22 novembre 2024
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La mémoire ne filme pas, la mémoire photographie 

8 Mai 1945

Le Maghreb fût la terre promise de tous les impérialismes méditerranéens : phéniciens, romains, vandales, byzantins, arabes, turcs sans parler des français. Ces invasions multiples et variées ont façonné la mentalité des autochtones dans leurs rapports avec leur corps.

« Le corps a une mémoire ! Le corps hérite d’une histoire, d’une éducation, d’une famille, d’une culture, d’une géographie, de schémas complexes inscrits par des générations. Et le geste du danseur peut soudain faire rejaillir un souvenir ou une émotion enfouie avec plus de force que n’importe quelle parole. C’est le défi et le miracle de la danse ! 

Coloniser un pays c’est conquérir son territoire par l’épée, posséder son corps par la force, investir son esprit par l’école. La domination des terres s’accompagne de la domination des corps. Il s’agit de s’approprier les corps et les âmes. Posséder le corps de l’autre c’est nourrir son propre narcissisme. Ressembler à l’homme blanc c’est accepter de se mettre sous sa domination. Le colonialisme a atteint ses objectifs. Il nous a détournés de la voie droite. 

Il a fait de nous des êtres égarés. On rêve de l’ailleurs. 1830, les français débarquèrent en Algérie pour l’occuper. 2030, les algériens embarquèrent pour la retrouver. L’histoire est pleine de surprises. Hier envahisseurs, aujourd’hui envahis, les pays dits « d’accueil » ont essayé toutes les politiques que ce soit de cohabitation, d’assimilation ou d’intégration, aucune n’a réussi. Alors, ils se retournent vers les Etats post coloniaux pour leur ordonner de constituer une « ceinture de sécurité » de l’Europe menacée par un flux migratoire incontrôlé. Une émigration encouragée par une répression aveugle des autorités et l’absence de perspectives pour une jeunesse désœuvrée. 

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Le mouvement migratoire des peuples est un phénomène marquant de ce XXIème siècle. C’est une revanche de l’histoire des africains dépouillés injustement de leurs richesses naturelles par l’occident triomphant en perte de vitesse vivant de son passé « peu glorieux », d’un présent tumultueux et pour un avenir incertain. Des populations à la recherche d’une liberté illusoire et d’un bonheur hypothétique fuyant les interdits de la religion, de la politique et de la pauvreté. Ironie de l’histoire, des familles entières envoûtées par l’image, se jettent à corps perdus dans la méditerranée en brûlant au passage leur « nationalité algérienne » pour rejoindre la France que leurs parents ont combattue. Les martyrs n’ont qu’à se retourner dans leurs tombes.

Nous sommes en gare depuis 1962

Nous sommes dans l’attente du prochain train qui ne viendra pas. Il n’y a plus de voies ferrées ni de nouvelles gares. Entre-temps, la locomotive rouille au soleil et les wagons-lits se transforment en basse-cour. « Le poulailler reste un palais doré pour le coq malgré la puanteur des lieux ». Un Etat, qui tire ses ressources budgétaires non pas du travail laborieux de ses habitants mais du sous-sol saharien. L’argent facile nous fascine. Nous achetons des biens que nos dirigeants importants pour nous donner l’illusion d’exister afin de se perpétuer au pouvoir. Les choses que l’on possède finissent par nous posséder : une société en voie de « chosification » dans son ensemble. 

Nous avons cessé d’être des humains pour devenir des objets manipulables et par conséquent « jetables » comme les marchandises que nous importons. : « j’ai donc je suis » semble être notre crédo ; « L’avoir » fait office « d’être », « l’être » se cache derrière « le paraître » et le « je » derrière le « nous ». Nous ne nous culpabilisons jamais. La faute incombe toujours à l’autre qui n’est autre que soi-même mais on n’ose pas le reconnaître de peur de rougir en se regardant la glace. Nous nous trouvons simultanément dans la posture du coupable, de la victime, du bourreau. 

La colonisation française fût une prise de pouvoir sanglante sur le corps de l’autre. L’autre n’est pas un être humain, c’est un indigène : une proie à abattre pour garnir notre tableau de chasse ou un corps fragile pour assouvir nos bas instincts, hier au nom de la « civilisation de la guillotine » aujourd’hui au nom de la « démocratie et des droits de l’homme » et pour être plus précis, « des droits de l’homme et du citoyen français ». La révolution de 1789 est une révolution française. Le code Napoléon est notre code civil. C’est un héritage de l’Etat colonial français. L’Etat français est le produit de l’histoire du moyen âge et de la religion catholique romaine. 

L’esprit colonial hante la législation locale. Les écritures ont été arabisés, l’esprit n’a pas été formaté. Les soubassements idéologiques et religieux sont passé sous silence. Un silence assourdissant. La forme a pris le dessus sur le fonds. La cravate et le turban sur un costume ou sur une djellaba, cela fait folklore. L’une est multicolore, l’autre en noir et blanc, jamais grise. L’indigène n’est pas comparable au français. Il n’a ni ses qualités morales ni son instruction ni sa religion, ni sa civilisation. L’indigène a un comportement différent, il a une autre religion, une autre langue, une autre identité. « Ne rusons pas, ne trichons pas. 

A quoi bon farder la vérité ? 

La colonisation n’a pas été un acte de civilisation, elle a été un acte de force, un viol collectif au regard des droits de l’homme et du citoyen français reconnaissent certains penseurs européens. En effet, Bugeaud après avoir conquis l’Algérie avec « l’épée », il devait la gouverner par la « charrue » ; ils incitaient les agriculteurs français indépendants à traverser la méditerranée et à s’installer sur le sol algérien pour en faire une colonie de peuplement. Pour ce faire il devait s’assurer de la possession du pays. Cependant un obstacle se dressait sur son chemin la présence des autochtones qui échappaient à son contrôle parce qu’ils dissimilaient leurs femmes au regard des troupes françaises. 

Leur religion leur interdisait de se dévoiler en public. De plus, le projet impérialiste n’incluait pas les femmes. L’arrivée des familles françaises allait changer la donne. Les premières femmes à s’habiller à la française furent les « courtisanes » transformées en prostituées devant travailler à la chaîne comme en métropole pour satisfaire les soldats français. La colonisation française fût une prise de pouvoir sur le corps de l’autre. A commencer sur la femme (le viol) pour s’étendre à l’homme (la torture). 

Au fil des années, il s’est infiltré dans l’esprit en formatant son authenticité, en anéantissant sa puissance pour le soumettre, l’humilier, l’indigner, le souiller. Le viol des corps et des  consciences furent utilisés comme armes de guerre.

Une stratégie de la terreur. L’objectif étant de le déposséder de sa terre et de son bien le plus précieux son corps et son honneur. Il fallait semer la terreur au sein de la population : exposer sur la place publique les corps des fellagas tués, puis pousser leurs compatriotes à les piétiner ensuite violer leurs femmes pour finir par brûler leurs maisons. Pour s’installer définitivement, il fallait déraciner leur culture vivrière (les céréales) et planter des cultures spéculatives (vignoble, agrumes).

C’est ainsi que la France a pu asseoir son hégémonie sur une longue période. Les traumatismes générés sont toujours vivaces en France et en Algérie. La blessure est toujours béante.

Elle est belle la France des droits de l’homme et de la démocratie, elle se permet le luxe de caricaturer le sacré et de profaner l’histoire, sa propre histoire. Cela nous fait penser à ce pervers narcissique qui rabaisse sa victime au rang d’objet en lui faisant subir toutes sortes de violences. 

Les questions de sexualité souvent élaguées par les chercheurs sont au cœur des politiques, des religions, et des races. En effet, au cœur de ces systèmes coloniaux et patriarcaux, la liberté sexuelle du maître sur son esclave est incontestablement très étendue. Le modèle patriarcal traditionnel fondé sur la hiérarchie des sexes, la claustration de la femme, le sens développé de la pudeur de la femme et l’honneur de l’homme ont fait le lit de la colonisation en s’appuyant sur le maraboutisme, le clanisme et le tribalisme (diviser pour régner). La torture sur les populations a été systématisée lors de la colonisation française de 1830 à 1962.

Les viols sur les femmes ont eu un caractère massif en Algérie. La France a pénétré l’intimité de la société algérienne en profondeur afin d’en faire un levier puissant de domination et de dépendance. Coloniser un pays c’est conquérir son territoire par les armes, posséder son corps par la force, soumettre son esprit par l’école. La conquête des terres s’accompagne de la domination des corps. Coloniser un pays c’est introduire des différences de race, de religion, de sexe.

Le conquérant se donne tous les droits de vainqueurs, de maître sur ses esclaves, de race supérieure sur race inférieure, de religion des lumières sur religion des ténèbres. Une hiérarchie fondée sur la force et non sur la raison. Le vocabulaire a évolué, on ne parle plus d’esclaves mais d’indigènes, d’indigents et non de pauvres. La France a quitté le territoire mais elle est toujours présente dans l’homme. La cravate a remplacé le turban, le costume la djellaba, la voiture le cheval, l’hidjab le voile. 

Les mots changent mais les maux restent. Il s’agit de s’approprier les corps et de manipuler les âmes. L’argent a remplacé le phallus au lit. L’homme a perdu sa masculinité et la femme sa féminité. Les deux ne se voient plus, ils regardent l’écran,  chacun dans sa chambre. 

Un peuple émotif secrète naturellement un pouvoir narcissique c’est-à-dire un pouvoir égocentriste dépourvu de tout sentiment de culpabilité. Pour combler son vide existentiel, il a besoin de se nourrir des émotions et des peurs de la  population. Le pervers peut ainsi blesser, embarrasser sans ressentir la moindre souffrance, le moindre sentiment de culpabilité « Ce n’est pas ma faute, c’est la vôtre, vous répète-t-il à longueur de journée et vous finissez à votre âme dépendant par vous culpabiliser à sa place ! ».

Ne cherchez pas à dialoguer avec lui, il dit une chose et fait son contraire. Vous ne savez plus à quel saint vous vouer. Il vous tient un discours contradictoire. Pacifique à  à la lumière, agressif à l’ombre. Il est égocentriste et dépourvu de toute empathie. Il ne changera pas, c’est vous qui devriez changer.

Cessez de vous culpabiliser à sa place. Il n’éprouve aucun sentiment. C’est un pervers narcissique. Il ne vous offre que deux solutions : la fuite ou la folie. La fuite à bord d’embarcations de fortune ou l’enfermement dans un asile d’aliénés. Si vous réagissez et refuser de vous plier, sa face hideuse vous apparait au grand jour. Pour vous libérer de son emprise, il faut sortir de sa dépendance (financière ou affective) et savoir dire « non ». Humilier-le en public, il tient à son image ; ignorez-le, il ne supporte pas la solitude. Il a peur de se retrouver seul avec lui-même, il craint le vide.

Il a besoin maladif d’être entouré, admiré, adulé, il a trop souffert dans son enfance de l’absence d’un père. Si vous parvenez à lui faire tomber le masque, il se sentira pour la première fois tout « con ». Et vous cessez à ses yeux d’être un objet manipulable pour devenir un objet dangereux. Il essayera par tous les moyens de se débarrasser de vous.

Plus vous résistez à son emprise et plus vous vous exposez à sa haine, une haine pathologique. Une haine qui le dévore et qui vous déstabilise. Cela commence par la séduction pour finir par un homicide. « Si ça se consomme, c’est du sexe. Si ça se consume, c’est de l’amour ». 

Le pervers narcissique cherche à tout prix à s’assurer de la possession de l’objet dont il est en même temps certain qu’il va finir par lui échapper. La liaison amoureuse se transforme immanquablement en torture pour détenir l’autre dans une emprise qui augmente jusqu’à la folie tant elle échoue à rencontrer la satisfaction. On peut dire que l’amour de l’objet commence quand l’objet menace de s’enfuir, quand il n’est plus à disposition. 

Il cesse d’être un objet manipulable pour devenir un objet dangereux. Ce sont les massacres du 08 mai 1945 qui ont déclenché la révolution armée du 1er novembre 1954 ; ce sont les manifestations pacifiques du 22 février 2019 qui vont enclencher la révolution du sourire. Une révolution tétanisée par la pandémie du Covid-19. 

La réaction a été sage : Aimons-nous vivants, aimons-nous masqués. « Derrière le masque que je te montre se cache une fille au sourire brisé qui espère qu’un jour peut-être, elle sera heureuse ». Deux ans plus tard, on retrouve ce même sourire figé sur un corps inerte d’une jeune fille belle et ensoleillée, séduite et abandonnée, rejetée par les vagues de la Méditerranée sur les rives maghrébines désertées par les interdits de la politique, de la religion et de la pauvreté. 

Les problèmes que l’on ne regarde pas en face refont toujours surface. Les mêmes maux produisent les mêmes effets. C’est un éternel recommencement. L’histoire est cruelle avec les hommes. Elle leur fait traverser le présent les yeux fermés. 

Dr A. Boumezrag

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