La déposition de celui qui fut successivement directeur du journal El Moudjahid, du groupe de presse d’Ali Haddad, puis de l’ANEP avant d’accéder au poste de ministre de la Communication, tient du concentré d’aveux et de vérités sur la manière quasi interlope dont se distribuait la manne publicitaire de l’ANEP.
Le parcours de Djamel Kaaouane résume à lui seul un système : celui d’une publicité publique gérée dans l’opacité et la connivence, une mécanique ancienne, que les slogans de l’ère Tebboune, malgré les discours de rupture n’ont pas encore réformée. Rien de nouveau, donc, sous le soleil de « l’Algérie nouvelle ».
Devant le tribunal du pôle économique et financier de Sidi M’hamed, l’ancien ministre de la Communication, Djamel Kaouane, a livré, selon les minutes d’audience rapportées par le site Tariq News, une plaidoirie aussi déconcertante qu’éclairante sur les pratiques d’octroi de la publicité publique en Algérie. Poursuivi aux côtés de son prédécesseur Hamid Grine et de l’ex-directeur général de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), Amine Chekir, dans le dossier dit “ANEP 2”, Kaouane a nié toute malversation, tout en dressant un tableau cru du fonctionnement interne de l’institution qu’il dirigeait entre 2015 et 2017.
« L’octroi de la publicité, une transaction commerciale »
Face à la présidente de séance, l’ancien ministre s’est défendu avec une argumentation déroutante : « L’octroi de la publicité ne repose sur aucun texte de loi. L’ANEP est une entreprise commerciale qui conclut des contrats dans une logique de profit. »
Refusant l’idée même qu’il puisse s’agir d’un acte de gestion publique soumis au droit des marchés, Kaouane a soutenu que la publicité était attribuée sur la base de “relations contractuelles” avec les médias demandeurs, comparant cette pratique à une spéculation sportive :
» C’est comme lorsqu’un grand club achète un joueur raté en espérant un retour de performance. Nous avons parié sur des journaux faibles, parfois insignifiants ».
Cette analogie – « acheter un joueur raté pour un grand club » – a marqué les esprits. Elle traduit, au-delà du ton désinvolte, une conception profondément dépolitisée mais économiquement bancale de la gestion de la publicité d’État.
Une absence de cadre légal assumée
Djamel Kaouane a insisté sur le vide juridique qui, selon lui, justifie l’absence de critères précis : « Il n’existe pas de loi qui régit les modalités d’attribution de la publicité. Nous faisions ce que permettait la réglementation commerciale, dans le respect des contrats ».
Cette déclaration éclaire d’un jour cru la zone grise dans laquelle s’est longtemps déployé le système d’appui publicitaire en Algérie : ni véritable marché concurrentiel, ni dispositif de service public encadré.
“Nous donnions la publicité à des médias défaillants”
Interrogé sur les écarts observés dans les volumes d’espaces publicitaires accordés à des titres microscopiques, Djamel Kaouane a reconnu sans détour : » 99 % des journaux bénéficiaires avaient un tirage faible, mais nous leur accordions quand même des annonces ».
Ce cynisme assumé met en lumière la nature clientéliste et arbitraire d’un dispositif censé soutenir la pluralité de la presse, mais souvent utilisé pour asservir ou récompenser des rédactions jugées dociles.
Entre défense technique et révélations involontaires
Dans sa déposition, l’ancien responsable a tenté de déplacer le débat du terrain pénal à celui de la gestion : « L’ANEP gagnait 30 % sur ces opérations. Où est le crime ? «
Mais cette justification, en soulignant la logique purement commerciale revendiquée, met à nu l’absence de gouvernance et de traçabilité dans la distribution de la manne publicitaire publique, longtemps considérée comme le levier principal de contrôle politique des médias.
Une plaidoirie symptomatique d’un système
En fin de compte, ce qui frappe dans la défense de Djamel Kaaouane, c’est moins la tentative de disculpation que le portrait involontaire d’un système institutionnellement défaillant : absence de cadre normatif, confusion entre logique marchande et intérêt public, opacité des procédures, et surtout une banalisation inquiétante du détournement de finalité de l’ANEP.
La phrase devenue virale — « acheter un joueur raté pour un grand club » — sonne comme un aveu collectif, celui d’une époque où la publicité publique, au lieu de garantir la survie du pluralisme médiatique, a souvent servi d’instrument de fidélisation politique.
Rabah Aït Abache
Source des minutes d’audience : Tariq News, 14 octobre 2025.