Mercredi 25 juillet 2018
Algérie : entre mirage et réalité
Le régime se maintient grâce à la rente et la répression de tout mouvement d’opposition.
Nous ne répéterons jamais assez que la crise algérienne est d’essence politique, son origine est éminemment politique, et par conséquent son dénouement ne peut être que politique. Depuis le coup de force orchestré par le clan d’Oujda contre le GPRA en 1962, notre indépendance est confisquée, le peuple est spolié, privé de liberté et de justice, provoquant ainsi une crise d’Etat. Le pays est plongé dans une crise profonde.
Elle a généré à la fois une crise économique, financière, identitaire et sociale. L’Algérie vit au rythme de violations et de coups d’Etat permanents. Des clans se succèdent au pouvoir et engendrent des lots de misère, de pauvreté et d’ignorance. Le régionalisme, le népotisme et le clientélisme sont érigés en mode de fonctionnement. La médiocrité, l’inculture, l’allégeance, l’appartenance familiale et la proximité régionale sont les critères de recrutement. Les compétences et les valeurs sont marginalisées, pis combattues avec hargne et acharnement.
Au fil des années, l’Algérie est dévitalisée et est devenue une propriété privée entre les mains d’une poignée de personnes prenant ainsi le pays en otage. Ils se servent sans fin, omettant juste que tout a une fin et que justement cette fin est terrible et épouvantable pour celui qui se sert sans fin. Les héritiers du clan d’Oujda sont les plus grands générateurs d’inégalités, d’injustices et de frustrations. Ils sont l’obstacle majeur à la paix, à la stabilité et au développement de l’Algérie. Ils transgressent quotidiennement les lois de la «République», ils sont sans cesse dans la guerre de clans et de succession.
Pour se maintenir et perdurer, ils ont érigé la répression et la violence en mode de gestion. Ces pratiques et comportements sont dans leurs gènes et leurs mœurs, et ce, depuis qu’ils ont fait main basse sur le pays et ses richesses. La démonstration de force et la violence inouïe avec laquelle les médecins résidents et les anciens de l’ANP ont été traités récemment sont la parfaite illustration de ce qu’ils portent en eux.
A travers cette répression, ils lancent une véritable mise en garde contre toute personne, association, syndicat et formation politique qui oserait les défier partout dans le pays, particulièrement dans la citadelle impénétrable, en l’occurrence Alger. Ils balisent et préparent le terrain en prévision de l’élection présidentielle ou anticipée à venir. Le message est clair, les voix discordantes, ne seront ni tolérées ni autorisées. En d’autres termes, circulez, il n’y a rien à voir !
Le système a organisé la soumission de la société dans un processus de désagrégation sociétal en s’appuyant sur un modèle éducatif des plus médiocres. L’école algérienne s’apparente aujourd’hui plus que jamais à une entreprise de destruction de la pensée et de la rationalité humaines. Il a relégué dans la misère l’ignorance et l’exclusion des millions d’Algériens. Cette situation est moralement inacceptable, politiquement dangereuse et économiquement intenable. Il stérilise des énergies et des talents.
A travers ses relais médiatiques et son personnel politique, le pouvoir bâtardise et clochardise le champ et l’action politiques en Algérie, exposant ainsi le pays à un véritable risque d’affrontement et embrasement social, et par ricochet à la dislocation et la partition du territoire national.
Ce système a imprimé dans la société la culture de la haine de soi et de l’autre et par voie de conséquence de l’autodestruction. Le pays est assimilé à un asile psychiatrique, ses enfants se retrouvent dans une gigantesque salle d’attente et sont assignés à résidence surveillée. Ils sont en attente permanente et quotidienne.
Certains espèrent devenir ministres, députés, maires et d’autres attendent un logement, un travail ou un visa et l’écrasante majorité est livrée à elle-même.
En face, une société sans repères, déstructurée et défigurée où les échelles de valeurs sont inversées. Des partis politiques algériens réduits à des appareils sans ancrage social, organique et politique, juste capables d’animer quelques kermesses populaires à la veille des carnavals électoraux. Ils sont une corporation d’auxiliaires affiliés et rattachés au pouvoir. Une classe politique inaudible, obsolète, finissante et agonisante. Elle est à l’image d’un cadavre au stade de décomposition très avancée.
D’ailleurs, la déliquescence de la scène politique algérienne, la méfiance et l’éloignement des citoyens de la chose politique sont liés entre autres à la présence de politicards, de carriéristes et opportunistes dans les cercles décisionnels des partis. Ils ont réduit ces derniers à des appareils politiques en état d’hibernation permanente. Ils les réaniment à l’approche de chaque rendez-vous électoral pour les replonger à nouveau dans un coma profond à la fin de la récréation politique.
Ces partis stérilisent le pluralisme politique en Algérie. Nous avons singulièrement rappelé sans cesse aux partis politique progressistes, modernistes, participationnistes, aux militants républicains, démocrates et de gauche algériens que toutes les conquêtes sociales et politiques ont été arrachées et construites en dehors du processus électoral et grâce aux luttes sociales unitaires.
Hélas, notre appel n’est jamais entendu ! Sans doute, les militants saisonniers, à temps perdu et intellectuels attentistes sont les plus exposés à l’appel des sirènes, à la tentation de la mangeoire, à la promotion sociale, du confort et des privilèges que le pouvoir leur octroie.
Que faire face à cette hécatombe ?
Il faut plaider et militer pour une triple rupture, à la fois contre le pouvoir despotique et rentier, contre l’islamisme politique, et enfin pour la dissolution de la classe politique actuelle. Cette dernière incarne l’échec total du concept de l’opposition et malheureusement l’a vidé entièrement de sa substance.
Elle représente un facteur de blocage à la construction d’une alternative démocratique et sociale. Pour dire que l’enjeu est le combat pour la modernité contre l’archaïsme et le conservatisme, de la démocratie contre le despotisme.
Il ne s’agit pas uniquement de surmonter les conséquences concrètes de la crise économique et financière. Elles touchent également aux fondements de notre société. Nous devons décider aujourd’hui plus que jamais de la manière dont nous voulons vivre et travailler dans les prochaines années et décennies.
Quel projet de société voulons-nous construire ? Comment le construire ? Avec qui ? Quelle Algérie voulons-nous léguer à nos enfants ? Comment anéantir définitivement les forces conservatrices et archaïques ? A quoi peut ressembler un ordre économique juste et solidaire ? Quel équilibre doit être trouvé entre Etat et marché ? Comment peut-on réussir une politique économique moderne de la démocratie sociale liée à des valeurs et des principes ?
A ces questions cruciales, l’Algérie profonde, laborieuse et travailleuse doit se mettre en mouvement pour organiser une alternative positive, démocratique, moderne et sociale, et ce, afin d’éviter aussi bien une succession clanique qu’un effondrement national. Cette l’Algérie doit d’abord être hors système.
Tout est à bâtir, à organiser. C’est à une profonde prise de conscience et à une action d’envergure que nous sommes conviés malgré les minces espaces d’expression et d’action qui s’offrent à nous. C’est faire appel à des idées novatrices. C’est rendre possible le dialogue entre nous, c’est préparer un avenir commun. Mais il exige tout à la fois, le respect de l’autre, la lucidité sur soi et le respect de soi. Cette démarche exige une orientation claire et un engagement entier et sans faille. Seul celui qui peut énoncer, sans ambiguïté, les objectifs de son action pourra ainsi les atteindre et motiver des personnes à les suivre.
Il faut d’abord dresser face à l’emprise terne et menaçante de l’uniformité et du jacobinisme du pouvoir la diversité infinie et riche de notre culture. Offrir l’imaginaire, l’inspiration, le rêve contre les tentations de désenchantement. L’exigence du décloisonnement, de l’ouverture et de la compréhension mutuelle. Rassembler toutes celles et tous ceux en Algérie et dans notre diaspora qui portent en eux les idéaux démocratiques et s’emploient à les faire progresser.
Plus que jamais le destin de l’Algérie est là : dans notre capacité à porter les uns sur les autres un regard lucide et instruit, à faire dialoguer nos différences et nos visions dans sa diversité. Nous devons nous rassembler autour des valeurs qui nous unissent réellement, loin des stéréotypes. Il est nécessaire d’imaginer un modèle original qui rende justice à l’infinie diversité culturelle de notre pays. Un projet politique qui manifeste un autre regard sur le génie du peuple algérien.
Construire un pacte politique qui renforce la cohésion sociale et qui préserve notre environnement en mettant en exergue les valeurs universelles.
Ce dialogue, comment l’instaurer ? « Comment le rendre possible » ?
La première urgence, c’est parce que rien n’est plus contraire au dialogue que le sentiment d’injustice et de marginalisation, c’est d’introduire plus de justice, plus de solidarité, plus d’attentions envers les Algériens. Nombreux sont ceux qui en Algérie ont perdu leur âme et la maîtrise de leur destinée.
Ces situations ne naissent pas du néant ; elles sont la résultante d’un sentiment d’échec social, d’une perte de confiance en soi, en son pays, en ses institutions et ses représentants. N’oublions surtout pas que le fanatisme prospère sur le terreau de l’ignorance, des humiliations, des injustices et des frustrations. Il nous faut une nouvelle approche sur la reconnaissance de la diversité de visions au sein de la famille progressiste et moderniste.
Celle qui avance, pour paraphraser feu Tahar Djaout. Cette réalité longtemps étouffée s’affirme aujourd’hui comme un facteur de plus en plus décisif dans les rapports entre nous et nos visions. Il faut être sensible et attentif à la place singulière qu’occupent ces idées dans l’Algérie. Elles les doivent aux valeurs universelles qu’elles véhiculent. Ses voix sont entendues, mais souvent combattues par le pouvoir.
Elles pèsent dans le cours des choses et de l’histoire. Elles sont dépositaires d’une vision, de valeurs, d’un idéal humaniste qu’elles portent au cœur des problèmes algériens. Une vision fondée sur une certaine idée de la femme, de l’homme, de leurs droits, de leur dignité, de leurs libertés. Bref, un idéal fondé sur la défense du modèle et principe démocratique.
C’est le destin de ce courant, et c’est sa vocation : porter une ambition mais avec la conscience de la responsabilité qui lui est assignée vis-à-vis de l’Algérie et de ses enfants. Réconcilier l’Algérie avec son histoire, son identité, sa culture et la propulser vers le monde de la modernité et l’universalité. Les grands défis qui nous attendent, nous les relèverons si nous sommes unis et solidaires.
Pour cela, nous devons nous imprégner de la modernité en imprimant dans la société la rationalité et la notion du travail. Il faut tisser un ordre social et politique dont la finalité est de mettre le citoyen au cœur de notre pays. Former un citoyen qui donne un sens à l’aventure commune, au partage, à l’égalité, au respect de la nature. Ils sont sans doute les leitmotivs des temps à venir. C’est seulement ainsi que nous pourrons mettre l’Algérie sur les rails de la démocratie et que nous léguerons à nos enfants une Algérie meilleure, une Algérie où ils pourront s’épanouir, se reconnaître et vivre ensemble.
Mustapha Hadni est porte-parole du CCLD (Collectif de coordination et de Liaison des démocrates).