Mercredi 13 février 2019
Le drapeau noir du RCD et nos soubrettes pleureuses (*)
Il fallait à la conjuration des domestiques officiant pour le candidat Bouteflika, un prétexte pour jouer leur numéro de « soubrettes pleureuses », un spectacle unique qu’ils exécutent, généralement, avec une époustouflante maestria.
La décision du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de hisser, depuis trois jours, un drapeau noir à la place de l’emblème national sur le bâtiment de son siège national à Alger, leur en a fourni un. Et voilà nos majordomes qui prennent l’accent de la veuve éplorée et outragée !
Ecoutons-les, pêle-mêle, les partis de l’Alliance présidentielle, les associations-cocktails et même la Commission nationale de surveillance des élections (oui, oui !) s’indigner de ce que le parti de Saïd Sadi ait « outragé le drapeau national » !
Il est jusqu’à l’UGTA, devenu marchepied du régime, pour se découvrir un reliquat de dignité et dénoncer « l’offense à la Nation » commis par le RCD !
Le numéro est délicat à exécuter. La poupée-soubrette doit prouver, au moyen d’impressionnantes gesticulations, qu’elle a du cœur, une vraie fibre patriotique, et qu’elle est disposée à verser de vraies larmes pour cela.
Peu importe qu’elle ne ressente aucun chagrin. Le but du jeu n’est pas de pleurer sous le poids de la douleur, mais d’offrir une représentation théâtralisée de la douleur qui soit plus authentique, plus impressionnante que la douleur elle-même ! Réussir un simulacre de l’affliction qui en arrive à surprendre les affligés eux-mêmes.
Bien évidemment, la télévision, fermée aux opposants et au débat contradictoire, s’est magistralement ouverte à nos soubrettes pleureuses. Jeudi, dans son Journal de 20 heures, l’ENTV a lu plusieurs de leurs condamnations, très émues.
C’est que, façonnées à l’identique, les « soubrettes-pleureuses de Bouteflika » sont une parfaite reproduction des anciennes « pleureuses », ces femmes dont on louait les services, selon l’antique tradition, pour sangloter, gémir et implorer le Ciel lors des obsèques du défunt pour lequel elles étaient payées. Dans la tradition judéo-arabe, on les appelait « El hazniate « ou « El Hjaniyè « en hébreu. Toute vêtues de noir, en robe ample et les bras entièrement couverts, elles s’asseyaient à proximité du corps étendu à même le carrelage et s’adonnaient parfaitement à l’art du simulacre, n’hésitant pas à hurler ou à se griffer le visage jusqu’au sang pour la perte d’une personne qu’elles n’ont jamais vue et pour laquelle elles n’éprouvent aucune peine.
Que disent-elles ? Le chef de la Commission politique nationale de surveillance de l’élection présidentielle (CPNSP), machin créé pour valider la fraude, dénonce un « acte absurde et irresponsable » et pense que « le RCD a délibérément porté atteinte à l’un de ces symboles en ôtant l’emblème national et en hissant un drapeau noir ». Rien que ça ! Les partis de l’Alliance présidentielle (FLN, RND et MSP) qui soutiennent le président candidat Abdelaziz Bouteflika, ont majestueusement réagi en qualifiant la démarche du RCD « d’antinationale ».
Et l’UGTA ? Et bien, l’UGTA se dit « profondément consternée et indignée par l’acte inqualifiable commis par le RCD » !
Sur ce registre, nos « soubrettes pleureuses », Belkhadem et Sidi Said en chefs de file, suivies de ces créatures asservies au proxénétisme politique, ont honoré autant la légende d’El-Hazniate : elles ont versé sur «l’acte absurde et irresponsable du RCD » tellement de chaudes larmes qu’elles ont fini par réveiller les martyrs !
Le secret est pourtant simple : il faut du temps pour épuiser les larmes « rechargées » en quantité sur le corps de ces poupées-soubrettes car elles n’obéissent qu’à une seule touche : pleurer sur « l’offense du RCD », à l’exclusion de toutes les autres offenses.
Une vraie femme pleureuse ne se trompe jamais de funérailles.
Aussi nos soubrettes pleureuses sont, par exemple, insensibles aux graves insultes proférées publiquement sur leur sol même, par le chef terroriste Ahmed Benaïcha qui menace d’autres « 11 décembre » si le FIS n’est pas réhabilité » et qui accuse nommément les services secrets d’être derrière les attentats ! De même que nos poupées n’ont aucune émotion à l’idée que les victimes du 11 décembres aient été assassinées par un terroriste fraîchement libéré de prison grâce à la Charte !
Elles ne sont pas programmées pour s’émouvoir des crapuleries politiques des dirigeants, mais seulement de celle du RCD ! Nos soubrettes-pleureuses ne s’indignent pas du terrorisme islamiste, elles ne dénoncent pas l’intégrisme, elles s’acquittent juste d’une mission dilatoire pour laquelle elles ont été actionnées.
Pour tout cela donc, il y avait quelque motif de se réjouir que nos poupées aient su ressusciter avec brio une coutume qui date quand même de l’Antiquité et qui, aujourd’hui encore, dans la vallée du Nil, est évoquée dans une des plus belles scènes représentées sur les murs des tombes thébaines, celle des pleureuses de la tombe du souverain Ramose.
De quoi nous plaignons-nous ? L’intérêt national, les symboles de l’Etat et les fondements de la nation sont entre de très remarquables mains : des mains sales, des mains qui ont serré les mains des assassins, des mains qui ont applaudi le maître et étouffé l’humilié, des mains qui ont puisé dans les caisses de l’Etat, des mains qui ont parjuré…
Des mains qui ont servi à la posture des trois singes, rien vu, rien entendu, rien dit, quand l’Algérien criait à l’injustice, quand les manifestants tombaient en Kabylie, une ligne de sang sur leur sourire…
M. B.
(*) Chronique publiée le 3 avril 2009