« De même pour nos mémoires. Face aux multiples silences qui s’agrandissent, face aux douleurs, face aux multiples désirs impossible à assouvir, l’esprit ne peut rien faire d’autre que prendre congé et se réfugier dans l’une de ces parcelles du passé, qui ne lui soit pas hostile, qui ne soit pas dure avec lui. » La dernière escale, Lounès Ghezali
Voilà Lounès Ghezali, qui s’est métamorphosé en femme dans sa fiction, pour nous raconter les derniers moments de vie de la narratrice qui est le seul personnage du roman.
C’est une femme qui souffre après un AVC et qui a conscience de la vie mouvementée du monde qui bouge autour d’elle alors qu’elle se trouve à l’aube de sa mort inéluctable. Elle se souvient de ce qu’elle a été et compose avec ce qui ne peut qu’advenir. La lucidité qui lui donne une autre dimension l’oblige à se rappeler constamment que la vie est en train de l’abandonner petit à petit. C’est dans cet ordre des choses que la problématique de la vie s’impose dans une sorte de questionnement métaphysique ininterrompu.
Dès lors, les remises en question deviennent totalement vaines. Face à la mort, seule la déférence prime. Rien ne compte désormais face à la faux de ce qui est obligatoirement insurmontable. Le voyage s’ouvre graduellement vers des paysages qui ne peuvent déboucher que sur une perspective d’un aller sans retour. S’il n’y a aucune possibilité de s’amender, il est en revanche de la plus haute importance de trouver une tranquillité de l’esprit à défaut d’un soulagement qui ne peut survenir à ce moment précis. Rien ni personne ne peut se mettre à la place du voyageur qui débute son odyssée vers ces prairies inconnues qui s’ouvrent sur des dimensions d’un autre ordre – celui de la solitude exceptionnelle où seul le pèlerin de la dernière heure peut s’aventurer.
Voyage astral, exode terminal, exploration débouchant dans d’autres mondes, c’est La dernière escale que vit cette femme qui partage avec nous sa dernière pérégrination avant d’aborder ces côtes de l’aboutissement de son ultime croisière. Tout au long de ce périple que nous suivons malgré nous, comme introduits involontairement dans le secret des réflexions de cette solitude terminale, nous touchons du doigt les coteaux infimes de la vie que nous traversons. Nous voilà, témoins involontaires, de cette descente vers les mythes en trompe-l’œil de la vie.
Tout y passe. L’importance des actes désormais obsolètes qui nous ont permis d’atteindre l’ineffable et les agissements les plus anodins que la vie a mis sur notre chemin. Comme quoi, la réalité de la destinée peut être tellement dépourvue de toute fonction sociale. On se retrouve complètement seul dans ses pensées les plus intérieures sans autre possibilité que de les vivre. Pour une toute ultime fois puisque s’ouvre définitivement La dernière escale.
Un roman fort et d’une finesse majestueuse. À lire absolument.
Kamel Bencheikh
La dernière escale, Lounès Ghezali, Éditions Frantz Fanon, 2022, 128 pages