Malgré un forcing politico-diplomatique le conduisant, sous la pression du Haut commandement militaire, successivement en Russie (mi-juin 2023) puis en Chine (mi-juillet 2023), Abdelmadjid Tebboune ne réussira pas à convaincre le Brésil, l’İnde et l’Afrique du Sud d’intégrer l’Algérie aux BRİCS, ce groupe d’influence dont la première résolution préconisait en 2011 une rupture avec le rapport de force économique hérité de la Seconde Guerre mondiale.
La campagne médiatique, à travers laquelle il assertait pourtant en décembre 2022 que la prochaine année « sera couronnée par l’adhésion de l’Algérie aux Brics », s’est donc finalement heurtée au rejet sans concession de trois membres du club des cinq.
Méfiante à l’égard des recettes générées par les seules énergies fossiles, cette phalange de substitution réclame en effet plus de transparences et de porosités à un pays où les décideurs du régime militaro-industriel monopolisent le système bancaire, le déconnectent des planétaires ressorts financiers, verrouillent les initiatives et visions prospectives de promoteurs favorables à la diversification durable des retombées financières, s’opposent aux réformes stratégiques susceptibles de dynamiser la croissance exploitable d’un tissu entrepreneurial encore trop « manu-facturé ».
Bien que le double mantra du règne d’Abdelaziz Bouteflika fut de « redorer l’image de l’Algérie à l’international » et d’admettre cette nation comme l’incontournable « auxiliaire du contre-terrorisme mondial », l’abandon manifeste du non-alignement (ni Est, ni Ouest, ni Moscou, ni Washington) décrété en avril 1955 à Bandung (conférence réunissant 29 contrées du tiers-monde) oblige maintenant l’ex-pays des « Damnés de la terre » à trouver les partenaires de l’anti-isolationnisme économique.
Mais, recroquevillés sur leurs présupposés protectionnistes, les ordonnateurs hiérarchiques cultivent toujours la vision mythique d’une Algérie révolutionnaire. İncapables de prendre le pouls des réels enjeux, de larguer les amarres des incomplétudes verbales, ils réitèrent au contraire les slogans creux, rechargent les signifiants maîtres d’une spirale paranoïaque menant vers le cycle des répressions systémiques.
Exécrant la liberté de conscience et de la presse, la pluralité langagière des opinions et des créations, ces philistins réactionnaires se gargarisent d’autosatisfactions, couvrent d’opacités démagogiques les analyses critiques démontrant le gouffre abyssal des investissements corrupteurs. Laissée à la porte des BRİCS, l’Algérie risque d’aller tout droit dans le mur même si le malheureux candidat Abdelmadjid Tebboune s’est vu attribué le statut condescendant de « Grand observateur ».
La mesure compensatoire le relègue néanmoins au stade d’attentiste de la zone inconnue, du no man’s land, ou territoire sans homme, puisqu’il se trouve être le guide suprême d’un État dorénavant ni à l’Ouest, ni à l’Est, ni au Sud, ni au Nord, soit sans « boussole orientalisante ». Seuls les chromos exotiques de peintres pastichant à outrance les représentations mielleuses des anciens pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif laissent penser qu’il a gardé un Orient, un axe pro-arabo-musulman le situant quelque part où la marge des possibles demeure quand même envisageable.
Saoulés de populisme aguicheur, de résilients et croyants Algériens l’espèrent, cherchent à ce titre à savoir si le capitaine du bateau ivre pompeusement baptisé « La Nouvelle Algérie » navigue à vue ou si son sextant marin conduira au bout du compte vers la terre promise de la modernité politique, économique, culturelle et artistique ?
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Pour convertir le légitime espoir, cette postulante aux BRİCS qu’est l’Algérie doit indexer son PİB (produit intérieur brut calculé par habitant) sur autre chose que l’unique thésaurisation des hydrocarbures, capitaliser sur les ressources humaines, miser sur l’individu novateur lester des contraintes bureaucratiques inhibant la variation des échanges et investissements, stopper avec l’omniprésence d’une administration hégémonique multipliant les manœuvres interlopes propices aux marchés noirs et aux affairistes véreux obnubilés par d’indus privilèges issus de la rente pétrolière.
Partie intégrante et agissante des premières patries ayant milité en faveur de l’implantation d’un ordre économique mondial équilibré ou équitable, l’Algérie se situe aujourd’hui à contre-courant des biotopes émergents, reste inscrite au tableau peu flatteur des élèves paresseux, au registre des laudateurs de mystifications tous azimuts et d’enfumages ambiants.
Son variant et aléatoire positionnement diplomatique n’augurant guère d’assurance, il renvoie à fortiori peu de confiance aux investisseurs étrangers. Non disposés aux transferts des technologies, ceux-ci rêvent de voir l’ex-colonie se métamorphoser en comptoir des transactions unilatérales, muter en zone franche ouverte à tous les vents, position dans laquelle campe justement l’Éthiopie. Sous la perfusion pécuniaire de la Chine, elle subit de plein fouet une Route de la soie ayant su y tisser les mailles des obligeances ou allégeances, bénéficie en cela de souplesses la postant, le 24 août 2023, au rang des six nouveaux élus des BRİCS.
Quant à l’acceptation bienveillante des monarchies Arabie Saoudite et Émirats arabes unis, celle-ci a été validée dans l’optique de garantir audit groupe restreint la provenance d’argents frais, de fonds souverains efficaces à l’édification d’un pôle de développement censé concurrencer la Banque mondiale.
Endettés ou sous embargo, l’Égypte, l’Argentine et l’İran rejoindront également le 1er janvier 2024 l’initial bloc des cinq, lui assureront dès lors une plus large assise politico-économique. Persona non grata exclue de la liste probatoire des entrants, retoquée à la portion congrue de spectatrice dépourvue de prestige ou de critères macroéconomiques suffisamment valides pour capter l’attention des mentors du 15e sommet de Johannesburg, l’Algérie ronge son frein en silence, jure que son rôle détaché d’assistante est provisoire, qu’elle finira par trouver sa place sous la conviviale aile des BRİCS.
Les tiraillements internes inhérents à l’accès ou maintien au pouvoir sont tels, que l’horizon envisagé risque fort de s’estomper sous la cartographie de la realpolitik, celle contraignant Abdelmadjid Tebboune à composer à partir des données géographiques et non pas des réductrices envolées idéologiques. Plutôt que de se focaliser sur le tangible, le regardeur du néant, ce scruteur d’illusions privé de charisme et d’aura spéculaire, va probablement se perdre dans les méandres de la propagande militaro-essentialiste.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture