Mardi 30 janvier 2018
Les autorités afghanes sur la défensive face au déchaînement de violence
Talibans et militants du groupe Etat islamique noyent depuis plusieurs jours Kaboul sous des attaques sanglantes en série, semant l’effroi parmi la population qui en paye le prix fort.
A trois reprises en dix jours, les deux groupes insurgés ont déjoué les défenses de la capitale, barrages et murs anti-explosion, pour tuer et blesser des centaines de civils, y compris des étrangers.
Leur capacité à tromper la vigilance des services de sécurité a mis en lumière de graves failles au sein même de ces services et peut-être aussi de complicités.
Après la dernière attaque lundi contre l’Académie militaire (11 morts), œuvre de l’EI, le président Ashraf Ghani a juré sur Twitter que « réformer les services de renseignements et le ministère de l’Intérieur est désormais notre priorité numéro un ».
Ce ministère est de longue date considéré comme le plus corrompu de tous et dénoncé comme tel par M. Ghani lui-même. Mais ces déclarations montrent aussi à quel point les officiels sont sur la défensive.
Ainsi, dimanche le patron des renseignements (NDS) Mohammad Masoom Stanekzai expliquait à la presse que « les terroristes changent sans cesse de tactique. Ça ne veut pas dire qu’il y a des manquements. Nous avons déjoué beaucoup d’attaques mais certaines sont difficiles à appréhender ».
Le 20 janvier, les talibans ont lancé un assaut de plus de douze heures contre un hôtel de luxe de la capitale, faisant au moins 25 morts dont 15 étrangers, selon le bilan officiel. Le gouvernement entretient depuis une opacité totale autour de cette attaque et n’a toujours pas autorisé la presse à se rendre sur place.
Une semaine plus tard, samedi, une ambulance bourrée d’explosifs lancée par les mêmes talibans explosait en plein centre ville, faisant plus de 100 morts et 235 blessés, la plupart civils: une des pires attaques sur Kaboul des dernières années – même si les talibans continuent d’affirmer qu’ils n’ont tué « que des policiers ».
De nouveau lundi, les habitants des quartiers ouest ont été réveillés par des tirs et des explosions, avec l’attaque de l’EI sur l’Académie militaire.
Cette violence n’est pas nouvelle, mais pour les observateurs elle est exacerbée par l’EI qui multiplie depuis l’été 2016 les attentats en ville.
Il n’y a aucune raison de penser que les deux mouvements coopèrent pour harceler Kaboul ni davantage qu’ils sont en compétition, estime Michael Kugelman, analyste du Wilson Center à Washington. Mais « l’effet cumulé de leurs attaques est dévastateur », indique-t-il à l’AFP.
Confiance entamée
Dans la guerre que mènent les talibans au gouvernement afghan et aux forces occidentales qui le soutiennent, ou dans les tentatives de l’EI d’élargir ses bastions toujours modestes dans le pays – quelques districts de l’est et, depuis l’été, du nord – Kaboul est une cible de plus en plus attrayante, explique Borhan Osman, analyste de l’International Crisis Group.
Surtout avec l’augmentation des raids aériens américains.
« La pression croissante ressentie sur le champ de bataille les conduit à se replier sur des zones où ils peuvent ouvertement mettre en échec la rhétorique victorieuse de l’armée américaine et du gouvernement », indique-t-il à l’AFP.
Et ainsi, « entamer la confiance de la population dans les capacités des autorités à la protéger » – par exemple avec le camion piégé qui a fait plus de 150 morts et 400 blessés le 31 mai dans le quartier diplomatique – la pire attaque depuis l’arrivée des Américains en 2001.
Depuis, des dizaines de barrages et caméras et barrières de sécurité anti-camions ont été installés au centre-ville et dans la zone diplomatique.
Les poids-lourds arrivant dans Kaboul sont censés être contrôlés à l’entrée et de nouveau soumis à la fouille, aux chiens et rayons X avant d’accéder à la zone verte. Ce qui se traduit par des files de centaines de camions aux barrages et des heures d’attente et de bouchons.
Sans parvenir à déjouer tous les attentats.
« Jamais suffisant »
L’EI notamment est parvenu à recruter de jeunes urbains, étudiants, professeurs, commerçants qui restent discrets et les aident à préparer les attaques.
En face, la présence des Etats-Unis et de l’Otan ne suffit pas à renforcer les forces afghanes et, selon M. Kugelman, les dernières opérations ont montré que « rien ne sera jamais suffisant ».
D’autant que les terroristes agissant en ville ne peuvent être visés par des bombardements aériens des Américains comme en zone rurale (Helmand, sud) ou montagneuse (Est).
De leur côté les responsables afghans sont conscients qu’aucun dispositif de sécurité ne peut être totalement étanche. « C’est au-delà de nos capacités de contrôler » toutes les entrées de Kaboul, confiait cet automne un responsable de la police à l’AFP. « Il y a plus de cent voies d’accès possible ».
Face à ce regain de violence aveugle, le président Donald Trump abandonne le credo d’un règlement négocié du conflit afghan, longtemps défendu par Washington: « Nous ne voulons plus discuter avec les talibans. Ils tuent les gens à droite à gauche » a-t-il prévenu lundi.
Pourtant, les récents carnages risquent peu de dissuader les insurgés de poursuivre leurs opérations.
« Ils peuvent transformer Kaboul en champ de bataille, comme pour dire: si vous nous jetez le gant, nous pouvons faire de même », redoute Osman.