Jeudi 16 mai 2019
La laïcité : une chance pour l’Algérie
« Parce que je sais que l’Algérie est aujourd’hui à un carrefour décisif de son histoire, parce que je continue à croire à son grand destin. Parce qu’aujourd’hui, peut-être, commence son avenir. Parce que je sais qu’elle peut enfin devenir elle-même, ce beau mot en sept lettres, si par la liberté et les droits de l’homme et du citoyen, elle retrouve ses textes, ses sources et sa mémoire.
Jean Pélégri, « Ma mère, l’Algérie »
A chaque anniversaire commémoratif de la fête de l’Indépendance, nous mesurons combien le vivre ensemble en paix est, en réalité, une Arlésienne algérienne. La multiplication des actes xénophobes, des paroles racistes, des comportements injurieux et des restrictions des libertés individuelles, sans oublier l’illusion sécuritaire, laisse entrevoir le poids des efforts à fournir pour remettre les pendules à l’heure. Une prise de conscience doit s’opérer, à commencer par l’horloger en chef !
Un Etat qui ne défend point les libertés, est-il moderne, est-il sérieux, est-il fiable ? Examiner le squelette de l’Etat de pied en cape, et l’habiller d’une nouvelle chair à même de lui donner la faculté de mener la société vers une vie meilleure, est ce qu’il y a quelque chose de plus noble ? Car l’Etat, en tant que personne morale, est l’exécuteur permanent et attitré de la volonté exprimée par la communauté nationale dans toute sa diversité. Religieuse et culturelle, s’entend.
La morale recommande la décence mais, actuellement, l’Etat agit sans gêne, en construisant une grandiose mosquée à l’heure où les performances économiques sont pâlottes. Au moment où nombre d’Algériens ne mangent pas à leur faim. Où les chômeurs ne bénéficient d’aucune pension chômage, et d’aucune assurance maladie. Où dans les montagnes, les familles grelottent de froid dans un pays exportateur de gaz. Où les enfants vont à pieds vers des écoles assez lointaines, sans chauffages et sans cantines scolaires. Au Sud comme au Nord, des pans entiers de la société sont exclus du droit aux soins urgents, modernes et efficaces.
Les malades atteints de cancer souffrent le martyre, les sidéens la double peine : le rejet de la société et le manque de moyens de soins. Le comportement de l’Etat frise l’indécence au moment où les citoyens font la manche sur les routes pour aider tel malade à se soigner à l’étranger. C’est à en pleurer : plus le minaret de la Grande mosquée d’Alger monte vers le ciel, plus la bêtise grossit en montrant son nez !
Cette mosquée est une aubaine pour le régime qui n’aime rien tant que de voir le peuple prosterné. C’est une victoire pour les hommes en charge des affaires de l’Etat que de voir le peuple à genoux, à demander l’aide à Allah au lieu de réclamer des comptes à ceux qui le flagellent.
En ces temps de crise exacerbée, la meilleure décision de salubrité politique pour un intérêt général, est que l’Etat se désengage de caresser les questions religieuses, de respecter le relativisme dans la foi et de laisser le peuple se répliquer avec amabilité : « Vous avez votre religion et j’en ai la mienne », laisser les gens se souhaiter la paix, non parce qu’elle est prescrite dans le Livre, mais parce qu’au fond, elle vient du cœur.
L’Algérie en particulier, et les pays musulmans en général, représente un grand corps malade en tournant le dos à la laïcité mais espère atteindre la modernité à reculons, comme une marche vers l’impossible. Combattre pour sauver l’âme du pays nécessite une refondation de la nation pour aller vers un meilleur avenir.
La laïcité est une morale dans toute sa splendeur, une valeur qui rend la société vivante et optimiste.
La laïcité est une chance pour l’Algérie, l’une des meilleures certainement. Et il n’y a que les rentiers de la religion pour refuser la laïcité, il n’y a que les salafistes, les forces de la décadence en somme, pour refuser la sécularisation du droit civil et rendre la foi à la seule appréciation du cœur humain. Une philosophie de vie apprise et adoptée avec conviction ne doit pas être partagée avec la force du glaive. C’est ce dont les islamistes ne veulent pas apprécier le relief car, tout simplement, le respect d’autrui est le moindre de leurs soucis.
La foi n’obéit point, et ne doit guère obéir, à la loi du nombre. La sécularisation des mœurs nous permettra de mieux appréhender nos soucis quotidiens sous l’égide d’un Etat soucieux du bien-être du citoyen. Mais, les islamistes sont là, en sursis, comme des chambellans ou comme constellation de partis politiques, sans jamais perdre de leurs illusions.
Peut-on soulever le V de la victoire contre tout Etat théocratique en Algérie ? Oui, c’est une possibilité à condition d’effectuer une sérieuse action de déminage idéologique, touchant à tout ce qui est infecté. Face au radicalisme théocratique, un projet radicalement opposé, d’essence laïque, respectueux des droits de l’homme doit émerger des esprits d’abord, et des lois de la république ensuite, pour couvrir la nation de ses vertus.
Il faut être libre par essence pour ne plus se soumettre aux désidératas de la Secte des illusionnistes. Chacun a le droit de sortir des sentiers battus. Avoir le droit de choisir une voie spirituelle, de croire, de ne plus l’être, de douter, de se rétracter, de se chercher sereinement. Le doute est le sel de la vie, pardi ! Changer d’avis et d’opinion est une chose ordinaire, résultat du cheminement intellectuel d’un esprit à l’écoute de sa sensibilité, de ses idées et de ses convictions. Changer de religion aussi doit être respectable. Une nation qui abrite une seule religion est une nation hypocrite !
Là où progresse le respect, la fraternité grandit, la discrimination recule et la nation prospère. Et l’homme n’est jamais heureux que lorsqu’il est en accord avec sa conscience : quand ses actes sont au diapason de son éthique.
Contrairement à l’Etat théocratique, l’Etat laïc n’est point d’émanation égoïste. Bien au contraire : il a la générosité comme source et la paix sociale comme horizon où le soleil de la laïcité ne manquera pas d’éclairer les espaces de l’obscurantisme par un éclat fait d’humanisme.
L’Etat doit balayer sa peau de banane sur le chemin des Algériens et leur restituer la clef perdue, il est condamné au choix d’un degré de civisme : la liberté de choisir sa religion, et le libre exercice du culte. Il est condamné au génie politique : écarter les partis islamistes sans devoir verser une goutte de sang. Et au même temps, l’individu aura toute latitude de vivre dans la piété.
De nos jours, méprisé et ignoré avec superbe, le peuple se découvre au mieux comme un décor, au pire comme un intrus. De quoi nourrir un sursaut national bienvenu !
L’idée de bien vivre ensemble, en toute sérénité, est une obsession mondiale. Elle ne peut se concevoir dans la réalité loin du socle du respect mutuel et ne peut guère s’incarner loin de la liberté de conscience. Ce sont là des choses sérieuses vers lesquelles il faut aller vite.
La foi commune est une utopie. Une posture de malthusiens est un danger : pourquoi les uns osent-ils priver autrui de ce dont eux-mêmes ont bénéficié ? Les uns ont eu la liberté de choisir une religion, les autres aussi doivent bénéficier de la liberté de choisir la leur. Une éthique nimbée de convivialité doit rythmer notre vie quotidienne. C’est élémentaire !
Et par ailleurs il ne faut jamais se fourvoyer sur un point cardinal : l’Algérie réelle est le ciment de l’Algérie éternelle.
Les temps actuels exigent une valeur moderne, c’est-à-dire la laïcité tant elle permet de passer de l’étroitesse de l’Oumma à un Monde sans frontières, d’aller du croyant vers le citoyen ouvert et surtout de dépasser le frère en religion pour célébrer le frère en l’humanité.
Seules la lâcheté et la résignation peuvent rendre ce qui est possible difficile, voire utopique. Seule la mauvaise foi peut créer des problèmes là où il n’y a que des solutions. Tout compte fait, il ne tient qu’à nous de nous armer de courage, d’efforts, pour faire de la laïcité une valeur ordinaire dans nos rues, nos villages, nos cités et autres lieux de travail.
Tarik Djerroud est auteur et éditeur