19 avril 2024
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À Rachid Taha, le petit frère que je n’ai jamais eu !

Les étoiles ne meurent jamais !

À Rachid Taha, le petit frère que je n’ai jamais eu !

Voir ainsi nos idoles disparaître d’une année sur l’autre, en file indienne imperturbable, est un signal d’avertissement, une piqûre de rappel pour interpeller ceux qui n’y pensent pas, ou ceux qui auraient tendance à l’oublier, que, Gloire ou pas, fortune ou pas, réussite ou pas, pouvoir ou pas, personne n’est immortel !

Mourir et clore l’ensemble des chapitres de sa vie comme si vous n’aviez jamais existé est notre destin à tous, comme cette feuille qui se flétrit à l’automne et se fane pour que les vents l’emportent en quelques virevoltes d’adieu avant d’en faire retourner chaque nervure, chaque molécule, chaque atome à la source originelle, la mère commune à toute vie végétale et animale sur Terre, l’humus et l’inerte poussière !

Ce passage instantané de vie à trépas, ce retour inéluctable à la source porte le sceau d’une loi implacable envers tous et applicable à tous, sans distinction de race, de religion ou de statut social. N’est-il pas rassurant quelque part de savoir que sur Terre, dame nature ne fait aucune différence entre Jaques, Omar, Wang, Anouchka ou Mamadou, même si les Cieux et les hommes s’en mêlent parfois pour nous faire croire le contraire ?

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Néanmoins, qu’un tel retour se fasse suivant des règles prédictibles, où le plus vieux s’en va avant le plus jeune, s’admet et se supporte relativement vite, avec une période d’amortissement et de deuil propre à tout un chacun. Mais quand un plus jeune que vous, comme Rachid Taha, s’en va, la tristesse prend des allures de reproches et de colère envers cette même dame nature, tant elle donne l’impression de ne pas respecter ses propres lois !

Que dire de Rachid Taha ? Certainement ce qui en a été déjà dit, mais aussi des choses sur lesquelles les hommages n’ont pas insisté pour mettre en relief le génie de celui qui a su mieux que quiconque dresser des ponts d’amitié entre les Français de souche et les Français louches, ente une France Métropolitaine radieuse et une Algérie désertique et scabreuse (aux sens poétiques des mots). Des ponts de rythmes entre l’Occident et l’Orient, à travers une musique concoctée en mélanges subtils et de notes transgenres. À cet égard, classer le style de Rachid dans une catégorie exclusive ou une autre, comme le Raï, le Rock, l’Oriental, le Chaâbi et tutti quanti, c’est méconnaitre et réduire son œuvre à une composante unique, alors qu’il a merveilleusement su toutes les fusionner !

Tout d’abord, revenons sur la reprise de « douce France » du grand Charles Trenet.  Rachid et son groupe Carte de Séjour l’avaient interprétée en plein Paris, dans les années 1980, à l’occasion de je ne sais plus quel concert, en attestant haut et fort, au terme de l’interprétation :– ça fait grincer des dents (à l’adresse du FN), mais c’est Notre patrimoine aussi ! Il fallait oser ! Rachid l’a fait ! Évidemment, certains esprits « lucides » y avaient vu un quolibet, une dissonance à l’encontre de la « marche pour l’égalité et contre le racisme », laquelle avait eu lieu peu de temps auparavant, mais le message de Rachid était bien plus futé, bien plus sain et bien plus logique que toutes les étiquettes malsaines qu’on lui a collées. Le message était, on ne peut plus clair : « Nous voilà douce France, nous vivons sur tes terres, nous te glorifions, nous sommes bien intégrés, mais faut-il pour autant exiger de nous une totale désintégration, un renoncement à nos origines, à nos gènes nord-africains ? ».

Il faut aussi rappeler qu’à propos de « douce France », qu’en ces temps des années 1980 de Mitterrand, il s’était trouvé, dans l’enceinte de l’assemblée nationale même, un député lucide ; si ma mémoire l’est tout autant, il me semble que c’était Jack Lang, lequel avait fait écouter ce titre en pleine séance et débats, en le précédant d’un appel à attention : « écoutez donc ce que la jeunesse immigrée fredonne !». Mais bien sûr qu’en ces temps-là, la jeunesse maghrébine n’aspirait qu’à s’intégrer dans une France qui ne la méprise pas. Le Maghrébin avait envie de s’intégrer, mais comment s’intégrer en acceptant de passer par la case désintégration ?  Malheureusement les politiques ne l’ont jamais compris ! Résultat, en l’an de grâce 2018, dans les cités, les mosquées écrasent les salles de spectacles comme on écrase les fourmis.

Quelques années après « douce France » s’en était suivi l’inoubliable reprise de « Ya Rayah ». Une reprise qui a boosté sa carrière solo et valu une reconnaissance posthume internationale à Dahmane-el-Harrachi ! Quel bel hommage à ce monument du patrimoine, disparu à tout juste 54 ans, au volant de sa voiture, Dieu Bacchus en unique compagnon.

Le talent de Rachid Taha ne se limite pas à ces gros succès et à sa participation au spectacle « 1,2,3 soleils » de Bercy ! Ce que monsieur tout le monde retient ! Il a fait des reprises singulièrement brillantes, en sonorités mélangées, qui surpassent souvent les originales, en termes de rythmes et de cadences :

– Hebena Hebena, de Farid el-Atrach, ce titre d’une musicalité supérieure qui vous fait réaliser que dans le domaine de la musique, la modernité, au sens d’avancées dans le temps, l’Orient avait une belle longueur d’avance sur celle de l’Occident, quand bien même on y inclurait les instruments électriques comme la guitare de Jimi Hendrix !

-Rock the Casbah, reprise d’un titre du groupe Clash, que Mick Jones, le leader « himself », a préféré à sa propre version originale, au point d’avoir accompagné Rachid dans de nombreuses manifestations et concerts pour adhérer à une meilleure interprétation de son propre succès !

Ces 2 titres à eux seuls résument le talent de Rachid Taha. Le premier condense l’album Diwan, version Orient Occidentalisé et le second, l’album Medina, version Occident orientalisé (un album que je fais tourner en boucle tout en rédigeant cet hommage).

Car, contrairement à l’ambivalence (un terme aux empreintes de différence inconciliables) qu’utilise notre sociologue Saïd Leray, il est permis de décoder plutôt une fusion de continents musicaux, des ponts bien dressés entre l’Orient et l’Occident. Des ponts qui excitent vos tympans avec des sonorités qui vous font voyager et parcourir le monde pour découvrir, à travers vos seules oreilles, tout ce que nous avons de beautés à partager ! À cet égard, la musique de Rachid Taha ne porte pas, selon mes tympans, la moindre empreinte d’ambivalence, mais plutôt des sceaux de rassemblement et ceux de ponts à parcourir dans un sens ou dans l’autre, en appréciant chaque pas, en notes de musique osmotiques à faire vibrer tout ce que l’Orient et l’Occident ont de commun comme joies pour célébrer la Vie, quoique subreptice, avec un grand V !

Rachid est parti, mais son étoile continuera de briller aux firmaments d’une gaieté partagée ! À l’image de ces soirées d’allégresse pendant lesquelles, quand tout le monde est fatigué, les pistes de danse se vident, et que les sonorités magiques et universelles de Ya Rayah les remplissent à nouveau d’une incommensurable gaieté !

Tu es parti, toi le petit frère que je n’ai jamais eu, mais ce n’est qu’un aurevoir car les étoiles comme toi ne meurent jamais !  

K. M..

PS1 En rédigeant ce texte, je n’ai cessé de penser à Amar, un neveu disparu, il y a 6 ans déjà, emporté à la fleur de l’âge adulte, à 43 ans. Ce modeste hommage à Rachid Taha lui est dédié aussi !

PS2 Une pensée pour Djamel Allam, lequel vient de nous quitter aussi ! Bien que sa maladie nous ait averti qu’il partirait, c’est encore et toujours, une p…de vie qui sévit ! Gare à ceux qui ne l’auraient pas encore compris !

Auteur
Kacem Madani

 




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