Samedi 11 janvier 2020
Algérie : dans le sillage de l’illégitimité politique !
Le président Tebboune. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Dans chaque régime dictatorial, viscéralement imprégné, de l’absolutisme qui verse dans toutes les formes de gouvernance par le haut, souvent par des mains occultes que l’on prête aux autres, connaît l’outrance. Et de cette outrance que l’on choisit les hommes qui gouvernent, les hommes qui, après un temps d’acclimatation au pouvoir des régents, aux schémas de gouvernance par voix interposées, messages laconiques ou autres appels masqués, deviennent à leur tour des satrapes omnipotents.
Qu’il s’agisse des hommes qui gouvernent aujourd’hui, ou de ceux qui les ont précédés à la tête des nombreux gouvernements post-indépendance, tous issus de coups d’État, l’illégitimité politique a été érigée en mode de gouvernance.
Ce régime, essentiellement clanique dans sa forme, reste foncièrement uni et indivisible dans le fond qui constitue sa matrice idéologique. Les hommes : présidents désignés ou militaires déguisés en civils, n’ont été et ne sont que les interprètes d’une pièce déjà jouée, devant un parterre où, hélas, il ne subsista une âme citoyenne pour les accueillir ou les applaudir. Conspué, ce régime continue à valser sur fond d’illégitimité.
On change les hommes, mais on ne change pas les faiseurs d’hommes. Le procédé de nomination est toujours le même. Des ministres qui ne gouvernent pas, mais qui administre la même politique incarnée par les mêmes hommes au pouvoir, la même idéologie qui consiste à se faufiler à travers les mêmes schémas d’adaptation et de prédation, avec cette fois-ci un énième mandat reluqué; à peine s’il n’a pas eu le consentement de Saïd Bouteflika.
Nous sommes gouvernés par de simples dactylographes sur lesquels plane l’ombre massive de ceux qui dictent les vraies décisions. Ces technocrates, désignés comme tels, pour rester dans un langage nuancé, apprêté à une situation qui veut que le mieux pour ce régime serait qu’il rester dans l’anonymat des étiquettes politiques, ne sont que les pions d’un échiquier en reconstruction, en reconquête des territoires perdus avec l’avènement du Hirak. Le mental de ceux qui font bouger les vraies pièces est, quant à lui, resté fidèle aux mêmes procédés de gouvernance. Il est toujours aux commandes de l’échiquier sur lequel se jouent les vrais enjeux d’indépendance, de justice sociale et de liberté dans le pays.
Ce qui vient de se produire après la libération de certains détenus d’opinions n’est pas à mettre sur le compte de la bonne volonté de dialogue et d’apaisement de la situation de la part d’Abdelmadjid Tebboune. D’abord, parce qu’il puise sa seule légitimité des seuls militaires qui l’ont désigné, ceux-là mêmes qui ont décidé d’incarcérer des centaines d’opposants aux vrais tenants du pouvoir, et ensuite parce qu’il n’est pas en mesure de dialoguer avec un peuple dont les revendications historiques de liberté et de justice sociale, sont à la diagonale de ce que fomente ce régime à l’horizontale ; c’est-à-dire à l’horizon aussi figé que le passé dictatorial dont il est issu. Tebboune et son gouvernement apparaissent alors comme le curseur sur lequel s’appuient les mains obscures, qui valident les étapes à venir dans le redéploiement du régime sur l’échiquier politique.
On ne battit le renouveau en procédant à des arrestations par des instructions venues d’en haut, et ensuite, à des libérations soumises aux mêmes procédés politiques – encore ces obscures instructions qui viennent d’en haut. Ce haut inaccessible, inintelligible, mais toujours planant sur nos têtes comme l’épais Damoclès. Vous dites gouvernement technocrates, le Hirak veut un gouvernement démocrate, un gouvernement qui tire sa légitimité du suffrage universel, seul garant de la légalité des institutions et de ceux qui la représente.
Alors que d’aucuns ne peuvent ignorer que Tebboune et son gouvernement sont le produit de ce régime, encore entre les mains de la hiérarchie militaire. La non-désignation d’un civil à la tête du ministère de la Défense ,comme cela se fait dans les grandes démocraties, est une preuve de défiance à l’égard de cette même hiérarchie qui nomme les présidents, fait et défait les partis politiques , redistribue , le temps d’une élection, les allégeances entre copains et concubins de circonstances, pianote les communiqués à diffuser dans la presse, sectionne les images à répandre dans les médias, se comporte comme Dieu le père , le tout puissant, le haut cuisant!
Les seuls à se réjouir de cette continuité du régime, outre les partis issus de la sulfureuse alliance présidentielle, sont les concubins islamistes. Des alliés objectifs du pouvoir, depuis qu’ils se pavanent dans les profondeurs des institutions politiques du pays en s’appuyant sur l’islam politique, et ce, depuis qu’ils gouvernent sous la houlette de plusieurs gouvernements, tous issus des précédents présidents illégitimes.
Pour l’exemple : parmi les premiers à s’être précipités à sauver ce régime, c’est Madani Merzak. Il a béni les élections, parce qu’il est lui-même un de ces valseurs-égorgeurs qui s’est fait réintroduire, par la grâce de Bouteflika et sa réconciliation nationale, dans le giron des accommodements politiques d’après-guerre (guerre civile qui a fait plus de 200.00 morts), alors qu’il a les mains trempées du sang des Algériens.
Il défend son impunité comme eux défendent la leur. Aussi, comment peut-on interpréter le silence des pantoufles face à Naima Salhi, pleurant le dictateur et appelant ouvertement à l’extermination du peuple kabyle ? Himmler et Heichman n’auraient pas trouvé meilleure barbouze qu’elle pour perpétrer le génocide juif. Une autre de ces satrapes qui verse dans l’outrance, sur fond d’appels aux meurtres d’une faction importante du peuple algérien.
Mais il ne faut pas s’attendre à un sursaut républicain, puisque cette même justice, agissant par instruction, fignolant les dossiers par volonté d’inquisition, n’est nullement dans un esprit de séparation du pouvoir judiciaire des pouvoirs législatifs et exécutifs. Comment peut-on espérer cela, alors que Tebboune et son gouvernement sont issus d’une élection largement boudée par la population, sur fond de fronde sociale inédite et de contestation politique unanime ? Comment peut-on espérer l’indépendance de la justice quand on sait que les affaires priment sur le droit ? Comment peut-on espérer l’indépendance de la justice quand l’indépendance du pays est loin d’être acquise ?
Nous assistons, abasourdis, au ballet des ex. Virés parce que leur ego ne cadrait pas avec celui des représentants du pouvoir ,ou démissionnaires parce que leur marge d’action s’achoppait aux exigences des représentants officiels du pouvoir, validant par leur présence l’impensable, la mascarade prend l’allure d’une parodie loin de verser dans le burlesque, mais incroyablement accablante pour ce qu’elle nous démontre l’ampleur des dégâts qui balaient même ceux que l’on pensait sincères , alors que c’est au sein même du Hirak, libre de toute accointance politique , vierge de toute cohabitation avec ce régime que les vraies solutions à la crise subsistent .Mais ceux-là sont trop libres, viscéralement attachés à une vraie indépendance du pays, pour que les vrais tenants du pouvoir daignent de les regarder.
Au final, Abdelmadjid Tebboune et son gouvernement, dont bon nombre ont déjà servi loyalement dans l’ancienne administration des Bouteflika, s’inscrivent dans cette prochaine étape programmée de reconduction du régime. Cette étape portera, fort probablement, dans la perspective d’une révision de la constitution, à un retour vers une limitation à deux fois le mandat présidentiel. Ce qui, dans la forme, est une victoire- ou plutôt une reconquête de ce qui a été perdu sous l’ère des Bouteflika, mais dans le fond, si le mode de désignation du président reste toujours le même, avec le traditionnel bourrage des urnes, sous la houlette de dieu le père-géniteur de ce régime, le tout puissant, le haut cuisant, l’état-major de l’armée, il serait vain de croire qu’on accéderait finalement à la démocratie.
Nous hériterons alors d’un énième rejeton illégitime d’une nation qui a de tout temps rejeté cette pègre indésirable, spécialiste dans toute sorte de gouvernance par effraction.