Des mots, toujours des maux, encore des mots, toujours des maux, les mêmes maux. D’une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi, l’Algérie vit de et par la grâce des hydrocarbures et non par le labeur de ses habitants et gouvernants.
Hier, avec les moutons et les abeilles ; aujourd’hui avec le pétrole et le gaz, l’argent vient en dormant. La légitimité historique s’amenuise sans disparaître. Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges.
Mais le mythe du projet étatique du développement est bel et bien fini parce qu’il s’est avéré « matériellement » impossible, « socialement » inacceptable, « politiquement » dangereux, et « financièrement » ruineux. La principale caractéristique de cette couche au pouvoir est d’être l’alliée privilégiée de la bourgeoisie étrangère qui n’entend pas tolérer le développement d’une bourgeoisie locale, propriétaire, promoteur d’un Etat capitaliste économiquement indépendant et politiquement nationaliste.
La légitimité populaire peine à s’imposer pour des raisons à la fois historiques et économiques. Le sort de l’Algérie est indexé au cours du baril de pétrole sur le marché. En période de vaches maigres, les élections conduisent à une guerre civile avec ses milliers de morts et de disparus et en période de vaches grasses à une présidence à vie au prix de mille milliards de pétrodollars.
Le conflit dans les pays arabes est entre les poussées modernistes sociétales des gouvernés et les freins conservateurs des gouvernants. L’Algérie a vécu plus de la rente et de la gabegie que de l’effort et de l’économie. Elle a masqué l’indigence des populations et a conforté le pouvoir dans la gestion de l’économie et de la société. Elle est devenue par la force des choses un enjeu de pouvoir.
Evidemment, on partage la richesse mais pas la pauvreté. Tous sont intéressés par la « zerda », personne n’est concerné par la « touiza ». Tous ont vécu de la ponction de la rente et ont obéi aux ordres du clan dominant. Proche de la rente, ils sont les plus fidèles serviteurs du système, loin de la rente, ils sont les plus farouches adversaires. Qui n’a pas été fourvoyé par le système ?
« Ça rentre propre et ça sort sale »
Le système est corrupteur dans son essence parce qu’il repose sur de l’argent sale des hydrocarbures. Un argent qui pourrit tout sur son passage. Ce n’est pas un argent gagné à la sueur du front mais octroyé en fonction de la souplesse de l’échine.
Pour les jeunes âgés de moins de trente ans sans emploi et sans revenus, n’ayant pas vécu les affres de la colonisation, les drames de la guerre civile, et les délices des années fric de la corruption, représentant plus de la moitié de la population, ils ne veulent plus finir dans le ventre des poissons de la méditerranée, Pour eux, il vaut mieux manger « un pain sec debout, qu’un steak haché assis ».
La crise multidimensionnelle que traverse le pays va accélérer le processus de transformation et des réformes, un effort massif de mise à jour des infrastructures de santé, de relance de la production agricole notamment en biens alimentaires, l’investissement dans l’éducation, la formation et la recherche scientifique sont désormais des priorités absolues et aucun gouvernement ne peut reporter indéfiniment ces réformes. L’Algérie ne sera plus la même, la crise qui pointe à l’horizon va transformer le monde de fond en comble où le chacun pour soi et dieu pour tous va s’installer inexorablement. La famine sera le critère de sélection des peuples à la survie.
La question qui doit être au centre des débats : Pourquoi les réformes échouent-elles les unes après les autres à changer certaines organisations ? Parce derrière ce que l’on analyse système de développement étatique se cache la réalité d’un système clanique rentier mortifère.
Que faire alors pour passer de rapports distribution clientélistes à des fins de légitimation de pouvoir dans le cadre d’une économie rentière à une légitimation des rapports de production capitalistes dans le cadre d’une économie de guerre ? La réponse c’est Abraham qui nous la fournit « Celui qui n’a un jour osé changer, n’a pas le droit de se plaindre de la médiocrité de son existence ». Ce sont les pétrodollars qui dirigent le pays et lui donnent sa substance et sa stabilité.
C’est ainsi que l’Algérie s’est installée depuis de longues années dans une position inconfortable d’un pays déficitaire et gros importateur pas nécessairement bon importateur, de produits alimentaires dont l’éventail est très large et concerne pratiquement un nombre important de produits : sucre, lait, légumes secs et notamment les céréales, produits stratégiques entrant dans la consommation courante et quotidienne de la quasi-totalité de la population quel que soit le modèle alimentaire considéré (urbain ou rural).
Au cours des cinq dernières décennies, la population a connu des mutations puissantes qui ont fait basculer le pays à une majorité urbaine de plus en plus jeune et de plus en plus improductive pour ne pas dire parasitaire sources de toutes les dérives et de tous les dangers. L’approvisionnement des villes et des campagnes est devenu problématique pour le gouvernement algérien.
En effet, si les populations ne sont pas nourries, des émeutes éclatent et les risques d’être renversés augmentent. A cela s’ajoute le problème de disposer en permanence du cash dans les caisses de l’Etat pour maintenir en place la bureaucratie civile et militaire et procurer au passage quelque produit de luxe aux élites qui constituent la base politique.
L’adoption en totalité ou en partie du modèle occidental de consommation encouragé par les organisations internationales sous la pression des sociétés multinationales agro-alimentaire notamment s’est traduite par un effondrement spectaculaire de l’agriculture d’autosuffisance en tant que base de subsistance des couches les plus pauvres de la population.
Les dirigeants algériens préconisent et appliquent l’ouverture et l’intégration de l’Algérie fût-elle en position dominée à l’économie mondiale. Cette confiance aveugle sans planification stratégique dans les forces du marché non seulement national mais surtout international dans on attend naïvement l’impulsion qui permette la croissance interne. L’objectif est de vendre le maximum d’hydrocarbures pour faire face au financement des importations et des services indispensables à la pérennité du système actuel.
Il s’agit d’un schéma de croissance fondé sur les seules exportations des hydrocarbures. Les traits dominants de ce type de stratégie sont la référence à la demande mondiale plutôt qu’aux besoins internes pour choisir ce que l’on va produire et donc aussi la référence aux critères de compétitivité internationale pour pouvoir répondre à cette demande. Si elle n’est pas rentable sur le marché international, une production doit être abandonnée quelque que soit son utilité interne. La contrepartie de cette orientation vers l’exportation, c’est l’accès à la devise étrangère, le dollar pour les uns et l’euro pour les autres et donc leur dépendance à leur égard.
Une remarque au passage, c’est que pour ce projet de société, on ne prend pas la peine ni de consulter les plus démunis ni de les faire participer. Peut-être pour ne pas courir le risque que ces démunis exigent une transformation fondamentale des échelles de valeurs donc de revenus et de la répartition du pouvoir. Toujours est-il que cette approche se fonde sur l’idée de conflit et non d’harmonie. Les élites au pouvoir n’abandonneront pas leurs privilèges sans se défendre et empêcheront en même temps tout processus de transfert substantiel des hauts revenus vers les bas revenus. Par conséquent, il n’est certainement pas légitime d’invoquer ou de prétendre aux normes universelles de rationalité et d’organisation pour justifier ou pérenniser des intérêts et des privilèges.
On a trop tendance à raisonner comme si les politiques de développement conçues et mis en œuvre par les élites au pouvoir profitaient toujours à l’ensemble de la population. C’est une erreur monumentale. Les pays développés soutiennent la production, les pays rentiers soutiennent les importations c’est-à-dire financent la dépendance du pays aux variations des prix vers la hausse sur les marchés internationaux rendant vulnérables leurs populations.
L’Algérie est le seul pays au monde à négliger ses paysans, ses artisans, ses travailleurs qualifiés, ses fonctionnaires honnêtes, ses penseurs libres,, ses créateurs alors qu’aujourd’hui en Europe, aux Etats Unis, le revenu des paysans est protégé et subventionné et la terre prend de la valeur. La revalorisation de la terre serait un moyen de redonner à l’algérien le goût du travail et non l’envie de fuir le pays ou de mettre sa vie en péril dans des embarcations de fortune. « La terre est comme la femme, plus on la laboure, et plus elle donne du blé ».
Dr A. Boumezrag