3 mai 2024
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Peuple – Armée : une équation à somme nulle

DECRYPTAGE

Peuple – Armée : une équation à somme nulle

Les Algériens réclament un changement radical du système de gouvernance politique.

« Le pouvoir est une femme qui ne se partage pas », Ahmadou Kourouma

L’Armée est au centre du pouvoir. Le peuple est dans la rue. Variable inconnue du pouvoir, il est devenu un acteur incontournable. Le pouvoir est tenu de composer avec la rue. L’armée symbolise le passé ; le peuple représente l’avenir. Hier, qui tient l’Armée tient l’Etat.

Aujourd’hui, qui domine la rue domine l’Etat. Qui investit l’Etat tient la rente donc la bourse. Qui est propriétaire des gisements pétroliers et gaziers : l’Etat ou la nation ? La propriété étatique est un moyen commode pour les militaires d’intervenir dans le champ économique sans assumer la responsabilité de la gestion. La nationalisation des hydrocarbures est une décision de l’armée. Pour le Président Boumediene, l’intérêt de la nation est de s’identifier à son Etat et par conséquent de le subir. La désignation et la destitution des présidents sont de la compétence de l’Armée.

La donne change, la rue exige que le président de la république soit élu par le peuple dans la transparence des urnes. Elle vient de franchir un pas de géant en passant de la légitimité historique du 1er novembre 1954 par la lutte armée à une légitimité populaire du 22 février 2019 par voie pacifique en évitant les pièges de la violence tendus par les forces hostiles au pays. L’Armée se fonde sur la rente, le peuple table sur son unité.

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Pour l’Armée, c’est l’Etat qui est propriétaire des gisements. Pour la rue, c’est la nation dans son ensemble qui en a la légitimité l’est et non la couche sociale au pouvoir qui en a l’exclusivité. La rente qu’ils dégagent permet à l’Etat de jouer un rôle déterminant dans la composition, la constitution et la reproduction de la fraction dirigeante. Pour se reproduire, le pouvoir est obligé de produire du clientélisme. Le clientélisme occupe une place importante dans les mutations sociales dont l’enjeu principal réside dans le contrôle de l’Etat. Le clientélisme ne peut être viable et notamment rétributif que s’il se greffe sur les structures étatiques. Il perpétue une situation de domination basée sur un accès inégal aux ressources et au pouvoir.

L’Etat est une administration aux ramifications tentaculaires dotée d’un budget de fonctionnement et d’investissement géré comme une caisse du pouvoir pour rétribuer ou gratifier sa clientèle. Elle sera alimentée par les recettes financières provenant de la vente des hydrocarbures. Partant de l’équation, quand vous avez le pouvoir, vous avez l’argent et quand vous avez l’argent, vous gardez le pouvoir. Le destin de la nation se trouve scellé. Un système politique fondé sur l’armée et le pétrole (le bâton et la carotte) s’installe durablement dans une Algérie postcoloniale.

Un système conçu à l’ombre de la lutte de libération et mis en œuvre par les hommes sortis de l’ombre pour faire de l’ombre au développement et à la démocratie. C’est un système que l’on peut qualifier de « militaro-rentier maniaco-dépressif» dont le pétrole tient le rôle de mère nourricière et l’armée de père protecteur qui alterne, en fonction du prix du brut, entre l’euphorie (la carotte) qui  débouche nécessairement sur la corruption et la panique (le bâton) qui entraîne forcément la violence. Une machine infernale fonctionnant au pétrole et au gaz sera mise en route pour une destination inconnue sous le regard complice et parfois moqueur des nostalgiques de tous bords, notamment de l’Algérie française. Cette machine sera ce rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Personne ne peut lui résister.

Le principe est simple « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous. C’est un traître à la nation, nous devons le combattre et le neutraliser. La nation, c’est nous,  gloire à nos martyrs ». Les Algériens ont été formatés par la colonisation française pour s’autodétruire en se dressant les uns contre les autres selon la vieille formule « diviser pour régner » qui a fait l’ascendance de l’occident et le déclin du monde arabo-musulman. Etant donné l’assujettissement du pouvoir civil au pouvoir militaire, les organes judiciaires ne remplissent leur fonction de contrôle. En subissant le règne des personnes au lieu et place des règnes de lois, le citoyen se trouve privé de toute perspective et de toute liberté. Il en résulte que l’algérien perçoit son prochain comme un ennemi potentiel dont il se méfie comme la peste.

La méfiance est de règle. La peur consume la société. Cette peur maladive du prochain pousse les responsables à tous les échelons de la chaîne de commandement dans tous les secteurs de la  vie économique et sociale, à s’entourer de gens de confiance généralement des membres de la famille, du village, de la tribu, de la région d’où cette pratique de cooptation née au maquis reconduite dans la vie courante avec ses effets négatifs sur la qualité du service, le relâchement de la discipline, la propagation de la médiocrité sur le sol algérien et la fuite des compétences à l’étranger. La force de la relation à la personne au détriment de la force du diplôme de l’intéressé. Chaque poste administratif et politique est transformé en patrimoine privé, source d’enrichissement personnel pour celui qui l’occupe et de promotion sociale pour son entourage familial et immédiat.

Dans ce cas la capacité personnelle et professionnelle acquise à l’école importe peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Les valeurs morales se perdent, le sens de la solidarité s’estompe, l’amour de soi entraîne la haine de l’autre et donc la perte de soi. Nous avons été forgés par le regard de l’autre qui nous renvoie l’image de nous-mêmes c’est-à-dire des êtres insignifiants.. On ne réfléchit pas avec sa tête mais avec son ventre.

On ne marche plus, on rase les murs. A tel point, que l’Algérien a peur de son ombre. Une ombre qui couvre tous les couches de la société et se répand par la rumeur à travers  tout le territoire national. Elle fait trembler la population toute entière par la rumeur, la manipulation, le mensonge. La politique de la peur consiste pour un gouvernement à provoquer de la peur au sein de la population pour réduire les libertés individuelles et collectives des citoyens en échange d’une hypothétique sécurité afin de détourner leur attention des véritables problèmes qui les concernent de près.

Le Président de la République gouverne dans la crainte de se voir destitué par l’armée qui l’a pourtant désigné à ce poste. Le ministre se trouve nommé et démis de ses fonctions sur simple coup de téléphone. L’ouvrier travaille dans l’angoisse d’une fin de contrat arbitraire. Ces pratiques de cooptation et d’élimination héritées de la lutte de libération survivent après l’accession à l’indépendance. Il en est de même de la prise de décisions  dans la clandestinité par un nombre restreint d’individus impliquant la majorité des citoyens sans en assumer ni la paternité ni la responsabilité. Chacun sait que ces pratiques valables en temps de guerre sont contre productives, en temps de paix.

Nous nous trouvons en quelque sorte dans un passé qui vit au présent repoussant l’avenir. En cinquante ans d’indépendance, l’Algérie a produit plus de généraux de guerre que de capitaines d’industries, plus d’importateurs que d’exportateurs, plus de spéculateurs que de producteurs, plus de transformateurs que d’industriels, plus de commerçants que d’artisans, plus de fonctionnaires que de paysans et/ou d’ouvriers, plus de charlatans que d’intellectuels, plus de rentiers que de travailleurs. L’Algérie est devenue, à la faveur d’une manne providentielle un vide-ordures du monde entier et un tiroir-caisse des fonds détournés et placés dans des paradis fiscaux.

Pourtant, c’est Dieu qui a mis le pétrole dans le sous-sol saharien, Ce sont les Français qui l’ont découvert, ce sont les machines américaines qui l’extraient, ce sont les usines occidentales qui l’exploitent, c’est le Trésor américain qui encaisse les recettes en dollars américains des exportations d’hydrocarbures.

Quel est le mérite des gouvernants de ce pays ? La providence de l’Etat, longtemps claironnée par les gouvernements successifs, pourrait-elle survivre à une baisse durable et grandissante des revenus en devises provenant des exportations des hydrocarbures ? Qui décide de l’utilisation de la rente énergétique et qui en assume la responsabilité des résultats ? Celui qui apparaît au-devant de la scène (la vitrine) ou celui qui se cache derrière les rideaux (l’arrière-boutique) ? Qui joue et qui est maître du jeu ?

Auteur
Dr Abdelkader Boumezrag

 




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