3 mai 2024
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 « Voyage au bout de l’exil » de Achour Wamara

Voyage au bout de l’exil de Achour Wamara

De l’âne de Buridan au singe de Kafka ! Surprenant et troublant dans sa teneur, le nouveau livre d’Achour Wamara, publié aux éditions de l’Harmattan ne laisse pas indifférent. « Voyage au bout de l’exil » est d’autant plus remarquable qu’il échappe à une classification conventionnelle.

A cheval entre l’essai et la fiction, il suscite d’emblée une curiosité littéraire qui lui confère une valeur digne d’un grand intérêt.

L’auteur introduit : « Ni récit autobiographique, ni analyse savante, c’est un texte à l’image de l’exil fait de tâtonnement, de flashs de lucidité, de regard plus ou moins éloigné, de regrets d’une existence manquée, de la désespérance de l’homme, de l’apprentissage de l’échec, de la recherche d’une communauté d’âmes ruinées qui s’impatientent d’en finir avec le leurre de l’appel au partage illusoire ». Toutefois, on devine bien à travers la richesse et la complexité de son analyse, une laborieuse recherche en amont sur son sujet, celle-ci est habilement combinée à une expérience personnelle évidente qui transparait dans la charge passionnelle qui la sous-tend.

Le tout est structuré sur un mode d’énonciation à la deuxième personne du singulier impliquant intimement le lecteur dans la trame du récit, donnant ainsi plus de force au message qui lui est destiné. Exercice difficile et rare dans la littérature, qu’Achour Wamara en coup de maître emploie avec une aisance surprenante.

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Peut-on voir dans ce procédé un clin d’œil à Wilhelm Reich pour son œuvre « Ecoute petit homme ! » ? Peut-être.

Les deux écrivains, ne s’adressent-t-ils pas aux victimes de l’aliénation générée par des mythes destructeurs pour éveiller leurs consciences ? N’opèrent-t-ils pas dans le même champ de la psycho-sociologie ? Sans doute, mais l’analogie s’arrête là.

Sans condescendance, en s’adressant au lecteur, Achour Wamara s’adresse aussi implicitement à lui-même. Les thèmes qu’il aborde dans son livre sont d’une autre nature et ne renvoient pas aux mêmes réalités ni aux mêmes conséquences. C’est l’exil et la condition de l’exilé qui sont traités ici sous l’aspect tragique de l’homme en rupture avec lui-même et ses racines.

Qu’il s’agisse d’un immigré ou d’un refugié, leur statut d’étranger les confronte aux mêmes problèmes d’existence et d’identité. Il leur inflige les mêmes blessures et les mêmes épreuves pour une destinée hasardeuse, sans repère fiable et sans retour possible. Ils sont pris dans un engrenage d’où ils ne sortent pas indemnes.

Qu’importe le pays d’où ils viennent et qu’importe le pays où ils vivent, ils n’ont de prise ni sur l’un ni sur l’autre. Tous les efforts et les sacrifices qu’ils consentent pour se fixer une appartenance sereine et irrévocable, participent d’un processus de mystification plus ou moins consciente que l’auteur déconstruit avec une force d’arguments imparables.

Iconoclaste, notre écrivain bouscule les croyances les plus entêtées sur l’exil et l’exilé. Il interroge et dérange un monde imparfait qui se complait dans les normes d’une culture et d’un ordre aliénants laissant un sentiment de malaise par les vérités implacables qu’il révèle : « Ici, l’optimisme est mort et enterré », nous prévient-il.

Dans un langage corrosif, enrobé d’humour, d’ironie et parfois d’une légère insolence, les mots acérés comme les serres d’un aigle pénètrent jusqu’au sang l’esprit du lecteur et l’imprègnent profondément des réalités sèches du déracinement social et culturel et du marasme existentiel qu’il induit.

Sans complaisance ni malveillance, Achour Wamara nous détricote méthodiquement les mailles du voile mystificateur qui entoure cette rupture avec pays d’origine pour un Eldorado hypothétique.

Les illusions d’un exil doré et paisible tombent en miettes au fil des pages, le pays de cocagne perd peu à peu de sa superbe pour devenir « un pays d’écueils » et « un territoire de non-appartenance. De dés-appartenance ». Au pays d’accueil, le droit de vivre est suspendu au permis de séjour, l’amour propre du candidat à l’exil est mis à mal dans les dédales de la bureaucratie, les bureaux dédiés aux étrangers ressemblent à des parloirs de prison et la seule identité qui vaille aux yeux de l’autochtone s’annonce à la couleur de la peau et seulement à cette caractéristique.

La culture de l’autre ne l’intéresse que pour la stigmatiser ou la ranger dans le folklore exotique. Le pays d’accueil n’intègre pas, il désintègre.

Quant au pays délaissé, il s’éloigne dans le temps pour trouver refuge dans un coin de mémoire en une obscure nostalgie dans l’attente de devenir le lieu des derniers honneurs. Toute tentative de le reconquérir est vaine et ne colmate pas la fêlure mais l’agrandit. Les rapports avec les siens sont compromis, entachés de honte et de culpabilité. On ne rattrape pas un passé perdu.

L’exilé ne se sent nulle part chez lui. Alors, il négocie désespérément sa place sous un masque transparent. Son étrangéité le trahit où qu’il se trouve et quoi qu’il fasse. Ses comportements, ses attitudes et son accent portent des signes qui ne trompent pas. L’exil est une fracture, une brisure de verre aux dégâts irrémédiables. L’exilé est un apatride, un banni condamné à vivre hors-sol dans son monde imaginaire.

Sans attache particulière, comme suspendu entre ciel et terre, sa position lui façonne avec le temps une identité pour le moins singulière et équivoque. Celle des origines s’estompe, celle qu’il projette reste irrémédiablement apocryphe. L’exilé est un citoyen putatif, balloté entre ce qu’il n’est plus et ce qu’il ne sera jamais. Tous les stratagèmes qu’il déploie pour y remédier le déséquilibrent davantage et l’enfoncent dans la simulation, le mensonge et le reniement.

Cette analyse le révèle dans toute sa nudité derrière ses faux semblants, ses impostures et ses rêves insensés. Tiraillé entre le pays d’origine et le pays d’accueil, il évolue sans repère crédible, marqué par un passé moribond et un avenir douteux.

« Il n’y a pas d’exil heureux », assène d’entrée notre écrivain. Et de s’interroger : « Y a-t-il un exil sans blessure d’âme ? » En connaissance de cause, il nous livre ce constat amer : « Quand on entre dans l’exil, on n’en sort pas. Et si l’on sort, c’est au prix de pertes abyssales qu’on peine à colmater sinon dans le déni ».

A contre-courant des idées reçues, Achour Wamara conduit sa réflexion dans les méandres des grandes douleurs muettes et leur extirpe des vérités enfouies dans le refoulement ou la résilience vaine et illusoire de l’exilé. Aucune cuirasse ne résiste à sa plume affutée dans une expérience bien étoffée et une lucidité pénétrante. Quel que soit le vécu de chacun, tout exilé se reconnaitra dans cette fresque de maître.

Par son originalité, sa puissance d’écriture, sa modernité et son universalité, cette œuvre mérite amplement une place d’honneur dans l’histoire de la littérature algérienne d’expression française. Dense, riche, elle interroge, enseigne, renseigne et émancipe le lecteur le plus averti.

Mokrane Gacem

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