« Tout bouge, rien ne change ! » Ce célèbre aphorisme reflète l’enjeu de la célébration de la journée internationale de la presse, le 3 mai dernier. Au vu du faste qu’il a donné à cet événement, le pouvoir a-t-il réellement la volonté de changer de cap ou persisitera-t-il dans la direction prise jusque-là, en usant de la politique de la carotte et du bâton dans la gestion institutionnelle des médias ?
En effet, l’ambiance vécue, en cette journée dédiée de par le monde à la liberté de la presse, par le Centre international des congrès(CIC) d’Alger avait des allures de jour de fête.
Le ban et l’arrière ban médiatique et politique algérois avaient été invité à cette cérémonie. Des patrons de journaux et des journalistes locaux et des correspondants de la presse étrangère ont pris part à cette rencontre au côté du doyen du pouvoir et président du Conseil de la nation, Salah Goudjil, le président de l’Assemblée populaire nationale, Brahim Boughali, le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, le président de la Cour constitutionnelle, Omar Belhadj. Même le chef d’Etat-major de l’Armée , le général d’Armée Saïd Chanegriha était de la sauterie ! Ali Bencheikh, ancienne gloire du MCA et grand dribbleur devant l’éternel était là aussi. Ne cherchez pas le rapport entre ces huiles du régime et la liberté de la presse en Algérie !
Au-delà des rencontres conviviales et des apartés qu’il aurait permis, le banquet offert à cette occasion, par Abdelmadjid Tebboune a donné lieu à d’étonnantes rencontres.
A l’instar du tête-à-tête entre Tebboune et Khaled Drareni, journaliste et représentant pour l’Afrique du nord de Reporters sans frontières (RSF), une organisation honnie ici et qui n’a pas bonne presse en Algérie.
Ce face-à-face entre ce journaliste « livré aux chiens » pour une supposée accusation de khabardji, d’agent de l’étranger, un motif pour lequel il sera même jeté en prison, et un chef de l’Etat, qui, de notoriété publique, a une conception plutôt directive et autoritaire du travail journalistique, car ne faisant aucune place à la critique et à la liberté de ton, avait quelque chose d’insolite.
La scène relayée par les réseaux sociaux et les télévisions a pris des allures d’une véritable « rencontre du troisième type » donnant lieu à moult digressions et commentaires.
Passons sur les exégèses triomphalistes des médias publics et parapublics qui ont loué la générosité et la grandeur d’âme du « président Tebboune » qui, selon eux, a fait preuve d’une grande sollicitude envers les journalistes.
Mais le geste de celui-ci doit être placé dans son contexte et analysé à l’aune des évolutions politiques éventuelles en cours.
Ce faisant, il doit être interprété moins comme un volonté d’apaisement, un assouplissement de la rigidité qui a caractérisé les rapports du chef de l’Etat avec les journalistes mais plutôt comme un acte visant le ravalement de façade d’un régime trop ternie par un autoritarisme débridé et des pratiques répressives qui n’ont épargné ni les médias et les journalistes, encore moins les acteurs politiques et de la société civile qui ont choisi de fonctionner hors des clous dressés par le pouvoir.
Le changement d’approche et la tolérance subite à la liberté d’expression et à un fonctionnement libre et autonome des médias en Algérie que ces analystes optimistes ont prêté au chef de l’Etat ne peut résister à la réalité du terrain.
Fraîchement condamné et incarcéré pour un motif fallacieux de financement extérieur, El Kadi Ihsane a vu son groupe médiatique fermé et ses employés mis au chômage.
Mustapha Bendjama croupit toujours en prison alors que le motif de son incarcération, à savoir l’exfiltration à partir de la Tunisie vers la France de la militante Amira Bouraoui semble être oublié pour raison d’Etat. Ce jeune journaliste est en réalité envoyé en prison pour son impertinence et sa pratique d’un journaliste sans concession. Pas pour l’affaire Bouraoui. Ses avocats l’ont d’ailleurs souligné.
Si Tebboune a pris soin d’apaiser le ton et de se soustraire à l’attitude condescendante et directive qu’il a toujours adoptée lorsqu’il aborde le sujet des médias et des journalistes, son discours n’a en rien rompu avec la rhétorique habituelle creuse : le verbe toujours creux et le ton paternaliste avec une référence redondante aux valeurs patriotiques pour lesquelles les journalistes algériens sont tenus en suspicion. Ils dénotent aussi le manque de consistance du personnage.
Rencontre lunaire avec des journalistes
La rencontre télévisée de Tebboune avec des représentants des médias diffusé, il y a trois jours a montré le chef de l’Etat dans ses véritables habits de directeur de conscience.
Tebboune a montré qu’il reste droit dans ses bottes, fidèle à sa doctrine et au rôle qu’il assigne aux médias dans le contexte de « la nouvelle Algérie ».
Les éléments de langage habituels qui caractérisent son discours ont été au cœur de l’échange qu’il a eu mercredi 3 mai et diffusé le samedi d’après, avec les journalistes et portant sur les préoccupations du secteur de l’information en Algérie. Cette rencontre à vu aussi des patrons de presse demander à Tebboune des conseils pour mieux écrire. Affligeant. On a connu Bouteflika en rédacteur en cjefde l’APS, on découvre Tebboune professeur de journalisme !
Le chef de l’Etat n’a pas dérogé à son habituelle promptitude à rétorquer aux différentes ONG internationales, à l’instar de RSF qu’il persiste à qualifier d’ennemies de l’Algérie.
La place que RSF a réservé à l’Algérie dans le cadre son classement international relatif au respect de la liberté de la presse est qualifiée de faux. Il est toutefois dans son rôle de négateur des réalités.
Réfutant l’incarcération des journalistes pour leur opinion, le chef de l’Etat a affirme, en réponse à RSF: « Nous sommes au fait des coulisses de ce genre de classements,(…) Le seul classement à prendre en compte est celui de l’ONU connue pour l’impartialité de ses institutions ». « Sans une presse responsable et professionnelle, nous n’irons pas très loin », a osé lancer le chef de l’État, rappelant que « la Constitution de 2020 avait appuyé les droits de la presse et renforcé la liberté d’expression ». Il a mis en évidence, à cet effet, « la nécessité d’avoir de grandes institutions médiatiques nationales capables de contrecarrer les ennemis de la patrie et de contrer les attaques extérieures contre le pays, car il s’agit d’une école qui forme des générations et contribue à éclairer l’opinion publique ».
Enfumage, paranoïa ne sont pas loin dans l’argumentaire du chef de l’Etat.
Le jeu trouble des autorités
Cela étant, à chaque fois que des poursuites sont décidées contre un journaliste, la justice s’appuie essentiellement sur des articles du code pénal, notamment les articles relatifs à l’ »atteinte à la sureté de l’Etat ».
A cela s’ajoute le fait que la loi relative à l’information adoptée récemment par les deux chambres du parlement renforce le poids de l’exécutif dans le secteur, notamment pour ce qui est de l’institution de l’autorité de régulation et du Conseil de l’éthique.
Le nouveau code dispose que ce conseil sera composé de douze membres dont six désignés par le président et six élus par leurs pairs, alors que dans le texte en vigueur, auparavant, et même s’il n’a jamais été installé, tous ses membres sont élus par les journalistes et éditeurs.
De même pour les autorités de régulation de l’audiovisuel ainsi que de la presse écrite et électronique, composées, de neuf membres tous désignés par le président, alors que dans la loi de 2012, il est question de quatorze membres dont sept désignés par le chefdel’Etat.
Avec un arsenal pareil, il n’y a rien de sérieux qui se profile pour redonner à la presse quelque liberté.
Samia Naït Iqbal