2 mai 2024
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A propos du livre de Guy Pervillé

POLEMIQUE

A propos du livre de Guy Pervillé

Guy Pervillé a publié « Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire », éd. Vendémiaire, Paris, 2018.

Un peu de sociologie éditoriale, tout d’abord

À propos de l’éditeur : « Vendémiaire » est le mois des vendanges dans le calendrier républicain d’après 1789. C’est aussi un événement historique : tentative d’insurrection royaliste contre la Convention en octobre 1795. Elle a été réprimée au canon, notamment par Bonaparte. Si cette répression a été meurtrière, l’inspiration « réactionnaire » de cette émeute royaliste constitue une référence qui résonne étrangement, en ce début de XXIe siècle.

À propos de l’auteur : « historien reconnu », institutionnel, accordant de fréquents entretiens au journal de droite classique voire dure le Figaro (habituellement rétif aux notions de « repentance » post-coloniale, et plus ou moins discrètement islamophobe).

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À propos du titre : le qualificatif « iconoclaste » présuppose la destruction d’icônes. Lesquelles? Subsiste-t-il des icônes s’agissant de la guerre d’Algérie, ses origines, ses suites ? La gloire civilisatrice française ne convainc plus personne. L’héroïsme des parachutistes du « maintien de l’ordre » n’a plus beaucoup de chantres, sinon honteux et discrets dans des sites internets dédiés à la manipulation des ressentiments sociaux, comme on le constate de nos jours sur les Champs-Élysées. En vis-à-vis, le socialisme et la démocratie originels de l’indépendantisme algérien ont été écrasés sous l’immobilisme d’une bureaucratie militaire, et, oubliés depuis longtemps, n’occasionnent plus guère de ces adorations que l’on décerne aux « icônes ».

Il n’y en a donc guère qu’il faudrait détruire par une « histoire ». Et comment une histoire d’historien, objectif, « au-dessus des passions » comme s’annoncent tous les réviseurs intéressés, peut-elle d’emblée s’engager à détruire, plutôt qu’observer, rendre compte, etc. ? Si même il s’agissait d’« icônes », le rôle « impartial » d’un « historien » consisterait à en écrire l’histoire, précisément, et non à les « détruire ». Il serait icônologue, et non « icônoclaste ».

Or cette histoire s’affirme aussi comme celle de la mémoire : le caractère offensif de l’«iconoclasme » se comprend mieux. Histoire de la mémoire à travers les âges, des origines à nos jours ? Non pas, il ne s’agit que de celle de la guerre d’Algérie.

Cette « mémoire » est-elle achevée, qu’on puisse en écrire l’histoire, fût-ce brisant des icônes ? Ne s’agit-il pas plutôt de l’arrêter, d’en finir avec elle, de lui fixer des bornes institutionnelles, officielles ?

C’est justement cet aspect officiel, politique et institutionnel qui préoccupe ce destructeur de son propre objet scientifique de connaissance. La «mémoire » dont il s’agit est celle des discours de responsables, ministres, chefs d’État. Ce que vise l’iconoclaste, ce sont les « reconnaissances » successives, embarrassées, diplomatiques dans tous les sens de cet adjectif, tâtonnantes, contradictoires, incomplètes, souvent euphémistiques, consenties laborieusement par les chefs d’État Chirac, Hollande, Macron, à propos de la colonisation et, notamment, de la guerre d’Algérie.

Or l’histoire, que ce soit comme discipline savante spécialisée ou comme réalité humaine globale et vécue par les sociétés, n’a rien – ne devrait rien avoir – à faire avec les calculs des États, leurs relations variables, leurs intérêts, leurs propres engagements anciens et présents, leur dépendance avec des parties prenantes, économiques, militaires, policières.

Et l’écriture de l’histoire ne devrait pas avoir pour finalité les discours officiels.

G. Pervillé réserve la notion de crime contre l’humanité à sa définition et son emploi juridiques internationaux contemporains. En dehors de ceux-ci, nul besoin de remise en cause critique de procédures dominantes, nul besoin de reconnaître un refoulé douloureux qui pèse sur les relations inter-communautaires.

Il faut même le taire pour ne pas aggraver les divisions, les oppositions, comme si ce refoulé n’était pas en même temps connu, ressenti, éprouvé, dans l’inconscient collectif, et facteur précisément de ces oppositions que l’on prétend conjurer… en aggravant le refoulé.

Dans ce livre ainsi orienté, les faits précis sont inventoriés dans la confusion d’une sur-information qui noie les contradictions. Abordons deux argumentaires. Le premier à propos de Sétif et de mai-juin 1945.

L’affirmation selon laquelle l’enclenchement du drame n’aurait pas été un éclatement imprévu causé par le meurtre d’un porteur de drapeau est présentée comme une prétendue « révélation ». Elle ne résout rien du tout si l’on y réfléchit (c’est-à-dire si l’on ne se contente pas de l’affirmer pour opposer une icône à une autre). Elle ne « révèle » rien puisqu’elle répète, en les orientant, des témoignages d’indépendantistes algériens (Hocine Aït Ahmed, Mohammed Harbi notamment) pour évoquer, en la dénonçant, l’intention insurrectionnelle de manifestants autochtones. Or cette tendance, qu’elle ait existé ou qu’elle ait agi (ce qui est encore différent), n’est pas incompatible avec un processus immaîtrisé.

D’abord l’hypothèse d’une insurrection était ancienne, délimitée par des foules de tendances contradictoires, et demeurait plutôt à l’état de mythe impratiqué (et considéré par beaucoup d’Algériens comme impraticable). À titre de comparaison, rappelons que l’insurrection, le grand soir, etc., ont constitué un mythe rêvé durant plus d’un siècle en France, sans qu’il s’en soit jamais produit une seule d’importance.

En outre, que des manifestants aient nourri l’hypothèse d’actions offensives n’exclut pas que des forces ultras-coloniales, des responsables plus ou moins fascistes de services anciens ou encore actifs, aient aussi pesé pour en provoquer l’éclatement et, ainsi, une répression de grande ampleur.

S’agissant de Sétif en 1945, l’auteur procède à une relativisation tous azimuts. On ne sait plus qui a tiré le premier, ni même si quelqu’un a tiré le premier (sic).

Cependant, juge l’auteur, arborer un drapeau algérien constituait un passe-droit condamnable, une « illégalité » relativement à la « légalité » anti-démocratique jusqu’au fétichisme des autorités françaises (elles répétaient ce fétichisme particulier qui, à la fin du XIXe siècle, faisait tirer sur des grévistes en France pour peu qu’ils arborent un drapeau… rouge, à l’époque).

C’est avec des présupposés de ce type, répétés comme une évidence normale, que l’on prétend aujourd’hui faire œuvre « iconoclaste » d’« historien ».

Évidemment, l’existence plus ou moins avérée de tendances insurrectionnelles ou seulement émeutières (qu’il faudrait contextualiser) n’a jamais légitimé humainement parlant la barbarie des répressions de masses.

Au bout du compte, la préoccupation de G. Pervillé est uniquement celle-ci : Opposé à ce que la répression française de 1945 soit désignée comme « crime contre l’humanité », il y voit un « simple crime de guerre ». Sans me soucier ici d’aucune incidence juridico-institutionnelle, je soulignerai que cette notion n’est pas si simple. Elle fait l’impasse sur une condition qui était alors une conséquence directe du fait colonial : il ne pouvait y avoir de guerre puisque l’Algérie était « française » ; il ne s’affrontait pas deux armées belligérantes ; mais deux catégories de « Français »… J’ai proposé déjà la notion de crime de guerre sociale : elle me semble adaptée en l’occurrence.

Le second argumentaire que j’évoquerai ici porte sur le 17 octobre 1961 à Paris.

Guy Pervillé prétend « peser » les différents recensements des victimes. Il tiendrait balance objective entre le pro-figarotiste Jean-Paul Brunet, « historien » pro-policier ancien dépendant de M. Papon, et, d’autre part, Jean-Luc Einaudi, ancien maoïste, est-il rappelé – il ne l’était plus depuis longtemps lorsqu’il a entrepris sa recherche historique. Si l’un dit au moins deux cents morts (avec des approximations qui, en vérité, ne portent pas nécessairement à réduire ce nombre, mais que l’on souligne à plaisir), l’autre dit trente à soixante : allons, neutralisons, une bonne moyenne, quatre-vingts, au jugé. D’ailleurs, bien des sources ont disparu, si elles ont jamais existé.

Dans cette même objectivité documentaire, G. Pervillé rappelle avec un respect révélateur les travaux de Rémy Valat à propos d’une autre « mémoire » controversée, celle de la Force de police auxiliaire (FPA, supplétifs algériens réputés pour leurs pratiques tortionnaires en France et patronnés par la préfecture).

Selon G. Pervillé, il s’agirait d’un « jeune historien » qui a bénéficié pour sa formation d’une expérience exceptionnelle, en « qualité d’archiviste à la préfecture de police, chargé depuis 1998 de classer les archives du préfet de police Papon ».

Dit autrement, comme je l’ai mentionné dans la chronique Une réaction mémorielle à propos du 17 octobre 1961 à Paris (publiée sur ce site en juillet 2018), Rémy Valat a trié les archives de la Préfecture avant leur ouverture conditionnelle et sélective au public (ce sont les Archives de la Mémoire »)…

G. Pervillé (comme aussi le journaliste du Monde Bernard Legendre qu’il cite) rapporte sans commentaire critique, pour une fois, le pseudo-témoignage de Raymond Montaner rapporté dans les livres de R. Valat, selon lequel la FPA qu’il dirigeait n’a quasi jamais pratiqué la torture. Comiquement, c’est la mention du journaliste qui sert d’appui, qui étaye la source citée dans ce nouveau livre… qui se borne en cela à répéter le premier. C’est un peu comme si les dénégations d’un assassin valaient preuves historiques dès qu’un journaliste les a rapportées quelque part.

À peine notera-t-on ici que Montaner avait moins de cynisme qu’Aussaresses – ou un cynisme différent. Mais ce pseudo-témoignage a valeur d’« iconoclasme » suffisant. On mesure le sérieux de l’historien « objectif ».

Pour conclure, reprenons la méthode sociologique appliquée en introduction à l’édition de cette Histoire iconoclaste… Cette fois à propos des « travaux » du « jeune historien » à la formation digne d’éloges pour G. Pervillé : Rémy Valat.

Son dernier éditeur : Dualpha (maison fondée, après d’autres de même inspiration, par un pseudo Philippe Randa, polygraphe d’extrême droite, ancien du GUD entre autres, ex-auteur de romans de gare d’espionnage machistes, très présent dans presse et réseaux propagandistes de ces tentacules, etc.).

Quant aux sites où Valat a placé ses entretiens et la publicité « démythifiante » de ses hagiographies pro-« harkies de Paris », ce sont Riposte laïque (ultra « français » jusqu’à la crédulité obsessionnelle, anti immigration, etc.), Eurolibertés (réseau anti-migratoire ouest- et centre-européen), Stop-islamisme (anti-arabe et anti-maghrébin bien plus que critique d’une religion — choisie parmi d’autres…). Liste sans doute non exhaustive.

Il existe ainsi en France une porosité brouillonne entre d’une part le « réactionnisme » bon chic bon genre de clans universitaires haut de gamme, d’instituts ayant droit de cité dans les journaux « objectifs » et les cénacles conférenciers, d’autre part la droite revendiquée du Figaro, et enfin l’extrême droite la plus virulente.

On est select ici, élégant, rationnalisateur, tempéré, raciocineur. Et là on négationnise sans vergogne dans l’apologie vindicative des pires atrocités. Au-delà de cette porosité symptomatique, ce petit monde entretient de vieilles rancœurs pour alimenter et promouvoir un bellicisme plus ou moins avoué et revendiqué. Ceci va bien au-delà de la guerre d’Algérie et de sa « mémoire ». Aujourd’hui.

J. L. M. P.

Guy Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire, éd. Vendémiaire, Paris, 2018

Auteur
Jean-Louis Mohand Paul

 




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