23 novembre 2024
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« Dissidence populaire, regards croisés », un ouvrage pour comprendre

La date de cette publication a été choisie pour célébrer le 4e anniversaire du mouvement appelé le Hirak, qui est l’objet principal voire unique de ce livre. L’un de ses buts est de rappeler la succession  et le déroulement des événements auxquels on a donné ce nom, l’autre but est de se demander où on en est à cet égard quatre ans plus tard et surtout ce qu’on peut faire désormais.

Ce qui ressort de la vingtaine d’articles que le livre contient est une double constatation : d’une part, on peut penser que le mouvement depuis quelque temps déjà est aujourd’hui à l’arrêt, d’autre part il semble évident pour tous les gens qui l’ont vécu et suivi de près que le Hirak n’est pas mort et que nombreux sont encore aujourd’hui ceux qui sont fermement décidés  à le faire vivre — sous quelle forme, c’est toute la question.

A l’origine du Hirak en février 2019, on a découvert son existence avec surprise et pour certains avec émerveillement : existence évidente du fait d’immenses manifestations populaires  dont le point de départ, très vite dépassé, était le refus d’un cinquième mandat sollicité par le pouvoir en place pour que le président Bouteflika puisse se re présenter aux élections présidentielles.

Le refus populaire était catégorique et a été entendu voire récupéré par les dirigeants mais le mouvement enclenché ne s’est pas arrêté là et on a même pu croire qu’il allait s’amplifier considérablement, si ce n’est que les circonstances ont joué contre lui, et que les manifestations n’ont pu continuer en raison du Covid.

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Plusieurs des articles proposés par « Dissidence populaire, regards croisés » rappellent  cet ensemble de faits et surtout, ce qui est très important, les caractéristiques du mouvement alors qu’il battait son plein : la plus remarquée a été son caractère strictement pacifique, particulièrement désirable mais inattendue dans un pays qui vingt ans plus tôt vivait encore les violences meurtrières  de la tristement célèbre « décennie noire ».

Même si certains des participants au Hirak voient dans ce mouvement une suite aux combats de 1954-1962 pour l’indépendance, il est évident qu’il y a là une différence essentielle. Et d’ailleurs la majorité des auteurs qui s’expriment dans le livre insistent plutôt sur cette nouveauté. La « divine surprise » (pour reprendre une expression connue) causée par le Hirak consiste dans le fait qu’il ne ressemble pas aux nombreux affrontements provoqués par la protestation populaire en soixante ans ou presque d’indépendance.

Dans sa volonté d’obtenir une réforme en profondeur du système algérien tel qu’il s’est imposé dès la création de l’Etat-nation, le Hirak insiste sur la nécessité première de corriger la tare qui est le péché originel du régime, à savoir la collusion sur laquelle il s’appuie entre d’une part l’armée et la toute-puissance des militaires (« Les généraux » dit-on couramment) et d’autre part un régime politique qui devrait pourtant être géré par ses propres lois. La confusion entre les deux peut se faire par différentes sortes de « sécurité militaire »et une  police d’Etat, supposées assurer l’ordre public.

Il est certain que pendant la décennie noire, dont l’objectif unique était d’éliminer les terroristes, le pouvoir arbitraire des militaires à la tête de l’Etat s’est exercé sans limite et sans contrôle  et c’est d’ailleurs de la même façon qu’ils ont prétendu gérer ensuite la « réconciliation nationale » sans que la masse de la population ait son mot à dire là-dessus, alors même que les gens en étaient encore à rechercher, dans l’angoisse et dans la douleur, les très nombreux « disparus » parmi leur famille et leurs proches : comment pouvait-on, sans autre forme de procès, c’est le cas de le dire, leur demander de les oublier tout simplement ?

Cette absence de légalité est un des aspects de ce que le pouvoir juridique a ressenti comme un mépris à son égard et comme la volonté de l’éliminer, ce qui explique pourquoi l’affirmation de son rôle est importante au sein de la dissidence populaire dont parle « Riposte internationale ». Et non moins importante la parole prise par les avocats dans ce même contexte, puisque eux aussi font partie des moyens qu’il est indispensable d’accorder à la société civile dans un Etat démocratique, auquel tous les participants au Hirak disent être attachés.

D’ailleurs le fait que cette aspiration soit proclamée avec tant de force et de tous côtés est aussi un trait caractéristique de ce mouvement et doit être mis en rapport avec ce qui lui est parfois reproché comme une lacune et un manque : pour expliquer la mise en sommeil au moins apparente du Hirak dans la période la plus récente, on invoque le fait qu’il n’a pas su se doter d’institutions dirigeantes, pour ne pas parler de dirigeants eux-mêmes, c’est-à-dire d’individus ou de coteries, c’est-à-dire de chefs.

On ferait sans doute mieux de remarquer à quel point cette attitude est cohérente avec le désir de démocratie, mot bien trop souvent employé pendant plusieurs décennies de politique algérienne mais de façon purement formelle et bien sûr démagogique. Ce que le Hirak semble avoir voulu éviter à toute force, pour préserver la spécificité qui s’est affirmée d’emblée dans ses rangs et qui a été incontestablement l’invention d’un langage nouveau.

Que faire après quatre ans pour donner un sens, une réalité et une efficacité à la souveraineté populaire ?« Riposte internationale » a certainement raison de reprendre à la base les questions fondamentales que personne ne croit résolues, mais que tous les démocrates, pour reprendre ce mot, veulent continuer à poser.

Tout permet de penser qu’ils le feront, la lecture des réflexions et de témoignages regroupés dans ce livre en donne la conviction.

Denise Brahimi

Dissidence populaire, regards croisés, ouvrage collectif publié par l’ONG Riposte internationale

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