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Albert Camus, écrivain français d’Algérie (VII)

LITTERATURE

Albert Camus, écrivain français d’Algérie (VII)

Le conflit franco-algérien fomente davantage dans « L’Hôte » qui était en projet depuis 1952 et dont la rédaction date, selon René Char qui en possédait le manuscrit, de la fin de 1954.

« L’hôte »

Trois personnages constituent la dramaturgie de cette nouvelle: Daru, instituteur d’une école perdue des Hauts Plateaux et un duo étrange: un gendarme à chevai conduisant par une corde fixée à sa selle un Arabe qu’il doit livrer à la justice.

L’anecdote initiale a été retrouvée par Camus dans un fait divers des années 1934 ou 1935. Un syndicaliste musulman inculpé avait subi cet odieux traitement, qui a bouleversé l’opinion publique des milieux progressistes. Le Secours Populaire avait édite des cartes de solidarité avec l’image de l’homme lié au cavalier qui s’entrainait. C’est sur cette image inhumaine que s’ouvre « L’Hôte » : L’instituteur regardait les deux hommes monter vers lui. L’un était à chevai, l’autre à pied. (…) Ils peinaient, progressant lentement dans la neige, entre les pierres, sur l’immense étendue du haut plateau désert100. 

(…) II reconnut dans le cavalier, Balducci, le vieux gendarme qu’il connaissait depuis longtemps. Balducci tenait au bout d’une corde un Arabe qui avançait derrière lui, les mains liées, le front baissé. (…) Ils approchaient. Balducci maintenait sa bête au pas pour ne pas blesser l’Arabe et le groupe avançait lentement101. La symbolique de cette image est claire et nette; Camus y dénonce la condition de l’Arabe, prisonnier de surcroît, réduit sous 1’administration coloniale à l’état d’une bête.

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La dénonciation des abus coloniaux dans son oeuvre de création allait de pair avec de nombreuses interventions de Camus en faveur des prisonniers, incarcérés souvent sans être jugés dans de vrais camps de concentrations dans le Sud du pays. En même temps, l’auteur de L’Hôte rend hommage à l’école française, l’institution qui, dans l’affaire coloniale, a sauvé l’honneur de la France, portant haut le drapeau tricolore.

L’attachement de nombre d’écrivains algériens à la France était né à l’école, où tous étaient traites sur un pied d’égalité et avec les égards dus à la personne humain102. Camus a fait de Daru un instituteur, peut-être en souvenir de ses aspirations universitaires misant le professorat ou encore pour rendre hommage à un couple d’instituteurs du bled, premières victimes de la Toussaint 1954.

Daru est une figure exemplaire qui fait son métier comme une vocation. À l’époque où la famine sévissait en Algerie103, il distribue des vivres aux familles démunies. Il avait d ’ailleurs de quoi soutenir un siège, avec les sacs de blé qui encombraient la petite chambre et que l’administration lui laissait en réserve pour distribuer à ceux de ses élèves dont les familles avaient été victimes de la sécheresse.

En réalité, le malheur les avait tous atteints puisque tous étaient 104 pauvres . Impliqué dans l’affaire du prisonnier arabe, l’instituteur en donne la mesure de son humanisme. En dépit de son dégout pour le prisonnier-assassin il l’accueille en hôte; lui dèlie les mains, lui offre la nourriture et le lit. Le sens aigu de l’honneur interdit à Daru de livrer son hôte, bien qu’en ceci il paraisse s’écarter de la loi en vigueur. Au prix de se désolidariser des siens dont Balducci qui part affligé, l’instituteur préfère rester fidèle à lui-même.

Le dénouement est fonde sur l’esprit de la liberté et des droits de l’homme, pour employer le langage universel de nos jours. À la croisée des chemins où ils sont parvenus ensemble, Daru, laissant partir son prisonnier, avec un paquet de ravitaillement et mille francs, lui donne la liberté de choisir. L’Arabe pourra emprunter le chemin de la liberté chez les nomades ou la route qui le conduira à la prison.

Sur le chemin du retour, Daru revint sur ses pas et … le coeur serré, découvrit l’Arabe qui cheminait lentement sur la route de la prison105. Rentré à l’école, Daru a trouvé sur le tableau noir l’inscription suivante: Tu as livré notre frère. Tu paieras106. La vengeance arabe qui pèse sur Daru, ajoute à l’ambiguïté du dénouement. Elle traduit l’attitude intransigeante des rebelles à la vue un peu simpliste, des terroristes purs et durs qui frappent à tort et à travers sans s’interroger sur le bien-fondé de leur action. Ils ont mal jugé Daru, ignorant sa générosité, incapables de reconnaître les valeurs dont il était porteur: liberté, égalité, honneur, respect d’autrui.

Cependant, le prisonnier a compris le sens de la leçon de morale que l’instituteur lui avait donnée et il voulait le faire adhérer à sa cause. C’est en reconnaissance des principes mis en pratique par Daru que son hôte a pris la route de la police pour se constituer prisonnier. La satisfaction de Daru de la victoire n’est qu’éphémère, face à l’hostilité des autres, il ne tardera pas à se décourager.

La partie est jouée dans « L’Hôte » essentiellement par deux personnages: Daru et l’Arabe, bien que le rôle de Balducci, le gendarme, et celui de l’auteur de la menace sur le tableau noir, ne soient pas sans importance. L’instituteur, alter ego de Camus, écrivain moraliste, tente de faire apprendre à son hôte les règles du jeu. Mais, face à l’hostilité des autres, de guerre lasse, il semble abandonner la partie. La conclusion qui arrive est des plus amères et annonce les adieux:

Dans ce vaste pays qu’il avait tant aimé, il était seul107. « L’Hôte » est le dernier texte que Camus ait écrit de près sur l’Algérie déchirée. La suite de cette histoire sera insérée dans la marche de l’Algérie en voie de libération. Le message de Camus dans « L’Hôte » visait toutes les parties en présence dans le conflit algérien; comme dans l’affaire de la trêve civile, l’écrivain cherche à humaniser les uns et les autres.

Nul être humain ne peut être traité comme une bête, tout homme a droit à une vie dans la dignité et dans la liberté mais, il est en même temps oblige d’observer les droits de l’autre et d’en assumer sa part de responsabilité. Cet effort de Camus pour sensibiliser la conscience de ses compatriotes, est resté sans écho, face à un public indifférent. (A suivre)

M. S.

Notes

99-La Femme adultère, op. cit., p. 1568.

100- A. Camus, « L’Hôte », in: « Exil et le Royaume », Gallimard, Pléiade, Paris 1962, p. 1611.

101- Ibid., p. 1613. ‘°’ Mouloud Feraoun (1913-1962), l’auteur du Fils du pauvre, premier grand roman algérien, destine à devenir berger dans sa Kabylie natale, a fait sa promotion par l’école. Il chante les louanges de L’École Normale de Bouzaréah/Alger, dont le règlement intérieur interdisait formellement toute attitude raciste et prônait un humanisme sans frontières.

103- Voir A. Camus , Actuelles III, Chroniques algériennes 1939-1958, La Famine en Algérie, Pléiade, pp. 944-949.

104- L’Hôte, p. 1612.

105- L’Hôte, p. 1623.

106- Ibid. 107 Ibid.

Auteur
Maria Stepniak

 




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