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A mon frère de lutte, Hamou Boumedine

Hamou Boumedine

Hamou Boumedine, six mois jour pour jour que tu es incarcéré sans jugement en ces temps de renversement de la raison où ce sont ceux qui t’accusent d’ignominies qui en sont en réalité les véritables promoteurs. 

Je t’ai connu dans les années 90, étudiant discret et sérieux, militant au RCD et je t’ai retrouvé plus tard, au front dans ces jours sanglants du printemps noir 2001,  exprimant ta révolte dans un discours politique novateur et très construit.

Revenant au MCB après avoir quitté le RCD et contribuant au courant de pensée autonomiste, tu es devenu ce militant rare, d’une grande intelligence politique et porteur d’une vision dont l’époque avait  besoin, mais non encore suffisamment reconnu à ta juste valeur, car toujours discret, n’aimant pas te mettre en avant.

Et j’ai appris à te connaître avec ce courage tranquille dont tu fais toujours preuve, cette détermination et cette constance sans faille.

J’ai rarement connu quelqu’un d’aussi patriote que toi, aimant profondément sa terre, grand connaisseur de son histoire et de ses cultures. Même dans les pires moments, je sais que tu as toujours refusé de quitter le pays. Guidé par la raison, ouvert a l’universel et féru de lectures sérieuses, tu respirais également la bonne éducation kabyle, pétri des codes moraux de « taqvaylit », particulièrement respectueux envers les femmes et les aînés, tout en veillant à la transmission de la langue kabyle par l’oral et l’écrit à tes enfants.

C’est ainsi qu’une relation politico-amicale s’est construite entre nous, heureux de nous retrouver dans une communion de pensée, recherchant la parole de nos aînés et partageant nos découvertes d’auteurs, intellectuels, politiques de différentes contrées du monde qui nous confortaient dans nos idées en apportant des réponses à nos questionnements tout en nous apprenant à mieux traduire nos aspirations, sachant que nos formations de scientifiques, toi ingénieur et moi médecin, ne s’y prêtaient guère . 

Tout au long de notre compagnonnage politique, nous avons vécu des moments forts de symbiose comme dans l’écriture du «  Manifeste pour la reconnaissance constitutionnelle d’un statut particulier pour la Kabyle » où l’un commençait une phrase et l’autre la finissait et d’autres moments de confrontation passionnée autour de concepts ou du choix des mots.

Ta pensée s’est construite en s’affirmant, comme en témoignent tes nombreux écrits dans les journaux principalement «Liberté » et «El Watan ». De l’article « Pour un nouveau contrat d’unité nationale » publié en 2002 à « Ce que le combat démocratique doit au printemps berbère » en avril 2021, tu as abordé tous les thèmes fondamentaux traitant de l’identité, la Nation, la culture, les langues, le pluralisme, la refondation de l’Etat, etc.

Très à l’écoute de la société, tu as été aussi un repère sur les réseaux sociaux en portant une parole juste, pondérée et réfléchie dans cet univers travaillé par les extrêmes.

En 2017, nous avons fondé le « Rassemblement Pour la Kabylie » avec des militants de divers horizons cherchant une voie nouvelle, dont Da Lahlou, notre doyen, qui t’a rejoint sous les verrous il y a  trois mois pour des accusations toutes aussi fallacieuses.

Cet aboutissement de parcours s’est fait après ton passage au  » Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie » que tu as quitté au vu de son évolution politique car tu ne pouvais concevoir un avenir en dehors de l’Algérie tout en ne voulant rien céder sur la reconnaissance d’un statut politique pour la Kabylie.

Et je me souviens du moment où notre choix s’était porté naturellement sur toi comme coordinateur ; j’ai croisé ton regard et j’y ai lu de la gravité devant cette lourde responsabilité, conscient du chemin difficile et risqué qui t’attendais.

Tu as animé ce mouvement avec une constance remarquable malgré les aléas, lui donnant une identité d’avant-garde qui défend un changement de paradigme, une rupture avec la pensée politique traditionnelle faisant espérer une vision nouvelle de l’avenir pour la Kabylie et l’Algérie.

A la veille de ton arrestation, tu étais en cours de préparation de la Conférence Régionale de Kabylie en vue de «  rassembler l’ensemble des forces de la région qui croient en la nécessité de trouver une articulation féconde entre le combat national et les préoccupations spécifiques de la Kabylie »

Sachant le rôle moteur de la Kabylie dans cette conjoncture, cette initiative visant à donner un contenu politique au mouvement populaire était-elle la vraie raison de ton arrestation, laquelle avait créé une onde de choc dans la société suscitant incompréhensions et interrogations ?

C’est toi qui m’as appelé pour m’apprendre la nouvelle de ta convocation avec un ton calme, rassurant, me demandant de ne pas m’inquiéter, plutôt soulagé d’avoir eu le temps d’accompagner ton fils dans l’épreuve du baccalauréat. Bref, égal à toi même avec toujours ce courage tranquille et la sérénité de quelqu’un qui a fait son devoir d’homme, prêt à assumer devant l’Histoire ses convictions.

D’après tes avocats, à la première audience, tu as tenu devant tes juges un discours de haute facture, réfutant toutes les accusations émises à ton encontre, mais en disant que, s’agissant du RPK, tu assumais entièrement tes propos du premier au dernier mot. C’est ce genre de valeur sûre que des pays bâtisseurs d’avenir savent se donner comme élite au lieu de les laisser croupir dans les prisons.

Et me voilà aujourd’hui, comme tous les jours depuis six mois, à avoir du mal à regarder ta photo, le cœur serré, avec des préoccupations de grande sœur comme tu aimais à m’appeler parfois : Comment est-il traité ? Mange t-il à sa faim ?  A- t-il trop froid, trop chaud ? A-t-il assez de lectures ?

Car pour le reste je sais que tu vaincras car c’est toi qui détiens les clefs de la raison et de la liberté vraie.

Avec toute mon affection et mon grand respect pour ton engagement dans notre combat que tous les militants ont fait le serment de poursuivre.

A ta libération et à celles de tous les détenus politiques et d’opinion.
Malika Baraka
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