22 novembre 2024
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Arabie saoudite-Iran : une réconciliation et des enjeux stratégiques

Arabie saoudite Iran

Après sept ans de rupture, l’Iran et l’Arabie saoudite, deux grandes puissances du Moyen-Orient, basées sur l’islam politique, ont rétabli leurs relations. Cette réconciliation rebat les cartes des équilibres géopolitiques, dans la région et au-delà.

Une rencontre historique. Le roi Salmane d’Arabie saoudite a invité, dimanche 19 mars, le président iranien, Ebrahim Raïssi, à se rendre prochainement à Riyad. Cette sollicitation intervient peu après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Conclu sous l’égide de la Chine, le 10 mars, l’accord signé par Téhéran et Riyad prévoit la réouverture des ambassades saoudienne et iranienne d’ici deux mois, la relance de discussions en matière de sécurité, ainsi qu’une coopération économique.
Ce processus de rapprochement avait débuté en 2021 en Irak, après cinq années de rupture. L’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite avaient mis un terme à tout lien en 2016 quand des missions diplomatiques saoudiennes avaient été attaquées en Iran, en réponse à l’exécution par Riyad d’un célèbre chef religieux chiite.

Un Iran mieux intégré au Moyen-Orient

Pour marquer leur soutien à l’Arabie saoudite, plusieurs pays du Golfe avaient réduit leurs liens diplomatiques avec Téhéran. Parmi eux : les Emirats arabes unis, le Koweït, le Soudan ou encore Bahreïn. Ces derniers mois, les Emirats et le Koweït, suivant la démarche de Riyad, ont commencé à renouer des relations avec l’Iran. « Grâce à l’Arabie saoudite, l’Iran va pouvoir sortir de son isolement », analyse Hasni Abidi, spécialiste du Moyen-Orient.
Depuis plusieurs années, Téhéran vit sous le coup de sanctions internationales, notamment américaines, visant des secteurs clés comme le pétrole. L’Arabie saoudite, alliée de Washington, a même longtemps soutenu ces sanctions. L’Iran accuse par ailleurs Israël d’attaquer ses infrastructures nucléaires. La pression sur l’économie et la monnaie iranienne s’est accrue ces derniers mois avec de nouvelles sanctions occidentales en réponse aux manifestations déclenchées par la mort en détention de Mahsa Amini le 16 septembre dernier, mais aussi à l’aide militaire que l’Iran est accusé de fournir à la Russie contre l’Ukraine, ce que dément Téhéran. En interne aussi, le régime est fragilisé par une contestation massive depuis la mort de Mahsa Amini. « Les Iraniens étaient au pied du mur et Riyad leur propose une porte de sortie », reprend Hasni Abidi.

L’espoir d’une accalmie au Yémen et en Syrie

Ce rapprochement suscite aussi l’espoir d’une désescalade, voire une réconciliation, dans les pays en guerre où les deux puissances soutiennent des camps opposés.
Depuis 2015, au Yémen, l’Arabie saoudite est à la tête d’une coalition progouvernementale qui combat les rebelles houthis (minorité chiite) soutenus par Téhéran. Le 12 mars, la mission iranienne auprès de l’ONU a déclaré que l’accord avec Riyad « accélérerait le cessez-le-feu, aiderait à entamer un dialogue national et à former un gouvernement national inclusif » au Yémen, selon l’agence de presse officielle iranienne Irna. Un porte-parole des Houthis cité par Al Arabiya (en anglais) a toutefois rappelé que le groupe n’était pas « subordonné » à Téhéran et que la résolution du conflit devrait passer par eux et Riyad.
En Syrie, depuis le début de la guerre, en 2011, l’Iran est le principal soutien du président Bachar Al-Assad, issu de la minorité chiite alaouite, tandis que l’Arabie saoudite soutient les combattants de l’opposition. Le ministère des Affaires étrangères syrien a décrit l’accord comme une « étape importante qui conduira au renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région », cite Associated Press (en anglais). « L’Arabie saoudite pourrait lever son veto à une réintégration de Damas à la Ligue arabe, si Bachar Al-Assad acceptait de prendre ses distances vis-à-vis de Téhéran », analyse David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient à l’Iris.

Les prémices d’une reconfiguration géopolitique régionale

Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Irak constitue un autre terrain de rivalités entre l’Iran et l’Arabie saoudite. En 2019, une vaste fuite de documents des renseignements iraniens avait montré l’ampleur de la mainmise politique, économique et religieuse de Téhéran dans le pays. « L’Irak est le principal bénéficiaire du rétablissement des liens entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ce qui atténuera la pression sur la scène irakienne », avance l’analyste irakien Ali Al-Baidar, cité par l’AFP.
Au Liban, cette nouvelle entente laisse entrevoir une issue à la crise politique. Depuis le départ de l’ancien président Michel Aoun en octobre 2022, aucun successeur n’a été désigné. Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, a déjà choisi son candidat, Sleiman Frangié, mais Riyad a mis son veto sur cette candidature. Pour sortir le Liban de cette impasse, « il va certainement falloir trouver un arrangement », estime David Rigoulet-Roze.
Quoi qu’il en soit, ces mutations pourraient prendre du temps. Le ministre saoudien des Affaires étrangères a souligné que l’accord « ne signifiait pas que [Riyad et Téhéran avaient] trouvé une solution à tous les différends qui [les] opposent ».

Israël se retrouve isolé

L’accord sonne comme un revers pour Israël. Le chef de l’opposition israélienne Yaïr Lapid déplore « un échec total et dangereux de la politique étrangère du gouvernement israélien. » Cet arrangement complique les projets de Tel Aviv de normaliser ses relations avec l’Arabie saoudite et de poursuivre sa stratégie d’isolement de Téhéran.
« En 2020, Israël, les Emirats arabes unis et Bahreïn avaient signé les accords d’Abraham visant à normaliser leurs relations. Cette avancée diplomatique rompait avec des décennies durant lesquelles il était inconcevable pour un pays arabe de reconnaître Israël sans un règlement de la question palestinienne. « Israël espérait que l’Arabie saoudite rejoigne les accords d’Abraham afin de créer un front régional uni contre l’Iran, mais elle n’a pas réussi », explique Hasni Abidi.
« Cet accord (…) confère à l’Iran la légitimité dont il a tant besoin dans le monde arabe », écrit le quotidien israélien Haaretz (en hébreu), cité par Courrier international. Il pourrait conduire à d’autres accords avec des Etats arabes comme l’Égypte (…) voire, qui sait, déboucher sur une reprise des négociations pour sauver l’accord international sur le nucléaire iranien. » Or, le programme nucléaire iranien est perçu comme une menace existentielle pour Israël.

La diplomatie américaine mise à l’épreuve

« Tout ce qui peut contribuer à réduire les tensions (…) est une bonne chose », a assuré le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken à l’annonce de l’accord. Mais en coulisses, ce rapprochement embarrasse les Etats-Unis.
Il intervient alors que Washington entretient des relations mitigées avec Riyad. En 2021, après l’assassinat de Jamal Khashoggi, Joe Biden avait autorisé la déclassification de documents imputant le meurtre du journaliste au prince saoudien Mohammed ben Salmane. Le président américain avait aussi taclé le royaume sur son non-respect des droits humains et de l’Etat de droit. « Joe Biden avait émis des critiques peu appréciées sur les conséquences de l’intervention de la coalition militaire dirigée par Riyad, au Yémen », poursuit David Rigoulet-Roze. Ce qui ne l’a pas empêché de rendre visite au prince héritier en 2022, afin qu’il fasse un geste sur le prix du pétrole, sans résultat probant.
« Il faut rappeler que Mohammed ben Salmane entretient des relations intéressées et calculées avec Moscou sur le pétrole, dans le cadre de l’Opep +, et avec Pékin, dont il est le principal fournisseur pétrolier », soutient David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient à franceinfo

L’influence croissante de Pékin au Moyen-Orient

La Chine a plusieurs intérêts dans cet accord. Pékin est un partenaire économique majeur de l’Iran et de l’Arabie saoudite et a par conséquent besoin de stabilité dans la région. « La Chine achète le pétrole iranien, qui est visé par des sanctions occidentales », expliquait le sinologue Antoine Bondaz sur franceinfo. Dans l’autre sens, selon AP (en anglais), 30% des importations en Iran sont d’origine chinoise et Pékin s’est engagé à investir 400 milliards de dollars dans le pays ces 25 prochaines années.
En novembre dernier, Riyad a acheté pour 4 milliards de dollars d’armes et d’équipements chinois, rapporte le South China Morning Post (en anglais). La Chine, qui jusqu’à présent misait essentiellement sur son influence économique, « se positionne désormais sur le registre géopolitique en se présentant comme un acteur responsable et politique », analyse David Rigoulet-Roze.
Avec Francetvinfon

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