Mon Dieu, depuis que m’ont quitté deux êtres qui me sont très chers je n’arrive pas à me débarrasser de cette boule au ventre qui se tourne et se retourne comme un fœtus qui refuse de naître.
Chacun de mes éclats de rire cache un sanglot rentré. Méfiez-vous des gens trop joyeux, ils n’ont que ce subterfuge pour ne pas sombrer dans un deuil ravageur. Moi, je politise tout, je pamphlétise à n’en plus finir, je m’excentriquise, je réseaute, je tape à tour de bras sur telle ou telle injustice, et je braie de satisfaction comme pas possible sur des choses insignifiantes, tout cela pour voiler l’image du départ définitif de ces êtres, sans possibilité de retour quand bien même s’incarneraient-ils dans quelque chose, un fougère ou un arbre d’ombrage.
Parfois, au milieu d’une conversation en famille ou avec des amis, un défilé de leurs visages perturbe mon attention et me rend absent à mes interlocuteurs qui le remarquent : « eh ! Achour, t’es à l’Ouest ou quoi? », et je réponds en improvisant une excuse tirée par les cheveux, car je ne veux gêner personne avec mes morts, tout le monde a ses morts.
Peut-être que le soir lumineux d’un jour où je m’étalerai sur les tombes de ces deux êtres que j’arroserai de toutes mes larmes contenues, que je susurrerai à leurs stèles pour leur dire combien je garde encore l’odeur de notre commune peau pétrie dans nos enfances, peut-être ce jour-là cette boule au ventre sortira enfin pour de bon. D’ici là, je continue à divaguer, à joyeuseter, à vaquer à mes affaires comme si de rien n’était.
Pourquoi raconté-je publiquement toutes ces choses-là, me diriez-vous ? Ne devraient-elles pas rester dans les chambres privées du cœur ? Ne doit-on pas les ruminer in petto à l’abri des compassions feintes ? N’y a-t-il pas là une volonté malsaine de chercher à susciter de la pitié chez autrui ? Mais j’ai le cœur « complet » pour m’adonner aux larmes d’alcôves, et puis j’ai besoin ne serait-ce que d’une faible oreille qui accepterait d’écouter le souffle d’une âme faussement tranquille, qui partagerait avec moi l’amitié des fantômes.
Je vous remercie donc de m’avoir prêté quelques minutes cette oreille, c’est pas peu, ça allège et élargit un cœur à l’étroit pour faire un peu de place à l’amour des vivants. Qu’on ne doit surtout pas arrêter de chérir. Qui partiront aussi un jour. Après moi ! C’est mon voeu permanent.
Amicalement.
Achour Wamara