Jeudi 28 décembre 2017
À propos d’un prix littéraire
Sauf erreur, je n’ai lu nulle part pourquoi le choix s’est porté sur cette écrivaine et pas sur une autre personne produisant de la littérature ?… N’y a-t-il pas plus indiqué, au regard de la qualité de la production ?… Par exemple, Mohamed Dib ?
Alors, quel critère a décidé pour Assia Djebbar ?… Il semble que la réponse est sans équivoque : parce qu’elle fut admise à l’Académie… française. N’est-ce pas ?
En Algérie, plus de cinquante ans après l’indépendance, une institution officielle de l’ex-métropole coloniale demeure encore la référence pour des « responsables » politico-culturels algériens. Et les journaux algériens ont, à ma connaissance, tous fait l’éloge de l’admission de Assia Djebbar à cette Académie, y voyant une consécration prestigieuse, un « honneur pour l’Algérie ».
Mais combien d’Algériens savent ce qu’est cette Académie pour des Français d’une valeur indiscutable ?
Fournissons donc des informations.
Voici l’opinion de Guy de Maupassant :
« La Société des gens de lettres est une association de gens qui écrivent bien ou mal, souvent mal et quelquefois bien, et qui se sont associés pour tirer tout le profit possible de leurs œuvres et empêcher le pillage littéraire, si facile et si constant. C’est donc uniquement une réunion d’intérêts pécuniaires, une réunion de marchands de prose ou de vers, une réunion de commerçants qui mettent en commun, pour l’exploiter, un fonds ayant une valeur mercantile. Ils forment donc absolument le contraire d’une académie.
S’il en fallait une preuve, il suffirait de lire les noms des sociétaires. Pour dix qui sont connus un peu ou beaucoup, on en trouve cinquante ignorés du monde entier. Pour dix qui écrivent en une langue élégante ou seulement correcte, on en trouve cinquante qui se servent du charabia négro-français le plus étonnant. Là sont réunis tous ceux qui fabriquent en gros le roman-feuilleton, honorables débitants de lignes, habiles en leur métier spécial, mais qui n’ont pas connu ce qu’un poète nommerait les idéales caresses de la langue française, cette divine maîtresse des artistes. Trublots de la littérature, ils n’ont jamais fréquenté que la bonne de la maison. Cela n’empêche que leurs intérêts soient aussi respectables que ceux de MM. Daudet, Claretie, Coppée et de tous les vrais écrivains qui font partie de cette association, mais cela devrait empêcher ces barbouilleurs de papier de s’ériger en juges aussi intolérants qu’incompétents. »(1)
Rappelons que l’Académie française a, par exemple, ignoré Molière et Balzac.
Pour le premier, il est facile de deviner les motifs : une vie privée « dissolue » et certaines productions par trop « dérangeantes », telles « Les Précieuses ridicules », « Les femmes savantes », « Tartuffe » et « Don Juan ». Ridiculiser des représentants de l’ »élite » intellectuelle, des membres significatifs de l’institution cléricale, et faire l’éloge d’un libre penseur, tout en l’étant soi-même, comme auteur et dans la vie privée, est-ce acceptable pour être admis à l’ »honorable » Académie ?
Et voici les griefs qui écartèrent l’auteur de « La Comédie humaine », selon Octave Mirbeau.
« L’Académie n’a pas voulu de Balzac.
(…) Comment, en quelque sorte, légitimer une telle œuvre, si subversive, si dissolvante, si immorale ? Comment couvrir de ce respectable habit vert un homme qui, monarchiste, catholique, mais emporté par la puissance de la vérité au-delà de ses propres convictions, bouleversait si audacieusement l’organisation politique, économique, administrative de notre pays, étalait toutes les plaies sociales, mettait à nu tous les mensonges, toutes les violences, toutes les corruptions des classes dirigeantes, et, plus que n’importe quel révolutionnaire, déchaînait dans les âmes « les horreurs de la révolution » ? Est-ce que cela se pouvait ?
Et puis encore, Balzac avait mauvaise réputation. Il n’administrait pas son nom et son œuvre en bon père de famille. Ce n’était même pas un bohème – et l’on sait qu’un bohème est inacadémisable –, c’était quelque chose de bien pis.
L’Académie admet qu’on soit ivrogne, débauché, voleur, parricide, athée, et même qu’on ait du génie, pourvu que l’on soit très duc, très cardinal, ou très riche, pourvu aussi que cela ne se sache pas, ou qu’elle soit seule à le savoir. Indulgente au mal qu’on ignore, elle est impitoyable au malheur qui se sait. Elle ne pouvait ignorer que Balzac fût affreusement gêné dans ses affaires. Il avait eu des entreprises désastreuses, avait failli sombrer dans une faillite retentissante. Il avait des dettes, des dettes vilaines qu’il se tuait à payer et dont, en fin de compte, il est mort. Comme un sanglier, au milieu des chiens, il fonçait sur toute une meute de créanciers, avides et bruyants. Cela manquait par trop d’élégance.
Aucun respect de la propriété, d’ailleurs. Généreux et fastueux, comme tous ceux qui n’ont rien, l’argent ne lui tenait point aux doigts, l’argent des autres. Il achetait des bijoux, des vieux meubles historiques, des terrains, des maisons de ville, des maisons de campagne, s’offrait, au mois de janvier, des paniers de fraises, des corbeilles de pêches, qu’il dévorait, dit un chroniqueur du temps, avec une « gourmandise pantagruélique ». Il paraît que « le jus lui en coulait partout ». Est-ce que M. Viennet, poète obscur, vénérable et facétieux, se livrait à de telles débauches, lui ?… Il mangeait à son dessert des figues sèches, comme tout le monde.
– Qu’il paie d’abord… qu’il vive petitement… nous verrons ensuite, disait M. Viennet.
Balzac n’a pas payé… Il n’a payé qu’en chefs-d’œuvre : monnaie qui n’a pas cours à l’Académie. » (2)
Alors, question : intituler un prix national et officiel algérien à une auteure d’origine autochtone, parce qu’elle fut admise à l’Académie française, au détriment d’autres auteurs, tel Mohamed Dib, quoi en conclure, quant à la mentalité, en général, et, en particulier, à la capacité de jugement littéraire, d’une part, des responsables de l’intitulé de ce prix, et, d’autre part, des journalistes qui en parlent sans aucune réserve ?
Pour le moment, ne parlons pas d’un autre problème : dans les langues acceptées (français, arabe moyen-oriental et tamazight) par ce prix dit national, l’occultation de la langue maternelle d’une partie du peuple algérien, la « darija ». Cet aspect sera évoqué dans une autre contribution.
K. N.
Notes
(1) Les académies, texte publié dans Gil Blas, 22.12.1884.
(2) La Mort de Balzac, 1907, partie 1, in http://fr.wikisource.org/wiki/La_Mort_de_Balzac/1._Avec_Balzac, vu le 15.2.2015.