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Abdallah Benanteur, compositeur d’une œuvre aux florissantes diaprures

Arts plastiques

Abdallah Benanteur, compositeur d’une œuvre aux florissantes diaprures

Comme Abdelouahab Mokrani mort le 03 décembre 2014, la disparition d’Abdallah Benanteur passera inaperçue du côté de la plupart des quotidiens algériens. Souvent privés de chroniqueurs culturels, ils la relègueront à la rubrique nécrologique, donc aux oubliettes d’une histoire de la peinture déjà passablement délaissée dans un pays possédant pourtant deux graveurs d’exception. Si le premier attaquait le support (cuivre, bois, linoleum) à partir de secousses telluriques, le second l’incisait de touches allégoriques.

Avec lui, chaque trouée du burin, griffe de la pointe sèche ou morsure de l’acide ramifiait l’arborescence d’une graphie régulièrement exposée chez Claude Lemand. Le galeriste soutiendra aussi plusieurs séries de tableaux-horizons, ces polyptyques ombres-lumières conçus comme des paysages microcosmes et panoramiques, classant d’ailleurs encore quelques unes de ces réminiscences celto-arabiques ou berbéro-païennes aux lendemains du vernissage crépusculaire du 31 décembre 2017, jour de décès. L’intitulé-épitaphe Le Testament, peintures ultimes présageait du dernier souffle d’un homme refusant d’entrer debout dans la nouvelle année, d’honorer de sa présence une manifestation visible au cœur de Paris (16, rue Littré).

Les pulsations cosmopolites de la capitale française l’attiraient depuis 1953, période où il entamait une carrière à différencier de celle de son compagnon de route, Mohamed Khadda. Revenir sur leur itinéraire commun et unique, c’est convenir de la distinction à opérer entre l’abstraction de l’ « École de Paris » et celle dite du « Signe », extensivement planifier la tri-temporalité de l’art moderne en Algérie. Pour certains, ce dernier correspond aux transhumances et pérégrinations des pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif, à l’épicurisme oriental des « algérianistes » ou hédonisme héliotrope de l’ « École d’Alger ». D’autres situent son essence à la transmigration géographique (Alger-Paris/Paris-Alger) qu’amorceront dès 1947 Maria Manton et Louis Armand Nallard. L’inséparable duo permis aux coreligionnaires de la rive méridionale de se familiariser avec la non-figuration, notamment grâce à la monstration de la librairie « Rivages » (du 03 au 08 juillet 1951 au 48, rue Michelet).

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Passant souvent devant la galerie « Colline » d’Oran (espace recevant quelquefois Albert Camus et Emmanuel Roblès), Abdallah y verra en 1953, c’est-à- dire bien avant sa villégiature émancipatrice, les œuvres de Nallard. İl se nourrira ultérieurement des surfaces-matières, couches argileuses et pulsations lumineuses du devenu membre de la seconde « École de Paris » (terme générique rassemblant des artistes venus d’Amérique du Sud, des États Unis, du Japon, de Chine, d’Afrique et du Maghreb), une influence aux antipodes des chromos ponctués de mosquées, bédouins en djellabas, chameliers ou caravansérails. L’exotisme de bazar exerçait alors une telle prégnance visuelle que le prochain primé (en 1954) du Salon de la jeune peinture demeurait jusque-là persuadé qu’Étienne Dinet détenait «(…) les clés de nos racines», soulignera Djilali Kadid en page 87 de Benanteur, Empreintes d’un cheminement (éditions Myriam Solal. 1998).

Cependant, la toile Les lignes des ancêtres (1957) dévoilera trois ans plus tard un style échappant déjà aux odalisques du coloriste de Bou-Saâda puisque « (…) malgré son souci de maintenir des racines, son art échappe au folklore et à l’Orientalisme (…) » pouvait-on lire dans le texte « Abdallah Benanteur, peintre algérien » (İn Action, 135, Méditerranéens, 10 fév. 1958). L’article mentionnait aussi que, « (…) arrivant à l’abstraction pure, Abdallah Benanteur, n’a pas la prétention de présenter un « art nord-africain » ou plus particulièrement « algérien » (mais) de renouer avec une tradition islamique, avec des racines familiales et de les insérer dans une vision moderne, (…) ». L’approche esthétique imbriquait lyrisme informel et métaphysique du « Noûn », Lettre d’or du Coran imbibée de mythes passéistes, chargée d’une dimension respectueuse et engluée dans le magma de l’esprit ancestral. En démoulant l’hypostase de son cachet artisanal ou essence sacrale, Benanteur la sortait du cadre théologique ou scolastique, métamorphosait cette substance première en métaphores cosmogoniques.

L’écrivain et éditeur Jean Paulhan comparait dès lors ses peintures (montrées au Salon de mai ou celui des Réalités nouvelles, au « Club des étrangers » et « des 4 vents », aux galeries « Cimaise » et « Duncan ») aux créations de l’Américain Tobey. Épaulé depuis 1955 d’un marchand, Benanteur s’éloignera de « La grande chaumière », un atelier de Montparnasse que fréquentait également Mohamed Khadda. Politiquement engagé, celui-ci défendra la cause des opprimés ou « Damnés de la terre », mènera en France un parcours militant en faveur de la cause algérienne, sondera durant tout l’intervalle insurrectionnel le tumulte des revendications nationalistes et prolétariennes, situera de la sorte ses prérogatives entre ancrage et universalisme.

Moins révolté, Abdallah Benanteur s’ingéniera à dénouer ce qu’il considérait comme le « vrai problème », celui «(…) d’aider à la manifestation d’un art spécifiquement national parce que celui-ci serait non seulement relié aux racines les plus vivent et les plus vivaces de notre peuple et à ses traditions mais aussi aux constantes universelles ainsi qu’à l’esprit d’invention propres à tout art vivant. ». Désapprouvant la poussée anti-égotiste notifiée au sein de la Plate-forme de la Soummam d’août 1956 (ses rédacteurs stipulaient une « (…) rupture avec les positions idéalistes individualistes (…) », césure à saisir en tant que renoncement avec la figure de l’artiste de génie prophétique et hors du commun), le néo-élu de l’ « École de Paris » prorogeait des expériences fondées sur le pluralisme perceptif des valeurs plastiques, le désir d’altérité et une éthique de singularité l’incitant à conserver les privilèges d’un régime vocationnel précédemment institutionnalisé en Algérie, à avouer que « (…) dans l’art pictural, c’est l’individu qui est prépondérant, non la collectivité. » (page 86 du livre de Djilali Kadid déjà cité). Parfois à exemplaire unique, les ouvrages (plus de sept cents), à travers lesquels s’approfondissait la relation peinture-poésie, accentueront du reste la notion de rareté. Le manifeste Le Soleil sous les Armes marquera le début d’une production bibliophilique. Suivront ensuite les dessins pour Matinale de mon Peuple (d’abord appréciés à la librairie parisienne « Le fanal ») puis les illustrations de Dîwân du Môle, un travail à travers lequel Benanteur souhaitait « (…) que l’on voie (…) la ferveur de chaque Algérien à fonder la nouvelle Algérie » (in La dépêche, 15 déc. 1962).

Jean Sénac le convaincra de se rendre à la Bibliothèque nationale d’Alger pour le mettre « (…) à la disposition de tous les Algériens qui voudront le consulter ». Publié 08 mois plus tôt (le 21 avril 1962), ce recueil affichait dix eaux-fortes à la technique parfaitement maîtrisée.

S’essayant à l’estampe, l’autodidacte Khadda éprouvait quant à lui des difficultés à convaincre la critique locale. Aussi, décida-t-il de rejoindre définitivement l’Algérie pour assister le camp des « Héros purs », tester la « plongée fanonienne », une option anthropo-archétypale stimulant l’exploration des abysses immanentes du substratum mais le confinant au sein d’une temporalité autre. İndissociable de la culture de résistance, d’une affirmation de soi orchestrée sous couvert de logomachies protectionnistes et tiers-mondistes, elle coupera de la scène internationale des peintres autochtones persuadés de défendre une identité d’ex-colonisé supposée menacée de l’extérieur, de lutter contre les signifiants-maîtres d’une culture occidentale jugée impérialiste et trop capitaliste. İgnorer la résolution alternative d’Abdallah Benanteur, c’est réduire l’aperception historique de la peinture algérienne, faire l’impasse sur une triple modernité artistique successivement particularisée par les désignations « École d’Alger », « École de Paris » et « École du Signe ».

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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