29 mars 2024
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Affaire Mila, Dieu n’existe pas en droit, la morale non plus

OPINION

Affaire Mila, Dieu n’existe pas en droit, la morale non plus

Ce jeudi 3  juin s’ouvre le procès de 13 jeunes qui ont harcelé la malheureuse adolescente de 16 ans, jusqu’aux menaces de mort, pour ses propos envers l’Islam. Nous voilà encore une fois face au questionnement sur le droit au blasphème que beaucoup ignorent.

La jeune fille avait posté en 2020 sur son compte Instagram des propos et des vidéos d’une grande violence et d’une vulgarité étourdissante.

Il s’en est suivi ce qui devient habituel dans les réseaux sociaux, bien que cela ne leur soit pas exclusif, une réplique d’insultes et, surtout, de menaces de mort.

Nous avions connu des affaires aussi dramatiques dans le passé, celle notamment  concernant Salman Rushdie en 1989, un écrivain anglais qui avait été condamné à mort par une fatwa lancée contre lui. Mais nous n’aurions jamais imaginé à l’époque que cela serait aussi courant, trente ans après.

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Forcé de vivre une existence cachée et protégée, jour et nuit, par la police, nous pensions alors que cette aventure avait atteint le sommet de la bêtise humaine, dangereuse et barbare.

Mais depuis, les menaces contre des écrivains et des caricaturistes, accusés de blasphème n’ont pas cessé. La plus récente affaire fut celle de Charlie Hebdo.

Sans en arriver à cette extrémité, l’affaire concernant Mila avait pris une dimension médiatique et nationale qui dépassait les habituelles gamineries et menaces sur Internet.

On serait tenté de prétendre, au-delà de cette affaire ponctuelle, que face à la barbarie des Hommes, il est difficile de parler de droit sinon de guerre à mener, sans retenue et avec une force qui équilibre les terreurs pour finir par éliminer celle qui est illégitime et menaçante envers l’humanité.

Mais nous sommes en France, un état de droit, et nous devons revenir aux règles et à l’esprit des lois de la république. En ce domaine il faut comprendre l’évolution juridique de la notion de blasphème avant d’en débattre, ce que je ferai au final en exposant mon point de vue personnel.

Suite à la convocation de l’écrivain, Anouar Rahmani, par la police de Tipaza pour « atteinte à l’entité divine », j’avais rédigé en 2017 un article portant le titre « Dieu n’existe pas en droit ». Il s’agissait, bien entendu, du droit au blasphème qui ne peut avoir une base légale pour une entité que ne reconnaît pas la loi de la république mais seulement les consciences privées.

Il ne peut donc pas y avoir un délit constitué à l’égard de quelque chose qui n’existe ni objectivement dans sa réalité ni, par conséquent, par son droit à se pourvoir en justice. De plus, en droit pénal, il ne peut y avoir de plainte par procuration, seul le plaignant peut porter plainte ou le Procureur de la république qui peut s’autosaisir au nom d’une victime, le peuple. Mais dans ce second cas, nous retombons sur le caractère inexistant de la victime, car le peuple agit au nom d’une offense à l’égard de quelque chose qui n’a aucune réalité. 

La religion n’a pas en soi une personnalité juridique, c’est-à-dire une aptitude à avoir des droits et des obligations, ce qui est sa définition. Elle ne peut avoir d’existence juridique avec des droits qui lui sont rattachés par les lois.

Ainsi, en droit, ce qu’on appelle le blasphème, n’existe plus. Son existence n’est attestée désormais que par le dictionnaire qui le définit car c’est un objet objectif de la réalité des pensées humaines. Le Larousse le définit comme « Une parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ». Le Larousse ajoute une note : Le blasphème est à distinguer du sacrilège. Le premier consiste en paroles, le second en actes.  

Que dit le droit ?

L’origine et la base du droit, comme c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit des libertés, est la déclaration des droits de l’homme et des citoyens rédigée par les révolutionnaires français en 1789  Elle déclare le droit d’expression par les termes devenus célèbres :  « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. ». 

Cette base juridique fut proclamée dans la charte internationale de l’Onu et, en France, incluse en préambule de la constitution de la quatrième république de 1946  puis reprise par celle de la cinquième république, l’actuel texte suprême de la république.

Une jurisprudence du conseil constitutionnel avait ensuite confirmé la valeur constitutionnelle du préambule. La déclaration des droits de l’homme et des citoyens n’était désormais plus seulement un préambule moral et de principe  de la république mais un texte intégré à la constitution et donc devenu un énoncé de « droits fondamentaux ».

Mais avant cette inscription, et postérieurement à la déclaration de 1789, un texte très important donne une réalité concrète à la liberté de la presse. Quelle loi plus significative que celle de la loi du  29 juillet 1881 pour affirmer ce droit dans un support si important pour donner une consistance au droit libre de la parole ?

Et pourtant, malgré cette évolution juridique et les arguments qui viennent d’être exposés, le délit de blasphème a bien existé jusqu’à une période récente. C’est tout à fait étonnant comme dérogation au droit commun.

Contrainte par une religiosité encore forte à cette époque en France, bien que déclinante, la république n’a jamais osé aller au bout du principe qu’elle a elle-même déclaré, la laïcité.

Le délit de blasphème, contraire à tous le développement juridique que nous venons d’exposer n’a été supprimé dans le code pénal qu’en 1981. Nous comprenons bien la signification de cette date, le moment où des forces politiques bien plus éloignées du conservatisme religieux allaient prendre le pouvoir.

À partir de ce moment, nous pouvons affirmer avec certitude que le blasphème n’existe pas en droit et que la jeune Mila n’a commis, au regard de celui-ci, aucun délit prévu par le Code pénal. Or la responsabilité pénale, contrairement à la responsabilité civile, doit se baser sur l’existence d’un texte précis énonçant et décrivant le délit. 

La jeune Mila s’est comportée d’une manière outrancière et vulgaire, la morale peut être invoquée, mais l’immoralité n’est pas un délit, sauf à se concrétiser par un acte illégal. Resterait sur le plan juridique (le conditionnel s’impose, car ce n’est pas elle qui est accusée) un seul autre moyen pour la condamner pour délit, l’outrage aux consciences des personnes. Examinons les deux cas. 

La morale n’est pas un objet juridique

C’est un très ancien sujet de débat dans la doctrine juridique. Des tonnes de thèses et de traités ont été rédigés sur le rapport entre les deux notions que sont la morale et le droit.

La laïcité ainsi que l’avancée des libertés de l’humanité ont obtenu une victoire définitive sur la morale qui est aujourd’hui reléguée au domaine religieux ou aux valeurs privées que les personnes choisissent, selon leur propre discernement, par héritage familial ou mimétisme social.

La morale a été remplacée par les lois de la république, sur les fondements de la constitution. De plus, la morale est par définition différente d’un groupe à un autre, d’un individu à un autre. Elle est donc subjective et non rattachée à un socle universel qui peut légitimer le fondement de la constitution et des lois qui s’imposent à tous.

Il serait malhonnête de penser que les lois laïques de la république ont été initialement détachées des morales religieuses. Que dit le code pénal sur le meurtre sinon ce que disait la Bible ?

Mais une fois la morale intégrée dans le corpus juridique, librement et par la majorité des représentants du peuple, elle devient « neutre » et s’impose à tous. Elle n’est plus une morale mais devient une règle de droit. Elle n’est plus le fait d’un groupe d’individus mais celui de tous les citoyens.

Ce que disait cette jeune fille sur le réseau social en question peut être jugé par la morale « civile » qui impose la décence des propos, car les siens ont été crus, d’une très grande violence vulgaire. Oui, mais c’est sur un autre plan juridique que le délit peut être constitué contre elle. Et c’est là l’hypocrisie sur laquelle nous reviendrons après avoir examiné les limites du droit d’expression dans ce cas particulier soulevé par les propos de la jeune fille. 

Le délit de blasphème n’existe plus mais les croyants, oui

La société humaine a toujours su contourner ses propres principes qu’elle a érigés en dogme. En cette matière de blasphème, elle trouvera un biais juridique bien commode pour s’arroger, en même temps, le mérite de la modernité pour l’avoir supprimé, mais également celui de ne pas heurter les croyances religieuses.

Et la géniale astuce a été de trouver dans un autre fondement juridique la légitimité de limiter le droit à la liberté d’expression. Ce fondement juridique est celui de porter atteinte à la dignité des personnes, par des propos oraux ou écrits. L’insulte, le dénigrement ou la fausse information sont les exemples de ce qu’est juridiquement la limite au droit d’expression. 

C’est tout à fait conforme au droit, une indispensable contrepartie à l’expression libre. Mais nous voyons bien que cela est un biais peu crédible dans le cas du blasphème car, comme toujours, qu’est-ce qu’une conscience religieuse en droit ? 

Il suffirait alors à moi-même de prétendre que ma religion, celle que je viens d’instituer à l’instant, car elle ne vaut pas moins que d’autres, interdise que l’on cuisine devant moi ou que l’on dise un seul mot de cuisine, blessant ainsi ma conscience religieuse. Déjà, nous voyons apparaître l’autre problème de droit, la définition d’une religion par rapport à une secte (le débat est ouvert malgré des textes à ce sujet) ou à une coutume.

Cela est totalement irrecevable et pourtant bien existant dans le droit français. De la légitime interdiction de diffamer et d’insulter, le droit a dérivé vers l’interdiction de choquer, de heurter une conviction religieuse. 

Qu’est-ce qu’une conscience pour le droit ? Dans mes études de droit je n’ai jamais eu connaissance de  l’existence de cet objet de droit. Nous voyons bien qu’il s’agit là d’un subterfuge qui arrange le législateur pour acheter à bon compte la paix sociale. Dans un premier temps, il avait pour but de freiner la résurgence violente des revendications des milieux intégristes catholiques. Voilà que le subterfuge s’est recyclé pour éviter le courroux des adeptes violents (le mot est faible) de l’Islam.

Il faut maintenant évoquer une autre hypocrisie, beaucoup plus inacceptable, car elle-là ne repose sur aucun fondement juridique pour pouvoir se camoufler à son aise.

Une hypocrisie, deux poids, deux mesures

Il existe en droit un autre délit que personne ne s’empresse de condamner par manque de courage politique de la société et des hommes politiques, celui de l’apologie de l’illégalité, jusqu’au crime.

Le droit pénal interdit les écrits et les discours appelant à la haine et au crime, entre autres actions violentes. Mais il interdit également toute apologie se réclamant de ces écrits.

Il faut pourtant beaucoup de temps, beaucoup de courage et beaucoup de pressions médiatiques pour que l’autorité de l’État se manifeste auprès des prêcheurs qui appellent à la haine, au soulèvement violent et au crime.

On s’offusque de la tentative de publier un livre comme Mein Kampf en France, mais on n’a rien à dire sur un livre qui inonde les pages de coups de fouets, d’appel à la conquête armée par la religion, qui édicte des dizaines de règles d’esclavagisme envers les femmes, qui interdit toutes les libertés autorisées par les lois de la république et ainsi de suite.

Ce livre n’est jamais inquiété, ni dans sa publication, ni dans sa diffusion, ni dans les propos tenus dans les mosquées, les conférences et autres colloques de gens bien pensants qui évoquent avec grandiloquence la liberté d’expression, de conscience et de culte.

Par contre, le malheureux auteur de cet article voit, avec force et tambours, son compte Facebook censuré pour des propos qu’ils jugent non conforme à la charte du réseau social.

Il est bien connu que les réseaux sociaux n’ont jamais été coupables de divulguer les discours de haine et les appels aux crimes. JAMAIS ! 

L’algorithme puissant ne peut les détecter, mais il peut détecter un pauvre professeur qui, par ses propos, ne fait du mal qu’à son clavier, car il tape fort, de rage.

En conclusion, cette adolescente a tenu des propos qui sont extrêmement répréhensibles du point de vue de l’éducation. Ils sont loin de mon idée sur la bonne tenue sociale, mais ils n’ont rien à avoir avec le droit, absolument rien. Et de toute façon ce n’était pas à ces individus de faire justice, surtout avec des actes illégaux.

Le lecteur a compris que j’ai traité l’affaire du point de vue du reproche que certains n’hésitent pas à exprimer quant aux propos de la jeune fille. Mais il ne s’agit pas, bien évidemment, de l’accusation portée devant le tribunal correctionnel. Elle est la victime, pas l’accusée. Tout au moins ce reproche de provocation permettra certainement aux défenseurs de plaider la provocation par le fameux délit qui « heurte les consciences ».

Si je devais menacer de mort tous les jeunes qui heurtent ma conscience de laïc, je viderai la France d’une importante partie de sa population. 

Les treize adolescents assignés devant le tribunal pénal vivent, eux, la normalité en ce qui concerne le droit pénal et ses sanctions.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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