Dès que j’aborde un sujet d’histoire, de sociologie ou d’anthropologie concernant l’Algérie où paraît le mot « berbère », des voix sortent des buissons pour me dire, dans des commentaires le plus souvent grossiers frisant le ton de la menace :
« Vous êtes contre la langue arabe », « vous êtes traître », « vous êtes à la solde de la France », etc. Or, je ne suis ni à la solde de la France ni traître ni contre la langue arabe! Le plus dramatique, c’est que parfois, ces remarques viennent de certaines gens se targuant d’être diplômés, instruits et cultivés. Je ne suis pas en train de m’auto-justifier ni de me victimiser, mais seulement de donner des éclaircissements à ces gens tordus qui perçoivent à tort tamazight comme une langue étrangère sur son propre sol, concurrente et ennemie de l’arabe.
Leurs délires nauséabonds sont à la mesure de leur ignorance abyssale du fait linguistique qui favorise métissage civilisationnel des cultures, ouverture et diversité. A ma connaissance, il n’y a aucun pays dans le monde où l’on ne cherche pas à comprendre et à étudier ses racines ou ses origines, sauf chez nous! Comment peut-on savoir où aller si l’on ne sait pas d’où l’on vient ? C’est impossible.
Si ces gens-là veulent que je leur dise ce qui leur plaît pour contredire l’histoire, je leur réponds : vos efforts sont vains! Car, en ce qui me concerne, j’essaie de comprendre qui je suis, ce que je suis et ce que je serai. Je pense que cette démarche de quête de soi est fondamentalement salutaire, à titre personnel d’abord, puis sur le plan collectif. En outre, cette quête-là ne m’est d’aucun frein pour m’accomplir intellectuellement et m’enraciner dans mon algérianité.
D’ailleurs, depuis plus de cinq ans, si ce n’est pas plus, je lis beaucoup plus en arabe qu’en français ou en tamazight ou dans d’autres langues. Mes livres de chevet, ce sont ceux de Khalil Jibran, Abdelhamid Ben Hadouga, Malek Haddad et ils sont écrits en arabe classique. Je suis issu d’une école « arabisante » et aucun souci ne se pose pour ma pomme d’écrire, de lire et de partager des idées en arabe.
Mon amie, doctorante en psychologie à la Sorbonne était allée même, il y a quelques années, jusqu’à me conseiller d’écrire des romans en arabe, au regard de mes lectures diverses en cette langue et ma maîtrise de ses nuances. Mais pourquoi ce déchaînement de haine alors? Tout simplement parce qu’il y a de l’ignorance. Quand on ignore les choses et l’on ne tente pas de les comprendre, et en même temps, on empêche par tous les moyens possibles ceux qui tentent de les comprendre, on ne fait que creuser notre propre tombe.
Depuis que j’étais au primaire, on me dit à l’école : « nous sommes des Arabes », « on appartient à la nation arabe », « le Maghreb arabe », etc., alors qu’à quelques encablures de la salle de classe, je discute avec mes camarades en Tamazight. J’ai trouvé cela bizarre! Un jour, j’ai posé la question à mon père : « tu me dis, le taquiné-je naïvement, que nous sommes Imazighen et à l’école, l’on me répète que nous sommes Arabes! Peux-tu m’expliquer cette contradiction? ».
Ayant saisi le sens de ma curiosité, mon père sourit et me répond, non sans une pointe d’humour digne des paysans de la campagne : « chez nous en Algérie et dans toute l’Afrique du Nord, amazigh, c’est l’arbre et arabe, c’est la branche! »
Depuis ce temps-là, j’ai compris, malgré les effets pervers des tentatives du système éducatif, le nôtre, de me faire « désapprendre » ma langue maternelle (Tamazight), que toutes ces langues en conflit chez nous est une affaire d’idéologies meurtrières dont l’objectif n’est autre que de nous faire monter les uns contre les autres, c’est-à-dire berbérophones contre arabophones et vice-versa, en nous jetant dans un trou de polémiques inutiles et sans fin. Je me suis rendu compte aussi, un peu sur le tard, que même la francophonie en pâtit.
Comme « butin de guerre », – l’expression étant de Kateb Yacine- , cette dernière a été ridiculisée au nom de l’arabisme et réduite, dans une confusion aveuglante, à un virus néocolonial visant la destruction de l’identité (prise, perçue et conçue comme exclusivement) »arabe » de l’Algérie.
Tous ces amalgames ont créé des « frustrés culturels », des « hybrides linguistiques », des « monstres identitaires » qui écument les sites internet, les réseaux sociaux et les plateaux télévisés en déversant leur fiel sur tous ceux qui cherchent à comprendre, étudier, prospecter notre histoire collective.
Kamal Guerroua