Au Maghreb, il n’y a pas des cités mais des douars. C’est la mentalité du douar qui domine dans les sociétés. Pour entrer dans la cité, il faut sortir du douar. Les membres des tribus s’unissent quand il s’agit de combattre l’envahisseur étranger mais une fois l’ennemi vaincu, chacun retourne à sa tribu d’origine, à son douar.
Les évènements de l’été 1962 en sont une illustration parfaite. Durant des siècles la communauté arabe et africaine était gouvernée par des chefs de tribus, des princes ou des rois qui considéraient les ressources de la tribu comme étant leur propriété et qu’ils pouvaient en disposer comme bon leur semble.
Ils ne devaient rendre des comptes à personne. Cette confusion du patrimoine public et privé, de l’espace public et de l’espace privé nourrit depuis longtemps l’imaginaire des peuples arabo-musulmans.
C’est cette représentation symbolique du père qui va permettre la perpétuation des régimes monarchiques et des dictatures militaires arabes et africaines. C’est le culte du père sans la mère, de la partie droite du cerveau sans la partie gauche, de la domination du masculin sur le féminin, de la primauté de l’instinct animal sur la raison humaine, de la violence physique sur la sagesse spirituelle, de la force sur le droit.
C’est une logique de fonctionnement déséquilibrée du pouvoir et donc de la société. On conquiert le pouvoir par la force, on se maintient par la force et on considère les richesses de la nation comme un butin de guerre qui revient à ceux qui ont libéré le pays les armes à la main. Dans ce contexte, l’Etat n’est pas une abstraction mais une personne physique avec laquelle il faut tisser des liens solides pour obtenir plus de pouvoir, de biens ou de services. Celui qui va se retrouver à la tête de l’Etat providence va s’appuyer sur la manne pétrolière et gazière pour construire une société entièrement dépendante de l’Etat providence. En matière budgétaire, l’Algérie n’est pas la France.
Le budget de l’Etat français n’est pas semblable à celui de l’Etat algérien. Le budget de l’Etat algérien est financé dans sa quasi-totalité par la fiscalité pétrolière et gazière, ce qui n’est pas le cas du budget de l’Etat français qui dépend entièrement de la fiscalité ordinaire. L’un s’établit sur le revenu du travail, l’autre sur le revenu du pétrole. L’un repose sur la contribution financière des citoyens, l’autre sur une manne pétrolière et gazière. Le premier est adossé sur le cours des hydrocarbures ; l’autre sur la croissance économique et sur le marché de l’emploi.
Un Etat providence qui vise dans les pays démocratiques une solidarité nationale en vue d’une protection sociale très développée, à la fois horizontale (par les cotisations sociales) et verticale (par le versement des impôts et taxes) à travers des mécanismes très complexes de redistribution (cotisations sociales, impôts et taxes, assurances maladies, pensions de vieillesse, allocations chômage etc…), Au moyen âge, la cohésion et la solidarité étaient prises en charge par l’église qui prenait soin des miséreux, des malades, des nécessiteux à travers des mécanismes de charité chrétienne.
A partir de la seconde guerre mondiale, c’est l’Etat qui prend en charge cette solidarité sociale à travers les cotisations sociales, les impôts et les taxes dans le cadre d’un budget de l’Etat.
A l’inverse de ce qui se passe en Algérie où c’est au budget de l’Etat alimenté par les revenus pétroliers et gaziers de répondre aux besoins de la population car il n’y a pas de citoyens mais des sujets qui attendent tout de l’Etat sachant que celui-ci tire l’ensemble de ses revenus en devises de l’exportation des hydrocarbures. La prise en charge des populations sans contrepartie productive aboutit nécessairement à l’aliénation de leurs droits politiques.
Tant qu’ils bénéficient d’une rente, les algériens se détourneront de la politique et les gouvernements n’ont pas de compte à leur rendre sur leur gestion des deniers publics qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle, cela importe peu. La rente des hydrocarbures fonde l’Etat providence du fait de ses revenus extérieurs. La rente permet à l’Etat de procurer aux citoyens un niveau de vie minimum sans les taxer car les imposer sans leur fournir des sources de revenu risque de les voir se retourner contre le gouvernement.
Tout simplement parce que les Algériens dans leur grande majorité ne disposent pas d’un revenu en contrepartie d’un travail productif mais en échange d’une allégeance politique au régime en place. Nous gérons le présent avec les armes du passé sans tenir compte des impératifs du futur.
Il est clair qu’aucune force sociale n’est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d’ensemble en vue de sortir le pays de la crise dans laquelle il s’enfonce.
Le rapport de force entre la rue et l’armée doit absolument céder la place au débat contradictoire entre les élites conscientes des enjeux et porteuses de solutions. Une confrontation d’idées et non de personnes offrant l’avantage d’éclairer les uns et de convaincre les autres, sans attendre une quelconque gratitude, sans tirer un seul coup de feu et sans toucher le moindre sous.
Les armes devant rester aux vestiaires et la « chkara » jetée à la poubelle. Ne comptent que la valeur des idées, la pertinence des propositions, leur faisabilité pratique, et leurs délais de mise en œuvre.
Dr A. Boumezrag