22 novembre 2024
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«Messali Hadj, libérateur ou traître » ?

Messali

La polémique déclenchée par Nourredine Aït Hamouda à l’été 2021 (à la suite de la réaction de l’état Français de réhabiliter Messali Hadj et l’Emir Abdelkader), et qui traita ces derniers de traîtres à la cause libératrice, a prit des proportions telles qu’un ouvrage intitulé Messali Hadj Libérateur ou traître ? vient d’être publié aux éditions Saint Laurent par l’auteur Hoçine Kémal Souidi (*).

L’objet de cette présente chronique n’est nullement de rajouter de l’huile sur le feu ou de prendre position sur un sujet qui appartient à l’histoire et aux historiens mais d’insister sur le fait que de telles polémiques ne font pas vraiment avancer le schmilblick du problème algérien et que notre pays, à force d’avoir le regard rivé sur le rétroviseur de l’Histoire oublie en permanence de scruter les voies de son avenir.

Que de catastrophes et d’accidents nous guettent aux tournants ! Comme si ceux du passé n’étaient pas assez funestes pour ainsi vouloir en provoquer d’autres. Laissons les morts reposer en paix. Parlons plutôt des vivants ! Qui sont les héros, qui sont les traîtres en fin de compte dans cet imbroglio politico-socialo-religieux dans lequel la raison du plus fort ou du plus braillard écrase l’argutie à coups de vendetta et de contrefaçons ?

Si l’on se tient à la définition du mot traître « personne qui se rend coupable de trahison (action de trahir son pays, sa patrie, une cause) », force est d’admettre que dans telle extension nous pourrions insérer des millions d’Algériens vivants. Nul besoin de convoquer les morts, vu l’étendue aux contours imprécis du positionnement et des référentiels auxquels chacun peut faire appel pour délimiter la cause des uns et la patrie des autres, bien souvent virtuelle pour beaucoup si elle n’est pas tout simplement chimérique.

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Pour étayer ce méli-mélo d’héroïsme et de trahisons, pléthore d’exemples nous rappellent qu’il est impossible d’affranchir de toute subjectivité l’enveloppe de la plupart des épisodes de notre Histoire récente :

– Au commencement des articles de la Constitution fût décrété « Islam religion d’Etat », cette loi qui porta le croyant au firmament de l’héroïsme et relégué l’insoumis à celui de traître impie ayant osé renier l’une des principales, voire l’unique, constante nationale qui charrie inexorablement la république algérienne à contre-courant de toute modernité. N’est-ce pas au nom de tel reniement à la cause d’Allah que les islamistes de tous bords, ceux du pouvoir en premier, qualifient les non-croyants de minorité de déracinés et de traîtres à une nation que l’on s’acharne à transformer en une composante absolue d’une certaine « oumma », « kheiratine » de surcroît ?

– Quand les combats faisaient rage contre les hordes intégristes, lesquelles s’étaient attelées à transformer la république en califat, Zeroual n’avait-il haussé le ton et usé de sentences impérieuses mais justes pour qualifier les compagnons de Ali Belhadj, Madani Mezrag et Hassan Hattab de traîtres et de fléau qu’il fallait éradiquer au plus tôt ? Dès son arrivée au pouvoir, Bouteflika ne tint-il pas un discours diamétralement opposé en réhabilitant les combattants de Dieu par des « Monsieur Hattab » par-ci et des « si j’étais à leur place j’aurais fait la même chose » par-là, allant jusqu’à dérouler le tapis de tous les honneurs aux responsables d’innommables horreurs ? Qui de Bouteflika ou de Zeroual avait raison, qui avait tort ? Qui sont Hattab, Mezrag et Belhadj, des géants ou des félons ? Les mosquées de Kouba et d’El-Mouradia ont leur réponse, nous avons la nôtre !

– Saïd Sadi, Ferhat Mehenni, Nourdine Aït Hamouda et 21 autres Kabyles n’avaient-ils pas été emprisonnés à Berrouaghia sous l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’état, délit de haute trahison passible de la peine de mort, à la suite du printemps berbère ? Qui de ces 24 défenseurs de la cause amazigh ou de leurs geôliers sont les héros, qui sont, à la patrie, déloyaux ? Les dignes héritiers de Boumediene, doivent avoir leur réponse, nous avons la nôtre !

– Qui peut ignorer le fait que la plupart des arabophones, surtout les islamistes bornés, considèrent les berbérophones, surtout les Kabyles d’ailleurs, récalcitrants à une arabisation forcée comme des traîtres aux causes de l’arabité et de l’islamité prescrites à tout l’espace amazigh d’Afrique du Nord ?

– Côté face du problème arabo-berbère, les berbérophones ne voient-ils pas les partisans d’une arabo-islamisation aveugle comme des traîtres ayant renié leurs racines pour défendre une cause venue d’ailleurs et qui est loin d’être la leur ?

– Quand des élections sont organisées, surtout les présidentielles, celui qui ne se rend pas aux urnes n’est-il pas considéré comme traître à la cause de la petite famille révolutionnaire, alors que celui qui s’y rend pour donner un quitus de gouvernance à ceux qui pillent le pays est glorifié et encensé en héros par ce pouvoir de petits mafiosos ?

– Construire une grande mosquée à des milliards de dollars pour aller se faire soigner au Val de Grâce, laissant le petit peuple se dépatouiller dans des structures hospitalières indignes, fait-il de ce même Bouteflika un homme vaillant ou un grand charlatan ?

– Se rendre en Suisse pour y guérir une petite addiction à la cigarette fait-il du Général Nezzar un brave ou un poltron ? Son fils, celui qui s’est permis de tabasser SAS pour une simple chronique journalistique, a sa réponse, nous avons la nôtre !

– Infliger deux années de prison à Mohamed Benchicou pour avoir dénoncé, avant tout le monde, l’imposture Bouteflika fait-il des juges qui l’ont condamné des traîtres ou des héros ceux qui ont confisqué le pays doivent avoir leur réponse, nous avons la nôtre !

Des pages et des pages de listings ne suffiraient pas à dresser un inventaire complet de la traîtrise des uns et de l’héroïsme des autres sans pour autant dégager quelconque objectivité à ces qualificatifs qui s’invitent dans le débat politique. De toute évidence, de quelque côté où l’on se positionne, on est toujours traître à la cause de quelqu’un d’autre si l’on n’y souscrit pas. Et ces notions ne portent pas la moindre empreinte d’un objectivisme infaillible, qui puisse les faire endosser aux uns tout en les retirant aux autres. Même en temps de guerre, abattre des hommes, furent-ils ses pires ennemis, cela suffit-il à délimiter quelque contour d’héroïsme ? Par là même, refuser de se battre pour occire son prochain représente-il un signe objectif de lâcheté synonyme de forfaiture ? Autant de questions philosophiques qui tortureront encore l’homme jusqu’à son extinction finale !

À défaut de réponses impartiales à ces questions, il serait peut-être bien plus utile d’arrêter de convoquer et de se réfugier derrière les morts, dans un but évident, celui d’éviter d’affronter les vivants, car de mon point de vue, si traîtres on doit désigner avec courage, ceux sont tous ces parasites qui gravitent autour du pouvoir avec une servilité défiant toute philosophie, ceux-là même qui maintiennent l’attention du peuple perpétuellement rivée sur le rétroviseur de la religion et de l’Histoire pour l’empêcher d’entrevoir les voies de demain!

Ce charivari historique, soixante ans après l’indépendance, ne fait que rajouter de la confusion à une situation déjà bien chaotique. Qu’ils fussent combattants engagés au front ou politiques de salon, laissons ceux qui sont partis reposer en paix.

Savoir « qui fût qui » par le passé ne changera rien aux équations présentes et aux inconnues qui leurs sont associées : « qui représente qui », « qui doit faire quoi » dans ce pays ? Pour tout démêler, nous serions tous bien mieux avisés de mettre nos rétroviseurs sous caches afin de construire les chemins du futur au lieu de constamment chercher à débroussailler ceux d’hier, comme si toute la vérité, rien que la vérité, y était enfouie !

On peut bien croire en la formule qui veut que « on ne peut savoir où on va si on ne sait pas d’où on vient » mais on ne peut ignorer non-plus qu’avoir le regard rivé en permanence sur le passé empêche de savoir où on va. Si c’est cela que nous voulons, alors continuons nos petites chamailleries et déterrons tous nos morts ! Ils se remettront peut-être à parler pour nous guider ! Qui sait ?

Par respect pour ceux qui se sont sacrifiés hier, chacun à sa façon, pour une Algérie meilleure, laissons l’Histoire s’écrire à travers les faits ! Évitons de verser dans une surenchère de jugements et de qualificatifs déplacés, bien souvent insensés !

Le mérite de l’ouvrage Messali Hadj Libérateur ou traître de Hoçine Kémal Souidi est de s’être contenté de relater des faits largement documentés pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée de ces chamailleries au sommet.

La question qui mérite d’être posée au regard de ces tumultes autour de ces statures historique s’énonce comme suit :  si Messali Hadj avait pris le destin de l’Algérie en main, le pays ne serait-il différent de ce qu’il est après 60 années d’indépendance ? Il est permis d’en douter.

Messali Hadj était un fervent tenant d’un panarabisme aveugle. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce personnage historique, au pouvoir en 1962, nous aurait mené exactement à la même catastrophe islamiste ! Le fait que le taliban Bouteflika l’aie réhabilité, bien avant Macron, est en soi une preuve que leurs combats idéologiques se ressemblent bien dans le fond.

Nous sommes en 2023, avec plus de 60 années d’indépendance et ma propre mère, comme beaucoup d’autres, regarde les images de la télévision de son pays sans comprendre un traître mot de ce qui se trame sur son dos. Pourquoi un tel acharnement à vouloir imposer à des peuples, des appartenances qui ne sont pas les leurs, ni linguistiques, ni politiques, ni sociales ?

À cet égard une véritable réconciliation n’aura de réelle valeur que si les discours politiques se font dans les langues du terroir, du mozabite au chaoui, du kabyle au chleuh, du targui au tamasheq, etc., car s’adresser au peuple dans un arabe nucléaire que personne ne comprend ou dans la langue du colon, c’est continuer à se moquer de ce peuple dont tout le monde veut confisquer les valeurs et l’histoire millénaire au nom de supercheries et de tous les mensonges de Dieu. L’histoire de l’Algérie ne remonte ni à 1954, ni à 1932, ni à 1832, encore mois à l’an 622 !

Si le pouvoir a pour objectif de se donner une assise populaire, il devrait sérieusement cogiter l’idée de créer un parti des peuples algériens tout en abandonnant ces histoires de légitimité historique. Pourquoi refaire les erreurs des autres pays qui ont fait disparaître la sève authentique de leurs territoires aux noms d’hégémonies coloniales (les USA vis à vis des Indiens, la France, l’Espagne etc., vis à vis de leurs peuples autochtones).

Nous avons les moyens d’innover, le mouvement citoyen l’a démonté pendant deux ans, pour faire de l’Algérie un exemple de tolérance et d’harmonie entre nos peuplades, si tant est que l’esprit colonialiste du panarabisme et de l’islamisme qui en découle prenne fin.

En attendant des jours meilleurs qu’en haut lieu on se refuse à nous offrir,

Nous, citoyens d’en bas, sommes fatigués de ces guéguerres de légitimité historique !

Nous sommes fatigués que l’on nous force constamment à regarder en arrière pour nous empêcher de prendre le chemin du monde qui avance !

Nous sommes fatigués que l’on écrive l’histoire de nos peuples à travers ses dictateurs et ses colons !

Nous sommes fatigués que l’on nous invente des héros !

Nous sommes fatigués que nous, le peuple, soyons toujours écarté, brimé, et objet de toutes sorte de vétos !

Nous sommes fatigués qu’un homme, un seul décide de notre destinée depuis 1962 !

Nous sommes fatigués de la dictature de cette famille de papys FLiN-tox qui s’autoproclame révolutionnaire pour nous piller, nous brimer, et nous confisquer jusqu’à notre liberté de pensée !

Nous sommes fatigués qu’en l’an de grâce 2023, des centaines de prisonniers d’opinion croupissent encore dans une république qui se dit démocratique et populaire !

Kacem Madani

(*) Hoçine Kémal Souidi, Sydney Laurent Editions 2022

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