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Alaa El Aswany et le «crime» de la littérature

La chronique Naufrage

Alaa El Aswany et le «crime» de la littérature

Depuis des lustres, on entend parler de la condamnation  des journalistes dans plusieurs coins du monde. Le motif commun est de porter atteinte à l’Etat. Les cas les plus récents sont les deux écrivains-journalistes turcs Asli Erdogan et Ahmet Altan, condamnés à la prison par le pouvoir d’Erdogan.

En Algérie, il y a juste quelques années, le journaliste Mohamed Tamalt a été emprisonné par le pouvoir de Bouteflika  à cause de ses publications sur Facebook, prises pour  offense au président. Après une longue grève de faim, sa santé se dégrade et il décède dans le silence absolu du pouvoir aveugle.  Les exemples sont copieux. Et il y aura toujours des journalistes qui paieront leur passion pour l’information en prison, victimes de dictatures masquées ou à visage découvert.

Aujourd’hui,   poursuivre en justice un écrivain à cause d’une fiction est une absurdité qui est devenue  la norme dans certains pays. Le motif est pareil pour les journalistes même s’il s’agit de fiction : atteinte à l’Etat.

Le cas le plus récent est celui du célèbre écrivain égyptien Alaa El Aswany. Il vient d’annoncer qu’il est poursuivi en justice dans son pays pour offense  au président et incitation contre le régime. Les preuves de son « crime » sont ses chroniques et son dernier roman  J’ai couru vers le Nil  (Actes Sud 2018).

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Traduit dans plus de trente langues, Alaa El Aswany parle longuement de son expérience  littéraire dans la préface de son livre  J’aurais voulu être Egyptien  (Actes Sud 2010). Le romancier n’a pas eu accès facilement à la publication à cause de la censure. Refusant de se plier, il cachait ses récits dans les tiroirs. Ses textes fictifs étaient pris pour atteinte à l’Etat et insulte au peuple égyptien. Il était donc boudé par les éditeurs du pays.

Un jour un éditeur a osé  publier son roman l’Immeuble Yacoubian, devenu très vite un best-seller universel. Ainsi, Alaa a  acquis une célébrité mondiale et imposé son nom parmi les géants de la littérature.

Son nouveau roman  J’ai couru vers le Nil  a été refusé par les éditeurs égyptiens malgré la célébrité et le génie du romancier.  Dans cette fiction nourrie de vraisemblance, Alaa s’inspire de la révolution de 2011 et fait l’autopsie de cette nouvelle Egypte mutilée  par les hypocrisies et les faux-semblants. Ses narrateurs décrivent notamment les crimes du pouvoir commis contre la jeunesse qui était le cœur de la révolution.  Un éditeur libanais ose publier le roman. Un universel succès. Puis vient le procès kafkaïen.

En 2009, le pouvoir algérien a interdit le roman « Poutakhine, journal presque intime d’un naufragé » publié sous pseudonyme. Le livre venait à peine de sortir de l’imprimerie. La police sillonnait les librairies pour saisir  les exemplaires. Le livre a été interdit sans être lu, sans aucune raison!

La question à poser : pourquoi  accuser un écrivain à cause d’une fiction ?

Un pays qui poursuit en justice un écrivain à cause d’une fiction est parfaitement un pouvoir militaire. Celui-ci n’admet pas le dialogue ou la diversité. Penser différemment de l’armée c’est être l’ennemi de l’Etat. Un pouvoir militaire  construit plus de casernes que d’écoles, achète plus d’armes que de livres. Pour lui, la civilisation se construit par la force et non par la culture. Il ne maîtrise que deux choses : recevoir des ordres et en donner. Cependant, l’écrivain désacralise la pensée unique : écrire est  avant tout un acte de liberté. En pensant différemment, il devient l’ennemi privilégié du pouvoir. La guerre commence entre l’uniforme et la plume.

Les tyrans ont peur du livre. La fiction a la magie de bercer les âmes, de secouer les consciences, et de réveiller les émotions profondes de l’humain. Ecrire est un acte divin.  Et puisque la télévision et les journaux passent par le contrôle du pouvoir arbitraire, la fiction abat les murs de la censure et réussit par des malices à dénuder les masques du régime corrompu. Vénéré et obéi,  le tyran n’accepte pas de voir sa laideur dans le miroir. Il donne alors l’ordre d’interdire le livre et de condamner l’auteur.

Le pouvoir qui accuse  un écrivain à cause d’une fiction est trop stupide alors qu’il se croit fort. En accusant une fiction, le pouvoir montre sa faiblesse : lui qui a tanks et kalachs, tremble devant un livre. Cela fait rire !  Par stupidité, il fait aussi une grande publicité pour le livre en question et son auteur.

Les éditeurs du monde se ruent pour publier ce « criminel de papier ». Les lecteurs se bousculent pour le lire et découvrent donc les hypocrisies du pouvoir militaire. En outre, cela prouve  à l’auteur qu’il a du talent, que sa plume se vaut.

L’Egypte a des problèmes énormes qui handicapent son avancée: le chômage, le logement, la pauvreté, le terrorisme…Au lieu de s’en occuper pleinement, le pouvoir va à la chasse des intellectuels qui s’opposent à sa pensée unique et poursuit Alaa en justice pour une fiction qui ne fait que miroiter la  réalité amère du pays. L’Egypte n’est plus la belle qu’elle était. Elle n’est plus elle-même.

Dans sa chronique récente (publiée par le site DW)  sur cette affaire, Alaa adresse ces mots à son accusateur: « Si mon crime était d’exprimer librement mes idées, j’en serais reconnaissant et fier. Ce que vous prenez pour crime, c’est pour moi un devoir  et un honneur et je continuerai à commettre ce crime jusqu’à la fin de ma vie ».

Poursuivre en justice un écrivain est devenu la passion des présidents  qui sont obsédés par le pouvoir. Mourir au trône. Cet acte absurde et honteux est lui-même un crime puisque il n’est justifié par aucune loi. Il  illustre clairement comment une république devient une dictature et comment un Homme lutte par sa plume pour une valeur inestimable : penser librement. C’est la dictature qui est le crime, pas la littérature.

Tawfiq Belfadel

Ecrivain-chroniqueur

Auteur
Tawfiq Belfadel, écrivain-chroniqueur

 




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