Un bâtiment vieilli par les ans, des murs silencieux, une mémoire figée sous la poussière. Voilà comment j’ai rencontré Ahmed Rédha Houhou pour la première fois. C’était à Biskra, dans une maison de la culture qui porte son nom.
À l’entrée, un portrait, accroché là, comme une veilleuse fatiguée. En dessous, des documents, quelques livres emprisonnés dans une vitrine qu’aucune main n’a pensée à nettoyer. J’étais fasciné par l’architecture du lieu — mais choqué par l’abandon.
Je ne connaissais presque rien de lui. En rentrant à l’hôtel, une question m’obsédait : qui était cet homme dont la mémoire semble aujourd’hui ignorée ? Un écrivain ? Un militant ? Pourquoi son nom à Biskra, mais aussi à Constantine ? J’ai cherché, creusé, exploré. Ce que j’ai découvert m’a profondément marqué.
Un pionnier aux racines multiples
Ahmed Rédha Houhou est né en 1910 à Sidi Okba, non loin de Biskra, dans une famille aisée. Il suit une double formation : d’abord l’école coranique, puis l’école française à Skikda où il obtient son certificat d’études, ce qui lui ouvre les portes de l’administration postale. Mais son destin ne s’arrête pas là.
En 1934, un conflit familial pousse les siens à s’exiler à Médine. Là, il entame des études à l’École des sciences légales. Il devient enseignant et collabore à plusieurs journaux locaux, rédigeant des essais littéraires et des nouvelles. Sa plume y devient rapidement influente. Il s’impose comme un réformateur du récit arabe moderne, et sa notoriété le suit jusqu’à La Mecque, où il travaille brièvement comme postier.
En 1940, il signe un article qui fera date : « La littérature arabe va-t-elle à l’extinction ? » — texte de combat et de critique. On le surnomme alors en Arabie « le pionnier du récit ».
Mais c’est en 1945, au lendemain des massacres du 8 mai à Sétif, qu’il décide de rentrer en Algérie. Il s’installe à Constantine, répondant à l’appel du cheikh El-Ibrahimi qui l’invite à rejoindre l’Association des Oulémas. Il y devient directeur d’une école primaire et s’illustre comme journaliste satirique dans les pages de El Bassaïr et Echou’la, où il critique avec acuité la politique, les mentalités religieuses figées, et la condition des femmes.
Le premier romancier algérien d’expression arabe
En 1947, Ahmed Rédha Houhou publie Ghadat Oum el Qora, considéré comme le premier roman algérien en langue arabe. Il enchaîne ensuite les nouvelles, les essais, et fonde en 1949 la troupe théâtrale El Mazher constantinois, avec laquelle il adapte en arabe classique ou dialectal des chefs-d’œuvre occidentaux : Ruy Blas devient Anbaça, Topaze devient Si Achour.
Son œuvre traverse les genres : Sahibat el ouahy (La femme inspirée), Namadhidj bacharia (Spécimens humains), ou encore Maa himar Tewfiq El Hakim (Avec l’âne de Tewfiq El Hakim), recueil de chroniques satiriques. À travers tout cela, il tisse une vision d’une Algérie libre, éduquée, décolonisée dans l’âme.
Le silence imposé : torture, exécution, effacement
En pleine guerre de libération, la plume d’Ahmed Rédha Houhou devient une arme redoutée. Début 1956, il est arrêté et torturé par les militaires français. On le libère, affaibli, mais toujours debout. Quelques semaines plus tard, le 29 mars 1956, il est enlevé une seconde fois, cette fois-ci par les hommes de La Main rouge, une organisation clandestine liée aux services spéciaux français et chargée d’éliminer les intellectuels algériens influents.
On le retrouve assassiné à Constantine, criblé de balles. Son corps porte les marques de la violence et de la haine. Il n’avait que 46 ans.
Son enterrement à Constantine se fait dans une ambiance pesante. Le silence est lourd. L’Algérie pleure, mais à demi-voix. Peu d’hommages publics sont alors possibles sous occupation.
Sa tombe repose aujourd’hui dans un cimetière de Constantine, sans faste, sans mausolée, mais elle reste un lieu de recueillement pour quelques rares connaisseurs, pour des amoureux de la littérature et de l’histoire algérienne. Certains viennent y lire un passage de Ghadat Oum el Qora, ou simplement murmurer son nom à voix basse.

Retour à Biskra : enquête vivante
Poussé par ce parcours bouleversant, j’ai voulu retourner à la Maison de la culture de Biskra pour chercher des documents. Je me suis égaré en chemin, interrogeant les jeunes passants :
« La maison de culture de Redha Houhou ? Euh… ce nom ne nous dit rien… »
Je finis par y revenir. Je me présente. Une employée me conduit vers la directrice, qui me donne accès à la bibliothèque, hélas vide à ce moment-là. Elle me remet alors deux numéros de téléphone. Avant de partir, elle me confie :
« Je suis la fille de Omar El Barnaoui, premier directeur de cette maison et écrivain. »
Le destin parfois se montre généreux. L’un des contacts fournis, Azzedine Betayeb, me répond avec gentillesse et professionnalisme. Il se présente ainsi :
« Je suis un chercheur libre en histoire. J’ai publié une dizaine de livres, je participe à des conférences, et parfois à des émissions radiophoniques ou télévisées. »
Grâce à lui, j’ai pu rassembler les pièces de ce puzzle trop souvent ignoré. Grâce à lui, j’ai compris qu’Ahmed Redha Houhou n’était pas simplement un écrivain, mais un passeur de mémoires, un résistant culturel, un humaniste.
Conclusion : sortir de la poussière
Aujourd’hui encore, des lycées, des centres culturels, des rues portent son nom. Mais qui, parmi les jeunes, connaît son œuvre ? Ses combats ? Sa voix ?
Écrire ce portrait, c’est tenter de souffler sur la poussière, de faire entendre à nouveau sa voix, de rappeler qu’avant d’être un nom accroché à un mur, Ahmed Redha Houhou était une conscience vivante, un homme debout, un rêveur assassiné.
Djamal Guettala
Dire que mon fils a passé sept ans au lycée Rédha Houhou à Constantine, sans que l’on sache qui était ce Monsieur. Petite remarque, pas anodine, ce lycée s’appelait avant lycée d’Aumale. Je connaissais l’historique du Duc d’Aumale, j’ai même visité son château.