Samedi 7 novembre 2020
Bouregaâ, les lanternes et les vessies
Au pays des vertes et des pas mûres, les volte-face supplantent les girouettes. Et qu’importe la direction du vent. Et lorsque le vent qui tourne vient à s’essouffler, il suffit d’une boule de neige pour déclencher l’avalanche.
Une allégation, une supputation, et la rumeur s’en empare avec un enthousiasme qui laisse sans voix (le paradoxe!). Il faut dire que les gens ne se donnent même pas la peine de réfléchir deux secondes. Ils prennent pour argent comptant tout ce qui peut les divertir. Et Dieu! comme le mensonge est divertissant. Plus l’énormité dépasse l’entendement, plus elle est gobée avec une rare délectation.
Ah! la rumeur, cette culture des aigris, cet exutoire des frustrés, cette abominable mentalité. Chez nous, elle se substitue aux Belles Lettres, à l’imaginaire éclairé, à la science conquérante, bref, à l’émancipation des esprits.
Combien de braves ont été emportés par sa crue, combien de génies ont subi ses méfaits, combien d’espoirs se sont éteints dans ses caniveaux ?
La rumeur, mère des fantasmes mortels, sévit là où le libre arbitre a rendu le tablier, où la présence d’esprit est une perte de temps. Dans cette foire aux enfoirés, les langues se découvrent du talent et la bêtise des convictions tandis que l’on tourne les vestes si vite que l’on n’a plus de peau sur le dos.
Le commandant Bouregaâ nous a quittés. Mais qu’a-t-il laissé derrière lui ? Des remords ? Des remises en question ? Je ne crois pas. Ne culpabilise que celui qui a une conscience. Et la rumeur n’en a pas.
Rappelez-vous cette campagne ignoble actionnée contre le Moudjahid Bouregaâ. Cet officier de l’ALN s’est vu, du jour au lendemain, traîné dans la boue par une certaine presse aux ordres. De héros de la Toussaint, le commandant Bouregaâ s’est retrouvé jeté en pâture aux fauves et aux imbéciles. Escroc ! Imposteur ! Usurpateur ! Le combat de toute une vie anéanti en quelques mots par une poignée de liseurs de dépêches qui se prennent pour des journalistes.
Aujourd’hui, Bouregaâ est parti. Et ce sont ces mêmes diseurs de sortilèges qui, toute honte bue, s’exhibent en pleureuses inconsolables.
Etrange monde que le nôtre. Et l’on se demande pourquoi on ne fait que s’enliser dans les sables mouvants de nos infortunes, pourquoi nos lendemains sont sans attraits, pourquoi nos jours sont aussi blancs que nos nuits ?
En vérité, nous ne récoltons que ce que nous avons semé. Nous avons mis les mauvaises graines dans nos jardins potagers, nous avons résilié le serment fait à nos morts, nous continuons de fouler au pied nos monuments, de renier nos saints patrons, de défigurer nos plus belles images, de contester notre génie lorsque nous ne le suspectons pas, d’écouter les charlatans au détriment de nos poètes, de célébrer les opportunistes en vilipendant les meilleurs d’entre nous, de faire allégeance à nos bourreaux d’hier et de crier sur le toit une fierté qui n’est, en réalité, qu’une susceptibilité exacerbée, sans, à aucun moment, le courage de nous regarder en face ne fasse tilt dans notre tête.
Le jour où nous apprendrons à distinguer le bon grain de l’ivraie, à nous méfier des miroirs aux alouettes, à réfléchir avant de condamner, à mettre un peu d’ambre dans l’eau de nos ablutions et à admettre nos torts pour mieux les conjurer, ce jour-là aucun de nos héros ne sera sali et nous n’aurons plus à subir sa malédiction.
Mais ce jour, qui paraît improbable, ne dépend que de nous. C’est à nous que revient le choix capital, celui qui nous aidera à nous relever de nos décombres ou bien à faire corps avec nos déconvenues. Aucun peuple n’est victime, disait un visionnaire, il n’est que le complice assermenté du sort qu’il s’est taillé sur mesure.