21 novembre 2024
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L’anachronisme et le smartphone de Rouiched

Hassan Terro

Nous savons que l’histoire est souvent détournée, manipulée et dirigée. C’est notre sujet du jour car notre rapport à l’histoire est fondamental. L’humanité ne peut avancer sans savoir ce qui l’a construite et qu’elle en fasse une base de son futur sans qu’il soit nécessaire de s’y accrocher avec un conservatisme qui, lui également, est manipulateur.

Imaginons une scène avec Hassan Terro consultant Telegram sur son smartphone pour contacter son réseau de terroristes, Napoléon utilisant un char de combat pour conquérir l’Europe ou Christophe Colomb se dirigeant à travers l’océan avec un GPS. Ce sont des situations burlesques qu’on dénomme des anachronismes mais qui nous permettent d’introduire le sujet avec humour.

Pendant très longtemps l’anachronisme a été considéré comme le pêché absolu en histoire. Comment démentir une telle affirmation en considérant sa définition ? Le Larousse nous en donne une,  « erreur qui consiste à ne pas remettre un événement à sa date ou dans son époque; confusion entre des époques différentes ». Il l’étend à des mœurs devenues périmés.

Il nous apparaît ainsi que l’anachronisme est en contradiction absolue avec le concept d’histoire qui est la reconstitution fidèle autant que possible du passé. Pour le smartphone de Rouiched, nous serions dans une double dimension, l’anachronisme et la science fiction. Les évènements qu’il vit font partie du passé au moment du film et Internet n’est pas encore inventé au moment de ce même film.

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Même s’il n’en furent pas le commencement, l’apparition des fictions au cinéma a multiplié les anachronismes, volontairement ou non. Dans la quasi-totalité des cas le spectateur ne les perçoit pas pour deux raisons, il n’en n’a pas la connaissance ou son attention est entièrement prise par  l’intrigue du film et la rapidité des images qui se succèdent. Pour les plus cachés leur découverte est souvent le fruit de personnes qui les traquent.

Est-ce si grave que cela lorsqu’il s’agit d’une fiction où par définition tout est irréel ? Que l’anachronisme porte sur un élément physique ou non il n’y a pas d’opposition à leur utilisation lorsque l’œuvre veut introduire des effets comiques ou volontairement transgressifs à la chronologie historique. Rouiched avec son smartphone et la science-fiction (réellement prémonitoire dans ce cas), le char de Napoléon ou le GPS du marin génois seraient en adéquation avec la situation décalée ayant un objectif de distraction ou interprétatifs du personnage, d’une idée ou d’un symbole.

Puis il y a le cas quotidien, cauchemar des professeurs, lorsque des étudiants, pourtant bacheliers, font d’Adam Smith, le fondateur de la théorie du libéralisme, un contemporain de Keynes. Ou que les Turcs auraient chassé les colonisateurs français pour s’installer en Algérie jusqu’en 1962.

Pour un certain nombre d’entre eux, Marie Antoinette est l’une des filles de la famille Stuart. Il faut s’en prendre à eux, pas aux historiens. Rien de grave dans ces anachronismes sinon de la désespérance.

Ce qui compte pour légitimer un anachronisme est que le spectateur, le lecteur ou celui à qui le locuteur destine son message ne soient pas dupes et en comprennent soit l’erreur soit le sens détourné vers un second degré. Mais le débat sur l’anachronisme prend tout son sens, beaucoup plus lourd, lorsqu’il ne s’agit plus de fiction, de cancreries de certains jeunes ou illettrisme mais de la science historique. Dans ce cas on est en droit de s’insurger contre ce qui est gravissime et parfois dangereux.

Pourtant un curieux débat a lieu tout à fait sérieusement depuis longtemps. Plusieurs historiens, même s’ils restent marginaux dans leur nombre, reviennent sur la notion de péché concernant l’anachronisme en histoire. Il ne serait pas selon eux si grave car il est tout aussi inévitable qu’utile. Je ne suis pas convaincu par cette thèse même si, je dois le reconnaître, elle me tente parfois dans certains aspects de son développement.

Prenons un des exemples les plus représentatifs, soit la position du célèbre historien Jules Michelet au XIXe siècle. Pour lui le métier d’historien est toujours une démarche anachronique. « L’œuvre n’est-elle pas colorée des sentiments du temps de celui qui l’a faite ? ».

Autrement dit, projeter les références actuelles dans les événements du passé n’est-elle pas forcément la démarche de l’historien. Pour les partisans de cette position, si l’historien se réfère uniquement aux documents du passé, quel serait donc son métier ?

Effectivement, l’argument est tentant car que font les historiens si ce n’est projeter leurs références contemporaines au sujet étudié. Si les œuvres de fiction littéraires et cinématographiques ont exagéré les résultats des historiens, ces derniers ont parfois largement contribué à l’interprétation anachronique.

Mais d’un autre côté, Jules Michelet fut celui qui a totalement travesti l’histoire en créant un « récit national français » que le public aimait à entendre. Celui-là même que les petits algériens ont longtemps lu à travers les manuels d’histoire. L’Algérie de cette époque (comme la France) avait subi les élucubrations et les mythes engendrés par un récit national erroné qui en est arrivé à faire des gaulois les ancêtres des Nords africains.

Qui sait ce que dans deux mille ans les historiens retiendront comme interprétation de la scène de Hassan Terro et de son smartphone. Mais surtout, qui est cette énigmatique Zakia ? Sauront-ils la vérité si toutes les archives sont détruites et que la datation de la naissance d’Internet n’est pas totalement fixée ?

Cette affirmation de la disparition des documents semble fantaisiste. Elle est pourtant constante dans l’histoire alors que les civilisations antérieures pensaient les avoir transmises à la mémoire de l’humanité par des documents écrits et architecturaux. Se serait prétentieux de croire que notre ère moderne aurait des moyens techniques ineffaçables dans leur conservation.

Et puis, pour ceux qui sont effectivement restés comme par exemple les pyramides, les manuscrits de la mère morte ou les peintures rupestres de Lascaux n’avaient-ils autre chose à faire que de raconter des histoires de smartphone de leur époque ?

Les historiens ont des siècles de recherche devant eux pour découvrir la vérité dans cette affaire de smartphone car Rouiched est éternel.

Sid Lakhdar Boumediene

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