L’emprisonnement du journaliste Saad Bouakba, 80 ans, pour « atteinte aux figures de la Révolution » divise l’opinion publique et relance le débat sur la liberté d’expression en matière historique. Dans une tribune remarquée, le journaliste et écrivain Hmida Ayachi appelle à soumettre l’histoire à la raison et à renoncer à l’instrumentalisation politique de la mémoire nationale.
Un débat public polarisé
La mise en détention provisoire de Saad Bouakba a suscité des réactions divergentes sur les réseaux sociaux. Certains internautes dénoncent des propos jugés offensants envers des figures emblématiques de la lutte anticoloniale. D’autres rappellent qu’il s’agit de faits historiographiques déjà documentés et s’inquiètent d’un précédent dangereux pour la liberté d’expression.
La réflexion de Hmida Ayachi : restaurer la rationalité historique
Dans sa tribune intitulée « Bouakba s’est-il trompé ?…Et Khider, Boudiaf, Krim Belkacem et Aït Ahmed ont-ils bénéficié de l’argent de la Révolution ? » Hmida Ayachi replace l’affaire dans un cadre plus large : celui du rapport complexe de l’Algérie à sa mémoire révolutionnaire.
Pour lui, la Révolution demeure sacrée à travers ses martyrs et ses héros, mais cette sacralité ne doit pas conduire à occulter la vérité historique ni à criminaliser la recherche ou l’interprétation.
« Il faut soumettre l’histoire à la raison (…) Mettre en prison un journaliste de quatre-vingts ans n’est pas une solution. Cela n’aide personne, n’améliore pas l’image du pays et affaiblit la confiance du peuple dans ses institutions. »
H’mida Ayachi met en garde contre l’instrumentalisation du passé comme arme politique ou outil d’émotion collective. Pour autant, faut-il taire des pans entiers de notre histoire sous le fallacieux prétexte que des acteurs de notre histoires sont sacrés ?
Une judiciarisation inquiétante du débat historique
L’inculpation de Bouakba interroge : peut-on encore débattre des angles morts de la guerre de libération sans risquer la répression ? Manifestement non. À une époque où plusieurs pays encouragent la confrontation critique avec leur histoire, l’Algérie semble peiner à instaurer un espace serein pour la relecture documentaire et le débat mémoriel. Il y a une certitude : sous Tebboune-Chanegriha notre pays a enregistré une glaciation effrayante en matière de débat en général et de traitement de la révolution en particulier. Pourquoi le régime a-t-il peur du débat ? Ne craint-il pas, derrière ces interdictions de toute expressions, ses contradictions ? Voire ses démons ?
Vers une maturation du rapport à la mémoire nationale ?
L’affaire révèle des contradictions profondes : une société en quête de transparence historique face à des réflexes de (sur)protection des symboles par la mobilisation d’un arsenal judiciaire et répressif et une écriture orientée et fragmentée de l’histoire. En appelant à un traitement rationnel et apaisé du passé, Hmida Ayachi propose une voie pour sortir de la crispation — et éviter que l’histoire ne se transforme en terrain de conflits politiques ou judiciaires. Cela va-t-il suffire car l’absence de débats et de lieux d’expression libres comme les médias audiovisuels, papier et en ligne ne fera qu’épaissir la crise de confiance et cristalliser les rancœurs.
La rédaction

