Les Nations unies continuent de soutenir Abdelhamid Dbeibah comme Premier ministre intérimaire en Libye, a déclaré ce jeudi 10 février le porte-parole de l’Organisation, Stéphane Dujarric, après la désignation d’un autre Premier ministre lors d’un vote controversé du Parlement libyen.
La Libye s’est réveillé ce jeudi avec deux chefs de gouvernement par l’entremise d’un gouvernement qui veut pousser Dbeibah à la sortie. Et pourtant, l’ONU maintient sa position. Interrogé lors de son point-presse quotidien pour savoir si l’ONU continuait de reconnaître Abdelhamid Dbeibah comme chef du gouvernement intérimaire, le porte-parole a simplement répondu : « oui ».
La Libye s’est retrouvée avec deux Premiers ministres après un vote controversé du Parlement susceptible d’exacerber les luttes de pouvoir dans ce pays miné par les crises.
Dans ce qui s’apparente à un coup de force institutionnel du camp de l’Est libyen contre celui de Tripoli, le Parlement siégeant à Tobrouk a désigné l’influent ex-ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha pour remplacer Abdelhamid Dbeibah à la tête du gouvernement intérimaire.
Or Abdelhamid Dbeibah, anticipant ce vote, a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne céderait le pouvoir qu’à un gouvernement sorti des urnes.
Et dans la nuit de mercredi à jeudi, des tirs qui n’ont pas fait de victime ont visé le convoi de Abdelhamid Dbeibah à Tripoli, selon le ministère de l’Intérieur, qui a annoncé l’ouverture d’une enquête.
La Libye s’est enlisée dans une crise politique majeure après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 avec des rivalités entre les principales régions, les luttes de pouvoir et les ingérences étrangères.
En pleine guerre civile, le pays avait été dirigé entre 2014 et 2016 par deux Premiers ministres rivaux à l’Ouest et à l’Est.
« Autorité parallèle »
Après des années de conflits armés et de divisions, le gouvernement Dbeibah a été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, qui étaient prévues en décembre avant d’être reportées sine die.
Ce report avait été décidé sur fond de désaccords persistants entre un pouvoir à l’Est incarné par le Parlement et le maréchal Haftar et un autre à l’Ouest autour du gouvernement de Tripoli et le Haut Conseil d’État.
Alors que ce report se profilait, Fathi Bachagha –l’un des candidats le plus en vue de l’Ouest libyen à la présidentielle– s’était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi. Il y avait rencontré le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen et chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL).
L’ANL a d’ailleurs salué jeudi la désignation de M. Bachagha comme Premier ministre et affirmé « soutenir la décision du Parlement ».
Le Parlement, qui estime que le mandat de Abdelhamid Dbeibah a expiré avec le report des élections, avait retenu deux prétendants pour le remplacer : Fathi Bachagha, 59 ans et l’outsider Khaled Al-Bibass, un ancien haut fonctionnaire au même ministère.
Avant de faire procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh, l’un des principaux rivaux du gouvernement Dbeibah, a affirmé que M. Bibass avait retiré sa candidature, laissant Abdelhamid Bachagha seul en lice.
Cité par des médias libyens, Khaled Al-Bibass a démenti avoir retiré sa candidature.
Bachagha et Dbeibah, tous deux originaires de l’ouest du pays, disposent chacun du soutien de groupes armés en Tripolitaine.
« Je n’accepterai aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle », a averti Abdelhamid Dbeibah mardi dans un discours télévisé, affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu’à « un gouvernement élu ».
L’ONU a fait savoir par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric qu’elle continuerait de soutenir Abdelhamid Dbeibah.
Dans un communiqué conjoint publié fin décembre après le report des élections, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie avaient apporté leur soutien à la poursuite du mandat de l’exécutif actuel jusqu’à la tenue effective des scrutins.
« Fait accompli »
Au début de la séance à Tobrouk, le Parlement a aussi voté pour prolonger de 14 mois son mandat, qui a théoriquement expiré en décembre.
La chambre des représentants est considérée comme la chasse gardée de son président Aguila Saleh, un cacique de l’Est. Aguila Saleh est accusé d’avoir enfreint toutes les procédures pour faire nommer Abdelhamid Bachagha.
Il avait déjà été accusé d’avoir fait dérailler le processus politique, en promulguant en septembre, sans vote, une loi électorale controversée taillée sur mesure pour son allié Khalifa Haftar qui était lui aussi candidat à la présidentielle.
« Nombreux voient les événements d’aujourd’hui en Libye – où un nouveau Premier ministre a été fabriqué pour tenter de consolider certaines factions politiques – comme un fait accompli », a commenté du Twitter Tarek Megrisi, analyste au Conseil européen des relations internationales.
« Il s’agit en fait d’un jeu de confiance qui se déroule depuis déjà un certain temps et qui a pour seul but de dévoyer les efforts en faveur du processus électoral. »
Avec AFP