22 novembre 2024
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À quand la fin de l’omerta ?

Dossier des faux moudjahidine

À quand la fin de l’omerta ?

 La célébration du 63e anniversaire du déclenchement de guerre de Libération nationale a suscité maints écrits et réflexions, tendant, pour la majorité d’entre eux, à poser des questions, à faire partager des interrogations, qu’à consacrer des certitudes. Une telle situation n’est pas tout à fait incompréhensible. Au contraire, elle ne fait que prolonger une sempiternelle quête inaugurée au lendemain des Accords d’Évian et actée définitivement à partir de l’été 62, lorsque la « guerre des wilayas » eut pour épilogue la victoire de l’État-major général (EMG) sur le gouvernement provisoire, autrement dit, le triomphe de la force sur la légitimité.

Il est sans doute inutile de s’appesantir sur les conséquences immédiates d’un tel coup de force.

En tous cas, ses soubresauts continuent à agir dans le présent et à régir le rapport de forces entre clans en présence. Néanmoins, il semble qu’au-delà de la dictature qui allait s’installer des années durant, ponctuée par un coup d’Etat (1965) et une cooptation d’un président au pied levé (1979), un phénomène d’une extrême gravité avait pris racine dans la société et les rouages de l’administration: c’est la multiplication à l’infini du nombre de pensionnaires moudjahidine, détenteurs de la fameuse « attestation communale ». Parce que le pouvoir politique se nourrissait de la rente et se constituait des clientèles par le même moyen, les portes étaient ouvertes pour tous les dépassements, et celui de l’accroissement continu du nombre des anciens combattants était des plus mortels pour la mémoire de la guerre de Libération, pour la morale publique et pour l’éthique politique.

Il semble que la fatalité biologique, une loi de la nature qui contraint le nombre de moudjahidine à diminuer au fur et à mesure de leur disparition, n’ait pas droit de cité en Algérie et qu’elle puisse être impunément défiée.

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En 2015, Louisette Ighilahriz, une ancienne combattante bien connue a pu dire, au cours d’un colloque sur Abane Ramdane: « Si les moudjahidines étaient aussi nombreux comme ils le sont aujourd’hui, l’Algérie aurait été libérée de l’occupation française en trois années de lutte ».

Il est vrai que le renouvellement générationnel a pu être constaté dans le ministère des Moudjahidine, qui a été, auparavant, toujours dirigé par des anciens combattants. Le dernier d’entre eux, a été Cherif Abbas, aujourd’hui installé en France. Depuis 2014, c’est un fils d’un martyr de la guerre de Libération, Tayeb Zitouni, qui gère ce département. C’est là une petite avancée qui n’a pas résolu toutes les interrogations relatives à la détention de la qualité de moudjahid. Le premier novembre dernier, ce ministre, harcelé par des journalistes au sujet du nombre d’anciens combattants de la guerre de Libération qui sont encore en vie, n’a pas pu leur répondre et satisfaire la curiosité de l’opinion.

La fatalité biologique défiée

Même si la polémique inhérente au nombre de moudjahidine a plus de deux décennies d’âge, elle avait pris des couleurs particulières en 2012, à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance du pays. Ce genre d’anniversaire, qu’à l’échelle de la vie humaine on ne peut que rarement vivre deux fois dans sa vie, avait pourtant, pendant des années, nourri l’imaginaire collectif par sa symbolique, mais aussi par le processus de maturation de la reconstruction du pays qu’un tel intervalle de temps pouvait permettre. En dehors de quelques festivités culturelles fort modestes et de quelques colloques universitaires, la moisson a été maigre en matière de célébration. Là où l’on s’attendait à la publication de livres sur des faits inédits de la révolution de novembre 54, à des témoignages et des révélations, sur supports filmés ou écrits, à la remise en cause de certaines « vérités », données un certain moment comme irréfutables, l’on n’eut à assister qu’à du folklore et à des cérémonies obséquieuses. Le caricaturiste Dilem a même pu exécuter une succulente caricature qui fait dire à un visiteur du Salon du livre d’Alger, s’adressant au service de l’accueil: « Je cherche un livre sur les grandes réalisations du pays ». Un agent lui répond et lui indique par un geste de la main: « les œuvres de fiction, c’est au fond »!

Malgré quelques modestes tentatives faites par la presse d’aborder certains sujets sensibles ou objets de polémique, liés à notre révolution, l’Algérie officielle demeure fermée lorsqu’il s’agit d’aborder certaines questions au niveau des ses institutions ou de son école. Différends entres les chefs révolutionnaires, règlements de compte, certaines purges à l’intérieurs du FLN et de l’ALN, polémiques au sujet du congrès de la Soummam, du congrès de Tripoli,…etc. Mais, le sujet le plus brûlant, dossier explosif qui avait atterri avec un impitoyable aplomb dans les rédactions de journaux quelques années avant la célébration du demi-siècle de l’indépendance du pays, a été, inexorablement, celui des  »faux moudjahidine ». Curieusement, ce sujet est quasiment évacué des dossiers abordés sur les plateaux de télévision et dans d’autres tribunes de discussion.

Indubitablement, l’opinion nationale en général, et les rangs des vrais moudjahidine et des familles de chouhadas en particulier, sont frappés, froissés et traumatisés par tout ce qui se colporte à propos des fausses attestations d’anciens combattants dont auraient bénéficié des usurpateurs aux fins mercantiles qui leur assureraient prébendes et privilèges. En dehors même des avantages matériels dont se prévalent ces faussaires, les moudjahidine, les familles des martyrs de la guerre de Libération nationale et les simples citoyens épris des valeurs de la révolution, sont horrifiés et révulsés par cette manière d’usurper un titre cher au cœur des Algériens et d’en user pour gravir des échelons dans la fonction publique ou mener une carrière politique. 

Rente viagère ou symbolique, l’offense faite aux idéaux et principes de la révolution de novembre ne peut être réparée que par un traitement de fond d’un dossier, dont les premiers éléments remontent à la fin de la guerre lorsque, pour faire valider le statut de moudjahid, il fallait produire une attestation communale pour laquelle il était exigé le témoignage de moudjahidine connus. Donc, si forfaiture il y a, elle ne revient pas exclusivement à l’administration communale de l’époque, mais également à des vrais moudjahidine qui auraient cautionné que leurs rangs soient infestés de faux. Triste spectacle qui, plus est, a été prolongé pendant plusieurs décennies l’indépendance du pays. Les martyrs de la révolution auront du mal à reposer en paix au vu des falsifications qui ont entaché leur noble combat contre une des plus grandes puissances de l’OTAN.

À l’image de tous les Algériens dessaisis de leur souveraineté dès les premières années de la reconstruction nationale, les moudjahidine, survivants d’une guerre atroce, ont été malheureusement entraînés dans les errements de la gestion scabreuse du pays. Au nom de la « légitimité révolutionnaire », de l’historicité et de constantes nationales idéologiquement très marquées (on y avait intégré même l’option irréversible du socialisme), beaucoup de mal a été fait à l’image de la révolution de novembre et aux idéaux censés justement être défendus et promus par les survivants de ce grand mouvement de l’histoire du pays. Le clientélisme, la corruption et le copinage, promus par le pouvoir politique comme mode de gouvernement n’a malheureusement pas épargné cette catégorie fort respectable de la société, à telle enseigne que l’image du moudjahid a été altérée et pervertie aux yeux des autres franges de la population, et surtout d’une jeunesse censés y puiser les valeurs morales et citoyennes qui fondent la lutte pour la république de demain

La peur et l’omerta entourant des dossiers aussi sensibles, en relation avec notre histoire récente, aura duré ce que durent les tyrannies et l’arbitraire installés par le parti unique et la pensée unique. Même si le sujet a été traité abondamment entre 2006 et 2008, suite à l’intervention de plusieurs acteurs de l’histoire nationale dans la presse écrite, le premier signal fort a été donné au début de l’ère pluraliste, les années 1990, par un ancien fonctionnaire du ministère de la Justice, Benyoucef Mellouk. C’était dans l’hebdomadaire indépendant, Le Nouvel Hebdo, dirigé par feu Abderrahmane Mahmoudi. Dans les limites permises par sa fonction de chef de service contentieux au ministère, Mellouk s’est intéressé au cas spécifique de magistrats ayant indûment bénéficié de la qualité de moudjahid. L’affaire, portée devant l’opinion publique, prit le nom de  »magistrats faussaires ». Ce fut un pavé jeté dans la mare. Son auteur a eu à pâtir pendant vingt ans des conséquences de son initiative et, ce, aussi bien dans sa carrière professionnelle que sur le plan judiciaire. C’est là véritablement un  »nœud de vipères » qui étrangle et pervertit les meilleurs symboles de l’Algérie. Il soutint ses déclarations à la presse par l’affirmation qu’il possédait une liste bien établie de magistrats faux moudjahidine, dont certains seraient très influents au point de lui valoir tous les désagréments judiciaires qu’il a eu à vivre pendant plusieurs années. 

Lutter contre les faussaires et leurs soutiens

L’attitude envers de telles révélations est quelque peu incompréhensible lorsqu’on considère la position ou les déclarations de certains officiels en relation avec le dossier. Par exemple, au milieu des années 2000, le ministre des moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas, avait reconnu que dans les rangs des anciens moudjahidine, il y aurait environ 10 000 faussaires.

L’opinion a pu constater qu’au lieu le nombre de moudjahidine diminue selon la fatale loi de la nature, paradoxalement, il a considérablement augmenté depuis le recensement de 1963

De son côté, le colonel Ahmed Bencherif, acteur de la révolution, ancien commandant de la gendarmerie nationale et ancien ministre, a déclaré en 2007 que, « après la mort de Boumediene, le nombre de moudjahidine était de 75 000 ». Or, l’Organisation nationale des moudjahidine compte actuellement environ 100 000 anciens moudjahidine dans ses rangs.

À elle seule, la wilaya de Djelfa compterait, selon Bencherif, quelque 1000 faux moudjahidine. L’ancien Commandant de la gendarmerie nationale, par l’intermédiaire de l’association de lutte contre les faux moudjahidine qu’il avait créée, avait pris sur lui de s’attaquer à cette gangrène. Il avait même proposé la suppression pure et simple de l’Organisation nationale des moudjahidine.

Plus d’un demi-siècle après l’indépendance, les anciens moudjahidine- catégorie de la société supposée constituer la précieuse mémoire du peuple algérien- sont toujours pris dans l’actualité tourmentée du pays.

L’on sait que les commissions de validation de la qualité de moudjahid ont été gelées pendant plusieurs années, suite au flou et aux différentes pressions dans lesquels elles accomplissaient leur travail. Elles ont été réactivées par la suite.

Dans les autres pays du monde qui ont vécu des situations de guerre, à l’image de l’Europe après la fin de la seconde Guerre mondiale, le dossier des anciens combattants (recensement, pensions, privilèges en nature,…) est, sur le plan matériel et financier, réglé dès les premières années après la fin du conflit.

La nation doit une reconnaissance et une considération sans faille aux libérateurs du pays. Mais c’est en contribuant, par leur geste et leur effort, au-delà de toute rente viagère, à l’émancipation réelle du pays des griffes de l’arbitraire, du clientélisme, de l’art morbide des faussaires, qu’ils auront été fidèles à l’esprit, à la mémoire de leurs compagnons de combat tombés au champ d’honneur.

A.N.M.

 

Auteur
Amar Nait Messaoud

 




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