange le poète Jean Sénac avec le général Aussaresses. Par-là, le FLN refusait tout droit aux « non-musulmans », considérés comme étrangers à l’essence nationale algérienne. Nelson Mandela, beaucoup plus tard, a montré que son pays pouvait devenir une nation arc-en-ciel en faisant de tous ceux qui le voulaient bien, des sud-africains.

Il faut faire de la liberté avec ce qui est, et nos des impossibilités avec l’histoire. La liberté de la nation algérienne a été hypothéquée par ceux qui se prélassaient du côté d’Oujda sans mettre les mains dans le cambouis et sans savoir précisément de quoi devait se constituer cette même nation.

Ainsi donc, des Algériens comme Jean Sénac, né à Beni Saf, ayant combattu pour la libération de son pays, non seulement n’a jamais obtenu la nationalité algérienne bien qu’il l’ait demandée mais, pire, a été rejeté comme un malpropre parce que « gaouri ».

Le terrorisme des essences, il n’a rien de plus difficile à concevoir ! C’est une mauvaise doctrine idéologique, indigne d’un journal qui était le porte-parole d’un peuple en lutte.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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