10 novembre 2024
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Ahmed Benbitour, l’homme de la situation

OPINION

Ahmed Benbitour, l’homme de la situation

Une grande partie des Algériens est concentrée sur l’avenir politique du pays qui demeure incertain. A l’exception des experts et observateurs économiques, des chefs d’entreprises et des cadres supérieurs exerçant dans les administrations centrales, peu de nos concitoyens sont conscients qu’à l’horizon de 2022, le pays devra surmonter des défis redoutables qui tiennent pour l’essentiel à l’effondrement de nos réserves de change, à un volume d’exportations d’hydrocarbures moindre et une augmentation des besoins d’une population qui s’est remise à croître depuis 2013. 

Les défis que l’Algérie devra affronter sont colossaux

De miracle, il n’en existe pas. Les prix du pétrole ne risquent pas de franchir la barre des 70 dollars dans les années qui viennent, la reconquête du marché intérieur par nos entreprises (qu’elles soient publiques ou privées) qui vivent essentiellement de la commande publique, n’est pas pour demain. Nous avons pris également un retard considérable dans l’économie numérique, tandis que le développement des énergies renouvelables marque le pas. Last but not least, le taux de chômage s’est remis à la hausse, au cours de ces six derniers mois. D’une façon générale, la dépendance de tous les acteurs à l’égard de la rente a atteint  un niveau préoccupant.

Il faudra bien pourtant à l’Algérie tracer son sillon dans la mondialisation et pour lever un ensemble d’hypothèques devenues de plus en plus lourdes, les Algériens devront élire, avant la fin de cette année, un homme ou une femme qui devra posséder les aptitudes suivantes :

  1. Une connaissance intime des questions économiques, sociales et financières ;

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  2. Une forte personnalité et un esprit indépendant (l’un ne va pas sans l’autre) ;

  3. Une intégrité morale au-dessus de tout soupçon ;

  4. Une grande capacité à mobiliser les ressources humaines auxquelles il ou elle devra s’adosser pour engager des réformes de structure indispensables, sans cesse différées depuis 40 ans.

Une parenthèse tout d’abord pour contextualiser la mal algérien

Notre pays recèle un potentiel humain extraordinaire, malgré l’exode massif de nos «cerveaux» et cela depuis 1980. Mais, à peine, 2% des hommes et des femmes ayant vocation à exercer des responsabilités au niveau supérieur de l’Etat ou accomplir des missions d’expertises pointues sont sollicités. Après cela, vous entendrez des responsables vous dire que nos institutions sont défaillantes à cause du manque de ressources humaines qualifiées. Qu’a-t-on fait des milliers de cadres qui s’estiment, à juste titre, sous-utilisés, voire le plus souvent marginalisés.

Le népotisme, le clientélisme, le clanisme, le recours inconsidéré à l’expertise étrangère à laquelle est rarement associée l’expertise locale, -toutes calamités qu’une éventuelle deuxième République serait bien incapable de conjurer-, sont les véritables causes structurelles du malaise de l’Algérie; nul besoin d’aller les chercher ailleurs.

Ahmed Benbitour, une personnalité d’exception

Aujourd’hui la seule personnalité qui réunit toutes les qualités pour permettre à notre pays de traverser, avec le moins d’encombres, les épreuves qui l’attendent est indéniablement Ahmed Benbitour. Celui-ci a travaillé sous l’autorité de cinq chefs d’État (Chadli, Boudiaf, Kafi, Zeroual et Abdelaziz Bouteflika) et celle de cinq Chefs de gouvernement (Ghozali, Abdesselam, Redha Malek, Mokdad Sifi et Ouyahia) avant de devenir le chef du Gouvernement de Abdelaziz Bouteflika (décembre 1999-août 2000). Il a été indéniablement le plus indépendant des ministres de la République et le plus digne aussi. Il a démissionné de son poste de ministre des Finances, en 1996, suite à un désaccord avec les responsables de la Présidence, ce qui lui valut une odieuse cabale menée contre lui par le Général Betchine et le ministre de la Justice de l’époque, Mohammed Adami mais avec la caution du président Liamine Zeroual (¹), lequel, à la réflexion, est loin de  correspondre à l’image idéalisée qu’en ont beaucoup d’Algériens, à commencer par l’auteur de ses lignes.

Pour clore cette parenthèse, Liamine Zeroual doit beaucoup à la magnanimité et la clémence du Chef d’État-major actuel, le Général Ahmed Gaïd Salah dans une récente affaire qui a failli déstabiliser l’Etat algérien. Ahmed Benbitour est resté huit mois à peine à la Primature, avant de démissionner, lorsqu’il lui apparut clairement que sa conception de l’Etat et de l’intérêt général était aux antipodes de celle d’un Président de la République résolu à détruire ce pays, objectif qu’il a hélas largement atteint.

Des états de service tout aussi exceptionnels

Pour celles et ceux des Algériens et Algériennes qui connaissent peu ou mal Ahmed Benbitour, ils doivent savoir que l’ancien Ministre de Finances a joué un rôle central dans les négociations de l’Algérie avec le FMI et ses divers créanciers, qu’il s’agisse de l’Accord Stand by conclut pour la période 1994-1995 ou de l’Accord dit de Facilité  de Financement Élargie (FFE) qui couvrait la période 1995-1998. C’est grâce à lui que notre pays a pu éviter les conditionnalités les plus draconiennes, dans la mesure où le FMI faisait pression sur l’Algérie pour qu’elle rééchelonnât dès 1988. Si Ouyahia, Sellal, Bouchareb, Chakib Khelil et bien d’autres ont fait fuir les capitaux algériens à l’étranger, Ahmed Benbitour s’est battu, souvent seul, pour que les mesures d’ajustement structurels ne viennent pas porter atteinte au pouvoir d’achat des catégories modestes et des couches inférieures et intermédiaires de la société.

Mais comment passer l’obstacle Ouyahia, déterminé à brader toute l’économie pour complaire aux institutions financières internationales de l’époque, peu soucieuses du bien-être de nos populations et cerise sur le gâteau, sans le soutien du Président Zeroual qui de bien entendu ne bougea pas le petit doigt.

Devenu Chef du gouvernement en 1999, il a proposé une feuille de route au Président Bouteflika, laquelle, si elle avait été mise en œuvre, aurait permis à notre pays de figurer aujourd’hui sur la liste des pays émergents (réforme de l’école, création de pôles d’excellence dans l’enseignement supérieur et la recherche, nouvelle politique sanitaire, stratégie industrielle, réorganisation du commerce, restructuration du secteur public économique, levée des entraves aux entreprises, développement de l’économie numérique, avènement de énergies renouvelables, développement du tourisme, maîtrise de la dépense publique, application stricte du principe de la séparation de pouvoirs, etc.). Le Président Bouteflika n’était pas revenu aux affaires pour réparer l’Algérie après la décennie sanglante qu’elle venait de connaître, il avait pour mission de la conduire aux enfers, ce pourquoi il opposa une catégorique fin de non-recevoir aux thérapies préconisées par le Dr Benbitour.

La prescience des événements

Dès 2001, Ahmed Benbitour commença à lancer des SOS en direction de l’opinion publique pour la mettre en garde contre le pilotage à vue et la politique du chien crevé au fil de l’eau qui étaient devenus la marque de fabrique des autorités politiques totalement inféodées à Bouteflika (Ali Benflis le premier).

Personne ne le soutînt et il passa rapidement pour un Cassandre pariant sur l’échec du pays. En 2003-2004, il utilise de façon récurrente le mot déliquescence pour seulement décrire l’état des lieux, alors que la plupart des observateurs parmi eux, le soi-disant meilleur économiste algérien, Abdellatif Benachenhou, laissait entendre dans des ouvrages procédant plus de l’agit-prop que de la rigueur scientifique (qui y était en fait totalement absente) que l’Algérie se portait bien et se porterait mieux.

Dans son dernier livre (²), Abdellatif Benachenhou reprend à son compte, sans jamais citer Benbitour, toutes les propositions que l’ancien Chef du gouvernement n’avait eu de cesse d’adresser à des politiques qui étaient moins autistes qu’ennemis déclarés de l’Algérie et traîtres à la révolution de novembre à laquelle du reste ils n’ont jamais participé réellement, installés confortablement dans le Maroc voisin, quêtant une indépendance devenue imminente à partir de 1959.

La déshérence de notre agriculture, les faibles performances quantitatives et qualitatives de notre économie, l’école sinistrée, un système de soins archaïque et encore largement inaccessible au plus grand nombre, les inégalités régionales qui se sont creusées en 20 ans, une politique de protection sociale qui avantage indûment les plus nantis, un commerce totalement désorganisé, des marchés oligopolistiques qui font obstacle à l’émergence de toute concurrence, la corruption devenue endémique et pas seulement institutionnalisée, la montée de la criminalité routière et celle de droit commun(tous comportements jugés par nos sociologues de pacotille comme parfaitement compatibles avec les leçons de civisme que donne le peuple algérien à la terre entière, chaque vendredi entre 10 heures et 17 heures. 

En fait, la quasi-totalité des maux dont souffre aujourd’hui le pays ont été dénoncés par Ahmed Benbitour, il y a 18 ans.

Le rôle ingrat du futur Président de la République

D’ores et déjà, il est important de comprendre que le passif légué à celui qui présidera aux destinées de l’Algérie sera lourd et qu’il ne serait dès lors pas raisonnable d’atteindre de lui qu’il réalise des miracles, même si toutes les institutions de l’Etat lui apportent loyalement leurs concours.

Je n’aurais pas la cruauté de citer les noms des anciens chefs de gouvernement de Premiers ministres et de ministres qui ont eu le front de se mêler à la contestation populaire, alors qu’ils portent une large part de responsabilité dans les malheurs que connaît aujourd’hui ce pays. Aucun d’eux n’a jamais songé à démissionner de sa fonction, lorsque la ligne qui leur avait été imposée de suivre entrait en conflit avec leur conscience ou leur conception de l’Etat. La plupart ont même œuvré indirectement à rester dans les sommets de l’Etat, contribuant ainsi à faire perdurer les dysfonctionnements du système qu’ils dénoncent aujourd’hui toute honte bue.

Ahmed Benbitour lui a donné sa démission après s’être battu pour le triomphe de ses idées mais dans un rapport de force qui lui était défavorable.

D’autres ont su faire comme lui, à l’instar du regretté Mohamed Salah Mentouri, Abdelaziz Rahabi, Ahmed Taleb Ibrahimi, Rachid Benyelles, Farouk Chiali. Il serait injuste de ne pas leur reconnaître ce mérite dans un pays où la compétition pour le pouvoir justifie l’utilisation de tous les moyens et la hantise de le perdre tous les reniements. Tous ces ex-responsables qui viennent livrer leur modus operandi de la transition démocratique gagneraient à se taire et à se faire oublier.

A l’extrême limite, le plus grand service qu’ils puissent rendre à l’Algérie, – mais cet exercice est si peu conforme à l’état d’esprit de l’Algérien -, est d’écrire leurs mémoires (si tant est qu’ils en soient capables) et de faire leur mea culpa, autrement dit présenter leurs excuses à un peuple, non dépourvu de défauts et de tares mais qui a été circonvenu, des décennies durant.

Ahmed Benbitour fait exception à cette règle (et ce qui est exceptionnel, à l’instar de Ahmed Taleb Ibrahimi, c’est l’extrême modestie de son patrimoine et de ses ressources, comme s’il n’avait jamais occupé une fonction de haut commis de l’Etat).

Qu’on me dise dans quel vivier on peut puiser pour trouver des hommes de cette dimension qui viennent nous rappeler que les sacrifices consentis par Abane et Ben M’hidi n’ont pas été vains. C’est pour sa compétence exceptionnelle sur le plan économique (licence, DEA, Doctorat d’Etat, MBA HEC Montréal, auteur de nombreux ouvrages économiques faisant autorité), son expertise nationale et internationale dans les domaines du management stratégique et opérationnel, son expérience de ministre des Finances, au moment où l’Algérie traversait la plus grave crise d’illiquidité de son histoire, sa probité et sa rigueur morale, la jalousie qu’il a toujours témoigné de ses prérogatives qui font de Ahmed Benbitour (³),la personnalité la mieux placée pour faire sortir l’Algérie du tunnel dans lequel des renégats comme Bouteflika, sa fratrie, Mediène et consorts l’ont projetée afin qu’elle s’y installe à demeure.

Un mot de conclusion

A situation exceptionnelle, homme et femme exceptionnels. Si les Algériens devaient confier leur destin à Ahmed Benbitour, ils feraient le bon choix. L’Armée ne pèsera pas sur la prochaine présidentielle qui devait se tenir dans les mois prochains. Elle n’a pas de candidat. Ses missions constitutionnelles suffisent largement à son sacerdoce. Par ailleurs, le scrutin se déroulera dans la transparence la plus totale et la plus irrécusable. L’Algérie ne devra pas rater cette opportunité historique pour se réapproprier son destin.

Ali Mebroukine, Professeur en droit, Président du Cercle d’études et de réflexion sur l’insertion de l’Algérie dans la globalisation(CERIAG)

Notes

  1. Ahmed Benbitour, «Radioscopie de la gouvernance algérienne », Edif, 2012, Edition revue et augmentée, pp.152 et suivantes

  2. A. Benachenhou : «L’Algérie. Les années 2030 de notre jeunesse », sans indication de la maison d’édition, Alger, 2018

  3. Ahmed Benbitour : «Pour la sauvegarde de la patrie », El Watan du 15 décembre 2018

Auteur
Ali Mebroukine (*)

 




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