25 avril 2024
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La cour d’assises de Paris et la gestion de l’horreur par la justice

Procès Abdelkader Merah

La cour d’assises de Paris et la gestion de l’horreur par la justice

Avec l’affaire Merah, nous sommes au cœur de la problématique du droit pénal, particulièrement celle de la cour d’assises de Paris. Juger l’abominable en respectant les fondements du droit d’une civilisation humaniste est certainement l’une des exigences les plus difficiles dans une démocratie. Surtout lorsqu’à la personnalité affirmée de l’accusé se rajoute celle, très particulière, de l’avocat de la défense.

Si le tribunal correctionnel est souvent imagé par l’expression « Commedia dell’arte » car c’est le résumé des conflits et haines de la société, théâtralisés par le jeu des envolées lyriques contradictoires, la cour d’assises est par contre le lieu d’une dramaturgie profonde.

Tout d’abord parce que les crimes sont le plus souvent d’une nature si odieuse qu’ils renvoient aux plus bas instincts de la société. Des larmes et douleurs insoutenables y sont étalées, parfois dans l’écoute insoutenable des détails du crime,  jusqu’à la nausée.

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Ce fut le cas pour le procès d’Abdelkader Merah auquel on reproche d’avoir « fabriqué » le monstre assassin que fut son frère, Mohamed Merah. Mais la dramaturgie habituelle s’est renforcée par la présence d’un second acteur de cette pièce de théâtre, l’avocat, Éric Dupond-Moretti, grand maître du barreau et célébrissime pour ses coups de colère, sa pugnacité et sa violence verbale.

La question qui se pose est bien évidemment de comprendre pourquoi cela se peut et constitue le fondement d’un procès en assises. La douleur des familles, non satisfaites du verdict qu’elles trouvent clément, ne peut justifier que l’on critique les agissements de l’avocat, même si leur sentiment est qu’il les provoque.

Essayons de comprendre ce qu’est un procès en cour d’assises afin de mieux cerner le déroulement de cette affaire judiciaire qui peut choquer si on en a pas toutes les clés.

La cour d’assises, un rappel rapide

En droit, l’infraction pénale est une action qui contrevient aux lois qui ont défini certains actes comme attentatoires aux règles de la société. L’ordre de gravité détermine la compétence du tribunal pénal. Le délit (vol, violence, diffamation…) mène au tribunal correctionnel alors que ce qui est qualifié de crime mène vers la cour d’assises (meurtre, enlèvement…). La cour d’assises est donc une juridiction compétente pour les affaires criminelles.

Ce petit rappel rapide du droit justifie que le procès se déroule devant une cour d’assises, lieu où le prononcé des condamnations est plus sévère en peines d’emprisonnement et en indemnités éventuelles. La justice est toujours rendue « au nom du peuple » mais la cour d’assises va plus loin en demandant à ses représentants de prononcer eux-mêmes la culpabilité ou l’innocence, ce qu’elle organise par la convocation d’un jury populaire.

Attention, le tribunal concerné par l’affaire Merah est une cour d’assises spéciale composées de magistrats uniquement. Mais nous ferons une entorse à la réalité des faits car ce qui nous intéresse dans ce développement est de décrire la particularité habituelle d’une cour d’assises. Le comportement des deux principaux acteurs auraient été le même dans une cour d’assises habituelle.  

Le décor est ainsi planté par une solennité impressionnante que l’architecture des locaux, dans de nombreux cas encore, nous rappelle avec sévérité. L’affaire Merah s’est déroulée au Palais de justice de Paris, un lieu qui porte la marque de la justice royale lorsque le souverain avait pouvoir de justice.

L’accusé, un monstre froid

Abdelkader Merah est le frère de l’assassin, Mohamed Merah, qui a abattu de sang froid des innocents et n’a pas hésité un seul instant à ôter la vie à de pauvres petits enfants, aux portes d’une école juive.

Il est accusé d’avoir été « la main qui a façonné le criminel ». La justice lui reproche d’avoir nourri la haine d’un petit frère, totalement dénué d’un sens de réflexion capable de lui assurer une indépendance d’esprit. Il lui aurait également suggéré les actes et les cibles ainsi qu’apporté soutien et logistique.

Tout au long du procès, l’accusé fut arrogant, avec un silence dédaigneux et à aucun moment il n’a pris en compte la souffrance des parties civiles dont il ne soutenait même pas le regard. Un monstre froid qui fait face à une foule médusée qu’il existât une pareille créature sur terre.

C’est lui qui l’a initié et armé d’une haine féroce envers tous ceux qui sont supposés être les « ennemis », au nom d’une religion que ces abrutis ne connaissent pas plus que la grammaire ou l’arithmétique. Abdelkader était surnommé le « Ben Laden » de son quartier et se promenait avec son habit aussi ridicule que ses prêches, en caïd, la seule reconnaissance sociale à laquelle pouvait accéder ce délinquant notoire.

L’avocat, une star du barreau, brillant et exaspérant

L’avocat Eric Dupond-Moretti est la star actuelle du barreau, il détient le record des acquittements pour des affaires jugées désespérées. Il est omniprésent dans les médias, est sollicité par tous les accusés supportant des charges lourdes et il provoque ainsi l’exaspération du public. Eric Dupond-Moretti ne semble vouloir défendre que ce qui lui lance un défi majeur, soit des affaires impossibles. Il connut la notoriété lors de la célèbre affaire d’Outreau où il réussit à prouver l’innocence d’un groupe de personnes accusées de crimes sexuels envers des enfants.  

C’est un personnage rude et qui ne lâche rien. Avec une barbe qui rajoute à sa sévérité apparente, tous les adjectifs communément attribués aux ours en colère lui conviendraient. Bougon, féroce, jamais le sourire et les mots en perpétuelle attaque dirigée vers l’interlocuteur, quel que soit le propos, quelle que soit la question.

Il fait le spectacle et l’avocat est un « bon client » pour les chaînes de télévision et radios qui se l’arrachent. Il n’est jamais conciliant, toujours clivant et très efficace lorsqu’il est dans la confrontation féroce. On l’accuse de jouer un rôle médiatique pour sa propre satisfaction personnelle. C’est probablement en partie vrai mais c’est oublier le rôle de l’avocat.

L’avocat dans une affaire criminelle n’est limité par aucune contrainte. Son rôle n’est pas de dire la vérité mais de défendre son client, par tous les moyens. Un avocat, même si cela peut paraître choquant aux lecteurs non formés aux fondements du droit pénal, doit user de tous les moyens pour acquitter son client.

Il peut heurter et remuer le couteau dans les plaies ouvertes de la partie civile, parents et proches. Il a tous les droits car son système de défense et sa plaidoirie ne peuvent être freinés par aucune contrainte si ce n’est le respect des magistrats et certaines règles de convenance (et encore!).

Eric Dupond-Moretti défend un monstre. Cela peut sembler immoral mais c’est ainsi que les bases du droit de la défense se conçoivent. Nous avons à faire à un terrifiant personnage mais imaginons un seul instant, dans d’autres situations, si l’accusé était victime d’un emballement judiciaire. Sans la hargne et la liberté totale de l’avocat, nous nous imaginerions facilement l’horreur d’une accusation sans fondement.

La règle est aussi valable pour des monstres qui se proclament d’un dogme meurtrier et en dehors des usages pacifiés de l’humanité. L’avocat doit toujours avoir la même position, la même stratégie, c’est sa raison d’être dans un procès pénal où le risque de condamnation peut être lourd.

Pourquoi la procédure criminelle permet-elle une telle outrance face au chagrin des familles endeuillées ?

Le but du procès criminel

Dans un procès d’assises, quelle que soit la barbarie de l’acte, le but est double. Le premier est de sanctionner un acte grave s’il est établi que l’accusé est coupable. Le second est de permettre aux familles endeuillées de comprendre, c’est une étape indispensable à leur chemin de deuil.

Mais on oublie toujours le rôle de la cour d’assises dans sa procédure de jugement. On ne juge pas un acte, il est déjà considéré comme horrible, mais on juge la globalité d’un être humain, dans son histoire personnelle. Et c’est justement cela qui fait toute la différence pour l’avocat. Son rôle est d’aller rechercher jusqu’au fin fond de l’âme de l’accusé, une part d’humanité. Même chez les monstres les plus sanguinaires, il faut creuser profondément pour découvrir la nature humaine qui a préexisté avant l’acte bestial.

L’honneur d’une justice dans un pays humaniste et démocratique est de ne jamais considérer un être humain comme une bête lors du procès pénal. Et quel que soit mon comportement dans cet écrit qui, justement, n’a cessé de traiter cet individu de monstre, il faut s’incliner devant l’effort de l’avocat de nous présenter la part d’humanité, aussi petite soit-elle.

La justice n’est pas une vengeance, elle est justement l’inverse d’une pulsion que des siècles ont essayer de taire. C’est parce que l’humanité ne voulait plus de la dictature des pulsions humaines que la justice a été créées.

Nous ne sommes pas les avocats et nous pouvons traiter Merah de monstre. Mais nous devons respecter la noble mission de l’avocat, des magistrats et du jury, celle d’essayer de juger le reste d’humanité chez un homme qui semble hors de cette humanité.

Que va-t-il se passer maintenant ?

A la grande désespérance des parties civiles, la sanction n’est pas allée aussi loin que le réquisitoire de l’avocat général demandait, soit une peine à perpétuité.

Ce dernier s’est immédiatement pourvu en appel et un second jugement va se dérouler de nouveau où il faudra supporter, encore une fois, l’arrogance de ce perdu de la république et les provocations de l’avocat. Il fera son métier, nous n’avons rien à lui reprocher, ni du point de vue moral ni du point de vue légal.

Vox populi, vox dei ?

Je ne peux pas terminer cet article sans un point pédagogique à l’adresse du lecteur non juriste. Il existe un point constitutionnel fondamental, repris de la déclaration des droits de l’Homme, qui dispose que toute personne condamnée a droit à un second jugement en appel. Cela est facilement compréhensible car la justice étant humaine, elle est parfois faillible.

Mais pendant très longtemps en France, jusqu’en 2001, la législation opposait deux limites à ce principe. La première se comprend, certaines petites affaires (pour le civil, celles inférieures à 4 000 euros et pour le pénal, certaines infractions légères) ne peuvent faire l’objet d’un appel. La justice coûte très cher et on ne peut multiplier des appels pour de si petits litiges ou infractions.

Il y a par contre une autre exception qui était une dérogation scandaleuse au principe fondamental de l’appel. On estimait que les décisions de la cour d’Assises ne pouvaient pas faire l’objet d’un appel car un jury populaire s’étant prononcé, « vox populi vox dei » (la voix du peuple est la voix de Dieu). On estimait donc que la souveraineté du peuple ne pouvait être remise en cause par un appel de la décision.

Autrement dit, si vous voliez une mobylette, l’appel était autorisé en cas de condamnation mais si vous étiez condamné à mort (avant 1982) ou à perpétuité, le droit à l’appel ne vous était pas ouvert. C’était, tout de même, une grave anomalie du droit qui a perduré pendant trop longtemps.

Ce revirement législatif, qui remet les fondements de la justice à l’endroit, permet à l’avocat général de contester la peine prononcée contre Abdelkader Merah. Il faudra accepter l’idée contraire que le recours de Merah aurait été aussi juridiquement légitime s’il avait décidé de faire appel contre une décision moins favorable à son égard.

En conclusion, l’être humain peut discuter, en son for intérieur, débatte dans les lieux publics ou rédiger des articles pour s’indigner d’une clémence scandaleuse envers Merah. Le démocrate, juriste et humaniste, ne se l’interdit pas mais doit respecter le rôle troublant de l’avocat.

Et si certains pensent que l’auteur de ce présent article fait preuve d’indulgence envers le condamné, c’est qu’ils n’ont manifestement pas compris le propos.

Difficile à le faire comprendre à ceux dont la seule vérité est révélée, une fois pour toute et qui trancheraient les têtes sans état d’âme.

S. D. B.

Auteur
Sid Lakhdar Boumédiene, enseignant

 




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